Eco Emerging

Nouveaux défis

12/07/2021

Le succès de la campagne de vaccination, l’amélioration des perspectives de croissance mondiale et la hausse du prix du cuivre permettront un fort rebond d’activité en 2021. D’après l’indice mensuel d’activité, l’économie avait retrouvé au début du deuxième trimestre son niveau de décembre 2019. Au-delà de 2021, les perspectives de croissance peuvent pâtir des tensions politiques qui perdurent dans le pays. Les débats relatifs à l’élection présidentielle, d’une part, et au processus de rédaction de la nouvelle constitution, d’autre part, perturberont probablement la mise en œuvre de la politique économique et les décisions d’investissement privé, domestique et étranger.

Rebond de croissance en 2021

PRÉVISIONS

Après une chute de 5,8% en 2020, le PIB réel devrait progresser de plus de 7% en 2021. Le rebond de croissance observé au deuxième semestre 2020 s’est en effet poursuivi au premier semestre 2021, soutenu principalement par l’amélioration des perspectives de croissance au niveau mondial (et surtout celles des principaux partenaires commerciaux du Chili, les États-Unis et la Chine) et la hausse du prix du cuivre (tirée par la forte demande chinoise).

La demande interne a également continué sa progression au cours des premiers mois de 2021, en dépit d’une remontée significative du nombre de nouveaux cas de Covid-19 dès la mi-janvier. Le taux d’incidence et le taux d’occupation des lits de réanimation ont continué de progresser et ont atteint un niveau significativement supérieur à celui enregistré lors du pic de la première vague (en mars 2020), en dépit de la bonne dynamique de vaccination enregistrée dans le pays. En conséquence, les autorités ont rétabli des contraintes sanitaires relativement strictes, ce qui a pesé sur l’activité du premier trimestre. Cela dit, au mois de mai, l’indice mensuel d’activité publié par la banque centrale (corrigé des variations saisonnières) se situait quasiment au niveau de décembre 2019, et le taux d’emploi était remonté à 51% (après avoir chuté à 45% en juillet 2020, la moyenne de long terme se situe autour de 58%).

INDICATEURS MENSUELS DE PIB ET D'EMPLOI

Les perspectives à court terme sont plutôt favorables : d’un point de vue sanitaire tout d’abord, bien qu’atteignant un niveau encore élevé, le nombre de nouveaux cas de Covid-19, le taux d’incidence et le taux d’occupation des lits de réanimation diminuent continûment depuis la mi-juin. Dans le même temps, la campagne de vaccination se poursuit avec succès. À la fin du mois de juin, le gouvernement avait dépassé les objectifs qu’il s’était fixés au mois de janvier : plus de 85% des 50 ans et plus, et 53% des 18-50 ans, avaient reçu deux doses. À la même date, 74% des 18-50 ans avaient reçu au moins une dose, et la campagne de vaccination des 12-17 ans doit débuter au mois de juillet. Dans ce contexte, et sous réserve de l’évolution de la pandémie dans les pays limitrophes, les contraintes sanitaires devraient être progressivement levées au cours du troisième trimestre.

Soutien massif des autorités

En outre, comme cela avait été le cas dès le début 2020, le gouvernement et la banque centrale continuent de soutenir massivement l’économie. Le plan de relance gouvernemental, mis en place à partir de mars 2020 et devant s’étaler sur plusieurs années, a été complété par de nouvelles mesures, annoncées au mois de mars 2021 (afin de limiter l’effet du rétablissement des contraintes sanitaires sur la demande intérieure). Le montant cumulé des mesures s’élève à 13% du PIB et vise à augmenter les dépenses de santé, les subventions destinées aux ménages les plus pauvres et les allocations chômage, soutenir les ménages les plus vulnérables, différer la collecte de plusieurs impôts. Des mesures de soutien à destination des PME, via la banque publique Banco Estado, et un système de garantie des crédits pour les entreprises et les ménages, via le fonds public de garantie FOGAPE, ont également été mis en place. Enfin, un plan d’investissement public pluri-annuel a été instauré.

Dans le même temps, la banque centrale a abaissé son taux directeur de 125 points de base en trois mois (il est depuis avril 2020 resté au taux minimum de 0,5%) et soutenu la liquidité et le crédit, particulièrement à destination des ménages et des PME.

Enfin, l’autorisation a été donnée à un grand nombre de salariés de puiser dans leur épargne retraite, à trois reprises depuis le mois de juillet 2020 (en juillet et décembre 2020, puis en avril 2021). D’après les estimations du FMI, en avril 2021, les retraits représentaient un montant équivalant à 15% du PIB, compensant en partie les pertes de revenus liées à la pandémie.

