L’économie saoudienne a été doublement pénalisée en 2020 : les conséquences de la pandémie de Covid-19 ont amplifié l’impact récessif de la chute des prix et de la production de pétrole. En plus de l’effet conjoncturel, ces deux chocs exogènes ont des conséquences défavorables sur le processus de réforme, et notamment sur le dynamisme du secteur privé. La reprise attendue en 2021 sera timide, en raison du nouveau ralentissement de l’activité pétrolière. Les déficits budgétaires devraient perdurer à moyen terme, entraînant une hausse de la dette du gouvernement. Les déséquilibres macroéconomiques restent modérés, mais la dépendance persistante au pétrole dans un contexte de transition économique reste une source de vulnérabilité importante.
Double choc sur l’économie en 2020
En 2020, l’économie saoudienne a été affectée par la chute des prix du pétrole et par les restrictions liées à la pandémie. De plus, la baisse des revenus pétroliers a obligé les autorités à prendre des mesures qui ont eu tendance à accentuer le ralentissement économique. Ainsi, le triplement du taux de TVA de 5% à 15% et la réduction de certains transferts ont permis de partiellement compenser la baisse des revenus pétroliers, mais ont aussi affecté la consommation des ménages, qui représente 55% du PIB. En 2020, la consommation privée s’est repliée de 6,4%.
L’investissement, qui représente environ un quart du PIB, a chuté de 14% en raison du déclin des investissements publics et du niveau cycliquement bas des dépenses en capital de l’industrie pétrolière. Enfin, le volume des exportations a baissé de 11%, soit la plus forte baisse depuis plus de vingt ans, en lien avec la réduction des ventes d’hydrocarbures. En termes nets, cette baisse des exportations a été compensée par l’effondrement des importations de plus de 25% dans un contexte de baisse de la demande interne.
D’un point de vue sectoriel, la politique de quota établie par les producteurs OPEP+ (membres de l’OPEP et Russie), ainsi que la tendance de l’Arabie saoudite à aller au-delà de la baisse de production qui lui est imposée ont fait chuter le PIB pétrolier (environ 40% du PIB) de 6,7% sur l’ensemble de l’année 2020. La production de pétrole brut a baissé de 6% en 2020, pour atteindre 9,2 millions de barils par jour (mb/j) en moyenne. De son côté, le PIB non pétrolier s’est contracté de 2,3%. Au total, le PIB s’est contracté de 4,1%.
Une mauvaise conjoncture pour les réformes
Ce double choc - prix du pétrole et pandémie - affecte d’une manière particulière l’économie saoudienne dans la mesure où le royaume s’est engagé dans un ambitieux plan de développement et de diversification économique. Ce plan doit réunir deux conditions : il demande d’importants moyens financiers et requiert le développement du secteur privé hors hydrocarbures pour permettre la création d’emplois pour les Saoudiens. Le Fonds d’investissement public (PIF) assure le financement du plan, et notamment de grands programmes d’infrastructures en l’absence d’investissements étrangers significatifs (depuis 2016 les investissements directs étrangers entrants n’ont représenté que 0,7% du PIB en moyenne). Le recours à un endettement mesuré ainsi que des recettes de privatisation doivent garantir le financement du PIF, du moins à court terme. Concernant la seconde condition, l’incertitude liée à la pandémie a renforcé la prudence des agents économiques. Déjà, depuis 2016 et la baisse durable des revenus pétroliers, le secteur privé a fonctionné au ralenti. Sa croissance n’a été en moyenne que de 0,8% de 2016 à 2020, contre 5,9% sur la période 2011-2015. La capacité du secteur privé à se développer reste donc étroitement liée à la conjoncture pétrolière, et l’incertitude créée par la pandémie constitue un frein supplémentaire.
Parallèlement, l’horizon de moyen et long terme des grands producteurs de pétrole devient plus incertain étant donné la volonté partagée au niveau mondial de progresser dans la décarbonisation des activités économiques. Dans un tel contexte, les autorités saoudiennes privilégient une approche dirigiste de la réforme avec de très importants investissements en infrastructures (villes nouvelles, transports, etc.), et une accélération des mesures de «saoudisation» du marché du travail.
Timide reprise attendue en 2021
En T1 2021, le PIB s’est replié de 3% en rythme annuel en raison notamment de la baisse de la production de pétrole. Sur l’ensemble de l’année, le PIB pétrolier devrait encore une fois s’inscrire en repli d’environ 1%. En effet, au cours du premier trimestre, l’Arabie saoudite a volontairement réduit sa production pétrolière de 1 mb/j au-delà de la réduction prévue par l’accord OPEP+. Le quota saoudien de production a augmenté à partir du deuxième trimestre et devrait continuer sa progression au cours de l’année. La production de pétrole brut devrait atteindre environ 9 mb/j en moyenne en 2021. Ce scénario reste dépendant de la solidité de la cohésion des membres du cartel, de l’évolution d’une demande mondiale vulnérable à la résurgence pandémique et de la relative stabilité de la production de pétrole des producteurs hors accord OPEP+.
