Restructuration de la dette : l’étau se desserre
Début août, l’État argentin a finalement annoncé un accord de principe avec ses principaux pools de créanciers privés (bondholders) pour une restructuration de sa dette obligataire internationale (USD 66 mds), accord qui a été accepté début septembre par la quasi-totalité des créanciers (le taux de participation à l’échange de dette a atteint 93,5%). Sur les douze souches d’obligations éligibles, les créanciers ont consenti une forte réduction du taux d’intérêt à l’émission par rapport à l’échéancier initial (de 7% à 3% en moyenne) et un report des échéances de remboursement. En échange, l’État a dû accepter une réduction faciale marginale du montant de sa dette (la somme cumulée des remboursements du principal de la dette est pratiquement inchangée[1]). Les mêmes conditions vont s’appliquer à la dette obligataire domestique en USD détenue principalement par des créanciers locaux, de sorte que, sur l’ensemble de l’échéancier (soit jusqu’en 2050 pour l’essentiel), le fardeau de la dette (debt burden) est allégé de USD 37,7 mds par rapport à l’échéancier initial. Une bouffée d’oxygène indispensable compte tenu de la dégradation de la situation économique et sociale.
Doutes sur la capacité de rebond
Conséquence du confinement imposé dès le 20 mars à l’ensemble du pays, l’économie s’est violemment contractée au T2 de 16,5% sur un trimestre (-21% sur un an). Comme dans la plupart des pays, l’activité s’est redressée par rapport au point bas atteint en avril. Cependant, en juin, l’indice mensuel du PIB réel calculé par l’INDEC était encore de 15% inférieur à son niveau de janvier-février et l’indice de la production industrielle de juillet inférieur de 7%. Seul l’indicateur de l’activité dans la construction a retrouvé son niveau d’avant le confinement, mais reste 13% en deçà de son niveau moyen de 2019 (cf. graphique 1).
Le redressement récent et très relatif des indices d’activité est par ailleurs contrebalancé par un climat de confiance des consommateurs encore très détérioré, reflet des pressions inflationnistes toujours fortes (1,9% par mois en moyenne sur mai-juillet) entretenues par la dépréciation du peso de 2,5% par mois en moyenne depuis mars. Les salaires réels du secteur formel ont continué de se contracter (-4,6% sur un an au S1 2020 dans le secteur privé, -8,5% dans le secteur public). Depuis 2017, la perte de pouvoir d’achat des salaires est de 22% dans le privé et de 26% dans le public. Malgré le rebond mécanique de l’activité au S2, consécutif au déconfinement, la hausse des dépenses primaires du gouvernement central (environ 5% du PIB depuis la fin 2019) et l’assouplissement monétaire (cf.infra), la baisse du PIB sera probablement supérieure à 10% sur l’ensemble de cette année.
Pour 2021, malgré le répit que procure la restructuration de la dette due aux créanciers privés et à supposer que le pays obtienne un étalement de ses remboursements vis-à-vis du FMI (dus normalement à partir de 2021), on peut douter de la capacité de rebond de l’économie. Les conditions extérieures, notamment les prix des matières premières agricoles, vont rester déprimées et limiteront le redémarrage par les exportations. Au-delà de la conjoncture internationale, l’économie reste engluée dans une spirale de dépréciation du change et d’inflation que la politique du précédent gouvernement (suppression du contrôle de changes, baisse des taxes à l’exportation et libéralisation des tarifs règlementés de l’eau et de l’énergie) n’avait pas réussi à juguler. Cette spirale a grevé les finances publiques directement (par la nécessité de revaloriser régulièrement les prestations sociales) et indirectement (par le coût de de stérilisation élevé des entrées de capitaux pour la banque centrale). Elle a empêché également de restaurer la fonction de levier contra-cyclique de la politique monétaire, faute de pouvoir dissocier les anticipations d’inflation de la dérive du taux de change nominal.
