Dans un contexte sanitaire très dégradé au T1, l’économie brésilienne a montré de bonnes capacités de résistance. Grâce à un environnement externe plus porteur, une reprise dans les services et un rebond de la confiance, les perspectives à court terme se raffermissent – d’autant que l’épidémie ralentit avec la progression de la vaccination. L’accélération de l’inflation continue toutefois d’inquiéter et pourrait entraîner un resserrement monétaire plus vigoureux d’ici la fin de l’été. Si une hausse des taux plus agressive devrait profiter à la monnaie et aux investissements de portefeuille, elle risque de freiner la reprise et de peser sur les finances publiques. Pour l’instant, le souverain affiche une position budgétaire plus favorable qu’attendu qui s’est traduite par une baisse des primes de risque.
Covid-19 : risque de 3e vague contenu
Le Brésil, qui a dépassé en juin le cap des 500 000 victimes de la Covid-19, semble pour l’instant éviter la menace d’une 3e vague de contaminations. Le pays – qui a connu ses pires moments de la pandémie fin mars / début avril avec des pics à plus de 3 000 décès journaliers – a vu plusieurs indicateurs épidémiologiques repartir à la hausse courant juin après l’assouplissement des restrictions en mai. Toutefois, les craintes d’une nouvelle vague se sont depuis dissipées avec la forte accélération des vaccinations. Cette tendance devrait se maintenir à court terme grâce notamment au renforcement des livraisons au deuxième semestre (avec 42 millions de doses déjà prévue en juillet). Elles devraient aussi permettre de lisser le rythme des vaccinations. Début juillet, 13,6% de la population était pleinement vaccinée et 38% avait reçu une première dose de vaccin.
Sur fond d’amélioration relative des indicateurs, une ombre au tableau est apparue au cours des dernières semaines avec la révélation de possibles irrégularités dans des contrats d’achat de vaccins. C’est ce qu’il ressort d’une commission d’enquête (CPI), dirigée par le Sénat et destinée à faire la lumière sur l’action du gouvernement en matière de gestion de la crise sanitaire. Depuis le lancement de la très médiatisée CPI, en avril, la popularité du président s’effrite, les mouvements populaires de contestation se multiplient tandis que les dépôts de demande de destitution (impeachment) du président auprès du chef de la Chambre des députés s’accumulent. En parallèle, l’ex-président Lula1 monte dans les sondages.
L’économie a bien résisté À la 2e vague de Covid-19
L’activité au T1 a surpris par sa vigueur et induit d’importantes révisions à la hausse des projections de croissance pour 2021. Malgré une 2e vague épidémique beaucoup plus virulente2, l’absence de relance budgétaire et la contraction de l’activité en mars, le PIB réel a progressé de 1,2% en glissement trimestriel (t/t) et de 1% en glissement annuel (g.a.). La consommation privée a mieux résisté que prévu mais c’est surtout la forte progression de l’investissement (+4,6% t/t) et l’accumulation des stocks qui ont empêché le PIB de reculer sur la période. Les producteurs de matières premières (agrobusiness, secteur minier, pâte et papier, filière bovine) ont notamment profité d’un contexte externe favorable (demande et prix élevés, compétitivité de la monnaie) pour investir.
L’activité a continué de bien se tenir au T2 malgré des débuts modestes. L’indicateur avancé du PIB produit par la banque centrale (IBC-BR) affichait une progression timide en avril (+0,4%). Toutefois, en mai, l’activité industrielle s’est fortement redressée après une baisse notable du rythme de production dans l’industrie entre février et avril, conséquences de nouvelles restrictions sanitaires dans plusieurs États sur la période. L’embellie se confirme à la fin du trimestre dans les données d’enquête avec une expansion plus rapide de la production dans le secteur manufacturier (PMI manufacturier à 56,4 en juin vs. 53,7 en mai) et un rebond marqué de l’activité dans les services avec un retour de l’indice PMI en territoire d’expansion pour la première fois depuis le début de l’année (PMI services à 53,9 en juin contre 48,3 en mai, soit la plus forte progression sur un mois depuis près de 8 ans). L’accélération de l’inflation n’a pour l’instant pas entamé la consommation des ménages malgré un léger repli des salaires réels et un chômage toujours élevé (14,7% en avril).
Ainsi, les ventes de détails affichaient en mai un 3e mois consécutif de gain, soutenues par l’épargne reconstituée au S2 2020, l’aide d’urgence distribuée depuis avril et la progression du crédit aux ménages (+7,8% en g.a. en mai).
Les perspectives de croissance à court terme demeurent bien orientées à la faveur d’un environnement externe toujours porteur et d’un regain d’optimisme des entreprises et des ménages concourant avec la levée des restrictions et la progression de la vaccination. Des risques baissiers subsistent toutefois : émergence de souches virales plus résistantes aux vaccins, aléas climatiques, dégradation du climat politique, accélération plus marquée de l’inflation. Certaines mesures de soutien ont déjà été envisagées par les autorités pour contrebalancer les effets d’une persistance de l’épidémie et de la hausse des prix. Le gouvernement a annoncé la prolongation d’au moins 3 mois de l’aide d’urgence distribuée au ménages (d’avril à juillet initialement). Les autorités devraient également augmenter de 60% la valeur des allocations du programme Bolsa Familia d’ici la fin de l’année. Des lignes de crédit à hauteur de USD 50,7 mds vont également être mises à disposition des agriculteurs pour stimuler la production agricole en 2021/22.