Concernant l’activité hors hydrocarbure, les perspectives sont positives (+4,7% prévu en 2021) mais il convient de rester prudent. Les indicateurs avancés d’activité (production de ciment, ouverture de lettres de crédit et retrait d’argent liquide) évoluent positivement depuis le début de l’année, mais sont très volatils. La consommation des ménages a progressé de 1,3% en rythme annuel au premier trimestre et devrait bénéficier d’un effet de base important en T2. Les indicateurs journaliers de mobilité sont revenus à un niveau supérieur à la période pré-pandémique depuis environ un mois. Néanmoins, l’évolution actuelle de la pandémie incite à la prudence. On estime que moins de 30% de la population totale a été complètement vacciné. Par ailleurs, une seconde vague de contamination est en cours (le nombre de nouvelles infections est actuellement équivalant à 30% du niveau enregistré lors du maximum de juin 2020). Pour le moment, l’essentiel des restrictions liées à la pandémie sont levées, mais dans ce contexte, la reprise de la consommation des ménages demeure incertaine.
La hausse significative des prix du pétrole attendue cette année devrait être favorable à la dépense publique, notamment l’investissement, et alimenter la croissance du PIB hors pétrole. Le PIF a établi un plan d’investissement jusqu’en 2025 prévoyant d’investir SR?150?mds (équivalant à 5,7% du PIB 2020) annuellement dans l’économie saoudienne. En 2021, la croissance du PIB devrait atteindre 2,3%.
Déficit budgétaire persistant
Avec la chute des prix du pétrole et la nécessité de soutenir l’activité (équivalant à environ 2,7% du PIB), le déficit budgétaire enregistré en 2020 a été très élevé (-11,2% du PIB). Les revenus issus des taxes sur les biens et services (environ 18% des revenus budgétaires totaux) ont bénéficié de la hausse du taux de TVA, mais ne permettent pas de compenser la baisse du revenu issu du pétrole (-31% a/a) qui reste le déterminant principal des performances budgétaires (environ 60% des revenus totaux).
Le gouvernement a annoncé une réduction des dépenses en 2021 d’environ 6%. La baisse des dépenses d’investissement est rendue possible par le transfert d’une partie de ces dépenses au PIF, mais nous restons prudents quant à la baisse des dépenses courantes dans un contexte de hausse des prix à la consommation (+2,9% prévu en 2021) et de possible persistance de la pandémie. Même avec un prix du baril de pétrole attendu en forte hausse, le prix qui équilibre le budget (ou point mort budgétaire) devrait rester supérieur à celui du marché. Le déficit budgétaire devrait atteindre 3,1% du PIB en 2021.
À moyen terme, les limites de la diversification des revenus budgétaires et la hausse des dépenses favoriseront le maintien du point mort budgétaire dans un intervalle de 65 à 70 dollars US par baril, ce qui devrait maintenir un déficit public modéré.
Hausse modérée de la dette du gouvernement
Étant donné la récurrence de déficits budgétaires élevés depuis 2015 (10,6% du PIB en moyenne), la dette du gouvernement a rapidement augmenté, mais reste à un niveau modéré (32% du PIB à fin 2020). Actuellement, environ 40% du déficit budgétaire est financé sur les ressources du gouvernement détenues à la banque centrale.
Celles-ci sont actuellement équivalentes à environ 18% du PIB. Le reste du déficit est financé par des émissions de dette sur les marchés internationaux (environ 15% du déficit budgétaire) et sur le marché intérieur. Sur ce dernier, le gouvernement émet des sukuk (titres de dettes conformes à la loi islamique) sur des maturités longues allant jusqu’à trente ans. La part du déficit financé par l’émission de dette devrait continuer de croître étant donné le niveau limité des réserves du gouvernement auprès de la banque centrale, le coût réduit de l’endettement et la volonté de développer le marché intérieur de la dette. Selon notre scénario central, la dette du gouvernement devrait atteindre 35% du PIB en 2023.
Les risques macroéconomiques restent modérés à moyen terme, mais les finances publiques sont soumises à certaines pressions. La position nette du gouvernement se dégrade modérément mais de façon constante depuis 2015. La volonté mondiale de lutter contre le réchauffement climatique pèse sur les perspectives pétrolières et la mise en place de réformes économiques accroît le besoin de financement et maintient la dépendance aux revenus pétroliers à court terme.