Certes, au cours des douze derniers mois, la banque centrale (BCRA) a pu réduire drastiquement son taux directeur de 85% à 32%, alors que le taux d’inflation ne s’est réduit, sur la même période, que de 53% à 42%. Cette détente monétaire est toutefois intervenue dans une situation d’urgence caractérisée, non seulement par le défaut sur la dette et le contrôle renforcé des changes, mais aussi par un abandon de fait de la stabilité du taux de change ; l’écart entre le taux officiel contre USD et le taux parallèle (blue chip swap rate). Ce dernier, qui était encore négligeable en août 2019, est monté à près de 80% un an plus tard (cf. graphique 2).
Normalement, pour un pays bénéficiant, avant la crise sanitaire, d’une inflation maîtrisée et d’une stabilité financière, le rebond en 2021 devrait être d’autant plus marqué que le choc a été violent en 2020. Rien n’est moins sûr pour l’Argentine, même avec le soutien du FMI.
Ré-accélération anticipée de l’inflation
Tout d’abord, malgré l’ampleur de la récession qui dure depuis 2 ans et demi, l’inflation n’est pas endiguée. D’après les enquêtes de la BCRA, l’anticipation en août du glissement annuel des prix à la consommation à un horizon de 12 mois était remontée à 51,2% contre 40,7% au dernier mois connu (août). La cause première est toujours la dynamique autoentretenue entre les salaires et le taux de change, dynamique d’autant plus forte que l’écart entre le taux officiel et le taux parallèle est élevé[2].
Par ailleurs, nombre d’analystes locaux mettent aussi en exergue la croissance excessive de la base monétaire (+35% sur janvier-août 2020 contre 30% sur l’ensemble de l’année 2019), en raison du financement monétaire du déficit primaire qui a atteint 4,7% du PIB en cumul sur 12 mois en juillet contre 0,5% en décembre 2019. De fait, les transferts de la BCRA au Trésor (avances directes et profits comptables tirés de la revalorisation des réserves de change) ont atteint près de 6% du PIB depuis le début de l’année.
La situation exceptionnelle créée par la crise sanitaire justifiait jusqu’à présent un financement exceptionnel à coût nul pour l’État[3], mais cette solution ne peut être que temporaire. Pour 2021, le gouvernement veut limiter l’effort budgétaire en ramenant le déficit primaire à 4,5% du PIB (hors dépenses exceptionnelles liées à la Covid 19, les dépenses primaires devraient progresser de 7,6% en termes réels).
Toutefois, il est peu probable que le FMI autorise la poursuite du financement direct par la banque centrale. L’inflation d’origine monétaire pourrait s’atténuer avec le retour à un financement classique par emprunt. Mais, entre-temps, on peut craindre que la dérive actuelle des agrégats monétaires ait des effets persistants au moins jusqu’au début 2021.
Tensions persistantes sur la liquidité extérieure
Les pressions persistantes sur la liquidité extérieure constituent une deuxième contrainte au redémarrage. Le déficit de la balance courante s’est fortement réduit (au T1 et en cumul sur 4 trimestres, son déficit n’était plus que de USD 0,9 md) et devrait laisser place à un excédent (en cumul sur 12 mois, le solde commercial est excédentaire de près de USD 20 mds en juillet). Les réserves de change de la banque centrale ont toutefois continué de s’éroder pour atteindre USD 42,6 mds début septembre contre USD 45 mds fin 2019. Les achats de dollars par les résidents, qui avaient fortement ralenti avec la mise en place du contrôle des changes, se sont intensifiés depuis le mois de mars. Mi-septembre, la banque centrale a dû introduire de nouvelles mesures de contrôle des changes[4] incluant même des restrictions temporaires au remboursement de la dette en dollars des entreprises domestiques[5].
Un accord avec le FMI est donc une condition nécessaire pour renforcer la liquidité extérieure et donner des gages d’amélioration de la solvabilité du pays (qui restera très fragile, faute d’avoir obtenu une réduction de la dette). Par ailleurs, le soutien financier du FMI n’est pas une condition suffisante à une sortie de crise durable. Le gouvernement argentin et le FMI devront trouver un bon dosage des objectifs de consolidation budgétaire et de gestion monétaire et de change qui permette de rassurer les créanciers privés mais ne soit pas trop ambitieux pour donner une chance à la reprise.