Depuis le début de l’année, la reprise dans les pays émergents se poursuit mais reste fragile. Le retard des indices de confiance des ménages sur ceux des entreprises témoigne des contraintes sur la demande interne : le risque pandémique persiste, l’inflation accélère et les États font face à une augmentation de leurs coûts de financement, ce qui réduit leurs marges budgétaires. Malgré le dynamisme des échanges extérieurs, l’horizon n’est pas suffisamment dégagé pour une reprise de l’investissement. Heureusement, jusqu’à présent, la très grande majorité des banques centrales se gardent d’être pro-actives malgré les tensions inflationnistes. Mais le resserrement monétaire ne peut que se généraliser.
La croissance économique des 27 principaux pays émergents a continué de ralentir au T1 2021, sur un rythme néanmoins soutenu de 1% t/t après +3,5% au T4 et +7,7 % au T3. Pour la moitié d’entre eux, le PIB réel a retrouvé ou dépassé son niveau du T4 2019. D’une manière générale, les exportations sont restées le principal moteur, notamment en Asie (Chine, Taiwan, Vietnam). Les entreprises reconstituent leurs stocks, ce qui génère des tensions sur les prix des matières premières et les coûts de transport. La demande interne privée se redresse également mais elle est plus hésitante, y compris en Chine pourtant en avance dans le cycle par rapport aux autres pays. Les indicateurs de confiance reflètent d’ailleurs ce décalage ; pour une grande majorité des pays, les indices Markit dans le secteur manufacturier ont retrouvé ou dépassé leur niveau d’avant-crise alors que ce n’est pas encore le cas pour les indicateurs de confiance des ménages.
La reprise se poursuit mais les risques baissiers sont plus nombreux que les risques haussiers
Le risque pandémique reste très élevé. De nouvelles vagues de contaminations ont été enregistrées en Asie et en Amérique latine au cours du T2. Le virus mute en des formes plus contagieuses alors que le taux de vaccination des populations reste très insuffisant pour assurer une immunité collective (il est inférieur à 10% en Inde et en l’Indonésie, à 15% au Brésil et en Russie, pour ne citer que les pays les plus peuplés). Dans plusieurs pays, les autorités ont dû procéder à des reconfinements et, de ce fait, l’activité devrait avoir fortement ralenti ou même s’être contractée dans plusieurs pays d’Asie et d’Amérique latine.
La réaccélération de l’inflation est maintenant générale (en mai, la hausse médiane des taux d’inflation était déjà de +1,8 point par rapport à leur moyenne de 2020), principalement alimentée par les cours du pétrole et des matières premières agricoles, ce qui pèse sur le pouvoir d’achat, notamment des plus démunis. Après le FMI, la Banque mondiale a rappelé, dans ses dernières prévisions de juin, les estimations alarmantes du nombre de personnes ayant basculé dans la pauvreté l’année dernière. Ainsi, près de 100 millions d’individus disposent de moins de 1,9 dollar par jour pour vivre, 164 millions selon une définition plus large tenant compte également de la dégradation des soins de santé et de l’éducation. Même dans un scénario de reprise, le revenu par habitant sera, en 2023, encore inférieur à son niveau de 2019 pour au moins 40% des pays émergents et en développement (à titre de comparaison, 4 ans après le choc de 2008-2009, cette proportion n’était que de 15%).
Par ailleurs, la résurgence de l’inflation pose un dilemme pour les banques centrales car elle dépassera sa valeur cible dans la moitié des pays à ciblage d’inflation. Or, durcir la politique monétaire à ce moment du cycle risque surtout d’entraver la reprise de la demande interne, notamment celle de l’investissement. Le resserrement monétaire ne fait sens que s’il est nécessaire pour ancrer les anticipations d’inflation. D’ailleurs, dans l’ensemble, les banques centrales se gardent d’être pro-actives.
Depuis le début de l’année, les États font face à un renchérissement de leur coût de financement domestique comme externe. Le rebond des investissements de portefeuille sur la dette publique en monnaie locale au S2 2020 avait permis de contenir la hausse des rendements obligataires que l’aggravation des déficits aurait dû engendrer. Mais, depuis le début de l’année, les investissements de portefeuille se sont normalisés (ils ont été divisés par deux au S1 2021 par rapport au S2 2020), notamment en raison d’une anticipation du tapering aux États-Unis. Compte tenu de la forte augmentation des ratios d’endettement en 2020, l’effet de la hausse des rendements obligataires sur la charge d’intérêts sera décuplé, ce qui limitera d’autant les marges de manœuvre budgétaires en cas de rechute dans la récession.
Enfin, la reprise des investissements directs (IDE) est incertaine. Selon la CNUCED, le nombre de projets greenfield dans le secteur manufacturier, déjà sur une tendance baissière sur la décennie 2010, a été divisé par deux en 2020. Par ailleurs, les financements de projets étaient en repli jusqu’au T1 2021 et présentent une forte inertie (à la suite de la crise de 2008-2009, il avait fallu attendre 2 ans avant qu’ils ne repartent). La contribution de ces deux catégories d’IDE à la croissance sera a priori plus faible qu’au cours des précédentes sorties de crises à la fois parce que les capacités d’endettement des États sont réduites et que les entreprises multinationales vont procéder à des relocalisations.
Le rebond des prix des matières premières peut toutefois stimuler les investissements et ainsi aider à élever le potentiel de croissance des pays concernés ; ce fut le cas pour les pays d’Amérique latine au cours de la décennie 2000 durant laquelle le cycle haussier des prix des matières premières avait permis d’élever la croissance potentielle de près d’un point de pourcentage. Mais la situation actuelle n’est pas comparable à celle des années 2000. À cette époque, l’effet d’entrainement de la Chine était maximal, avec un rythme de croissance de 10%, presque le double de ce qu’il est actuellement.