RÉSERVES EN DEVISES ET TAUX DE CHANGE

Par ailleurs, depuis mai 2020, le Chili bénéficie d’une facilité de financement auprès du FMI (ligne de crédit flexible) d’un montant de USD 24 mds (soit environ 2/3 du montant des réserves de change au moment de l’obtention de la ligne de crédit), pour une durée de deux ans. Destinée à rassurer les investisseurs financiers et prévenir les crises, cette facilité est réservée aux pays dont les fondamentaux économiques sont estimés « très solides » par le FMI. Seuls le Chili, la Colombie, le Mexique, le Pérou et la Pologne en bénéficient pour l’instant. Le FMI a renouvelé son soutien en mai 2021, estimant les fondamentaux économiques du pays toujours solides (vulnérabilité externe modérée, et dégradation des finances publiques induite par les plans de soutien à l’économie soutenable à court terme).

La banque centrale s’est également engagée en janvier 2021 à augmenter graduellement le niveau des réserves de change de USD 12 mds sur 15 mois. En mai 2021, leur montant atteignait près de USD 48 mds.

Le climat politique reste tendu

Contrairement à la situation économique, la situation politique et sociale s’est détériorée. En particulier, la crise politique en cours depuis octobre 2019 n’est pas terminée.

La mécontentement populaire - face à la montée des inégalités, à l’accès à l’éducation et aux soins et à la réforme du système de retraites - a donné lieu à des manifestations spontanées à l’automne 2019. En réponse, le gouvernement a proposé plusieurs vagues de réformes et un nouveau pacte social avec l’adoption d’une nouvelle constitution.

La consultation publique tenue en octobre 2020 a permis à une large majorité de Chiliens de confirmer qu’ils souhaitaient abandonner l’actuelle constitution (datant de 1980 alors qu’Augusto Pinochet était au pouvoir). Le nouveau texte doit être rédigé par une assemblée constituante entièrement composée de citoyens nouvellement élus (et non de membres de l’actuel Congrès).

L’assemblée constituante, élue en mai 2021, est très divisée : aucun parti ne dispose seul du nombre de voix nécessaire pour imposer des amendements, ce qui suppose de nombreuses coalitions et discussions durant le processus de rédaction (prévu pour durer jusqu’à la fin de l’année 2022) de la nouvelle constitution.

En outre, les partis indépendants, de gauche et d’extrême gauche ont remporté plus de sièges qu’attendu, au détriment des partis proches du gouvernement (centre-droit et droite). Cela reflète une fois encore l’aspiration populaire à de profondes réformes sociales, et le rejet du parti gouvernemental aussi bien que le manque de confiance dans la classe politique établie. Enfin, à ces discussions se mêlent les débats relatifs aux élections qui doivent se tenir en novembre prochain (élection présidentielle, parlementaire et régionale ; deuxième tour de l’élection présidentielle en décembre).

Le climat politique tendu et les discussions relatives au contenu de la nouvelle constitution (notamment en termes de droits sociaux, éducation, santé, retraite…) auront un effet sur les finances publiques du pays, ce qui pourrait inquiéter les investisseurs nationaux et étrangers.

Par ailleurs, les réformes qui ont permis aux salariés de puiser dans leur épargne retraite ont été perçues négativement par les investisseurs, d’une part, parce qu’elles vont à l’encontre des pratiques usuelles du pays, et, d’autre part, parce que ces retraits auront une incidence sur l’équilibre des régimes de retraite à moyen-long terme. En effet, les retraits ont certes en partie compensé la perte de revenu en 2020, mais ils ont aussi diminué les taux de remplacement pour de nombreux salariés (c’est-à-dire le pourcentage du revenu d’activité perçu par un salarié lorsqu’il fait valoir ses droits à la retraite). D’après les estimations du FMI, environ 25% des cotisants avaient mobilisé la totalité de leur épargne retraite après les deux premières vagues de retraits.

Au total, une plus forte instabilité politique et la perspective d’une détérioration des finances publiques pourraient peser sur les perspectives d’investissement et de croissance à moyen terme. Par ailleurs, le Chili souffre de faiblesses structurelles (dépendance aux matières premières, baisse de productivité dans le secteur minier). En avril 2021, le FMI a baissé sa prévision de croissance à cinq ans à 2,5%, alors que celle-ci était à 3,2% en octobre 2019.

LES ÉCONOMISTES EXPERTS AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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