Inquiétudes croissantes concernant l’inflation
La reprise plus forte qu’attendu de l’activité, la faiblesse du real, la hausse du prix des matières premières et des facteurs climatiques alimentent des tensions sur les prix. En juin, l’indice des prix à la consommation (IPCA) a atteint un plus haut niveau en près de 5 ans (+8,4% en g.a.), marquant un 16e mois consécutif d’accélération de l’inflation. Depuis février 2020, la composante alimentaire de l’IPCA est en hausse d’environ 20% tandis que le prix de l’essence et du gaz domestique ont progressé d’environ 25%. Les factures d’électricité ont dans le même temps bondi de 10%, conséquence de la sécheresse qui touche le pays depuis quelques mois3.
Même si la transmission à l’inflation sous-jacente reste pour l’insmitée (l’inflation dans les services est par exemple à moins de 2%), le décrochage de près de 5 points de l’inflation globale par rapport à la cible (3,75% +/- 1,5) laisse présager un resserrement plus rapide que prévu de la politique monétaire au deuxième semestre. La banque centrale (BCB) a déjà procédé à trois hausses de 75 points de base (pb) du taux SELIC depuis le début de l’année et prévu une autre hausse de 75 pb lors de sa prochaine réunion en août prochain. Une détérioration des anticipations d’inflation pourrait toutefois inciter les autorités à un resserrement plus important à la fin de l’été.
Détente des primes de risque sur le souverain
La meilleure tenue de l’activité, des recettes plus dynamiques (du fait de la montée de l’inflation mais aussi d’importants gains sur les swaps de change enregistrés par la BCB), conjuguées à la restriction des dépenses (du fait du retard dans l’approbation du budget 2021) ont permis une amélioration des soldes budgétaires et de la dynamique de la dette malgré la hausse des taux. En mai, le déficit global sur 12 mois glissants s’élevait à 9,1% du PIB (5,4% du PIB de déficit primaire + 3,7% du PIB de charge d’intérêt), soit une amélioration de 1,5 pp sur un mois, tandis que la dette brute baissait dans le même temps de 1,1 pp à 84,5% du PIB, profitant d’une croissance plus élevée du PIB nominal.
La baisse des tensions sur les comptes publics, l’avancée de certaines privatisations (ex. Electrobras, Cedae) ainsi que la présentation de la 2e phase du projet de loi sur la réforme fiscale ont favorisé un tassement
des primes de risque. Entre mars et début juillet, les spreads CDS à 5 ans et EMBI+ ont baissé respectivement d’environ 60 et 45 pb tandis que le spread entre le taux d’intérêt à 10 ans et celui à 2 ans sur les obligations d’État a baissé de près de 100 pb. La baisse relative des risques budgétaires conjuguée à la remontée du différentiel de taux (SELIC - Fed Funds) et à un dollar plus faible ont aussi permis à la monnaie de retrouver des couleurs après sa chute au T1 (~9%). Le real, dont la dynamique est de plus en plus découplée du cycle des matières premières et des termes de l’échange, atteignait ainsi fin juin son niveau le plus fort depuis un an en passant sous la barre des 5 USD/BRL.
Des comptes externes solides
Le déficit du compte courant sur 12 mois glissants continue de se résorber atteignant en mai son plus bas niveau depuis plus de 13 ans (USD 8,4 mds, 0,6% du PIB). Cette baisse, qui devrait se poursuivre, reflète d’importants excédents commerciaux depuis un début d’année marqué par une forte accélération des exportations de matières premières, notamment de minerai de fer, de pétrole mais aussi de viande. Sans surprise, l’effet prix des exportations (+44% en g.a. en juin) domine l’effet volume (+11% en g.a. en juin). Au niveau du compte financier, les flux d’investissement directs étrangers (IDE), qui avaient chuté d’environ 50% en 2020 pour s’établir à USD 34,2 mds (un plus bas depuis 25 ans), peinent pour l’instant à se renforcer en raison notamment de remboursements de prêts inter-entreprises plus élevés que les décaissements. Les IDE devraient totaliser environ USD?50?mds en 2021. Ils ne devraient pas durablement retrouver leur niveau moyen d’avant-crise (USD 72 mds sur la période 2015-2019) avant au moins 2023. En revanche, les investissements de portefeuille restent robustes. Les flux nets de la part des non-résidents sont positifs depuis août 2020 (à l’exception du mois de mars) et cumulaient USD 42 mds en mai sur 12 mois soit le niveau le plus élevé depuis 2015. Ils devraient se maintenir au cours des prochains trimestres compte tenu de la remontée des taux et de la meilleure assise de la reprise économique. À noter que les entreprises locales qui s’étaient désendettées à l’étranger depuis un peu plus d’un an et demi sont de nouveau en quête de financement extérieur.