Après la chute de 1,9% de son PIB, le Nigéria ne devrait connaître qu’une reprise modeste en 2021 en raison de la persistance d’importants déséquilibres macroéconomiques. Malgré des premiers signes de stabilisation, l’inflation demeure très élevée, et les multiples ajustements du naira n’ont toujours pas permis de corriger les dysfonctionnements sur le marché des changes. Si la remontée des cours du pétrole devrait alléger quelque peu les tensions sur la liquidité extérieure, il en faudra sans doute plus pour restaurer la confiance des investisseurs. En l’absence de réformes et sans réelle marge de manœuvre budgétaire, l’économie restera vulnérable à des chocs exogènes.
Le Nigéria n’a pas échappé à la récession l’année dernière (-1,8%) mais celle-ci s’est révélée moins sévère qu’anticipée. Outre les mesures de restriction mises en place pour lutter contre la pandémie, le pays a dû faire face à des sorties massives de capitaux et à la chute des revenus pétroliers.
Depuis le T4 2020, l’activité s’est redressée après deux trimestres de contraction. Pour autant, la dynamique reste fragile. Le PIB n’a en effet progressé que de 0,5% en glissement annuel au T1 2021 en dépit de la bonne tenue du secteur agricole et d’un rebond de la production pétrolière (condensats inclus) à 1,72 million de barils par jour en moyenne contre 1,56 million au trimestre précédent. Hors-agriculture et secteur pétrolier, la croissance a ainsi décéléré à 0,3% contre 1% au T4 2020 en raison d’une rechute du secteur des services (-0,4%) due à une recrudescence de l’épidémie. Un rebond de l’activité est attendu à partir du T2 grâce au reflux de la seconde vague de Covid-19 et à la hausse des cours du pétrole, mais il sera limité. Avec un taux de chômage qui atteint désormais 33% et un PIB par habitant (en PPA) revenu à son niveau de 2017, la consommation des ménages aura en effet du mal à repartir. D’autant que la campagne de vaccination est lente (seulement 1% de la population a reçu une première dose) et que l’inflation atteint des sommets. La persistance de tensions sur le change et la liquidité extérieure ainsi que les faibles marges de manœuvre budgétaires sont également des contraintes fortes.
Inflation et taux de change : problèmes non résolus
Le pilotage de la politique monétaire continue de soulever de nombreuses questions. Alors que l’inflation n’a cessé de croître depuis la mi-2019, la Banque centrale a décidé de maintenir son taux directeur (graphique 1). Celui-ci avait été baissé de 200 points de base en 2020 à 11,5% pour soutenir l’économie au plus fort de la crise. L’atonie de la croissance ne plaide pas pour un resserrement prématuré. En outre, l’inflation a commencé à montrer des signes de stabilisation depuis deux mois grâce au ralentissement des prix alimentaires (51,8% de l’indice). Néanmoins, elle reste très élevée à 17,9% en mai et l’inflation sous-jacente progresse encore (+13,7%). Si une partie du choc actuel sur les prix résulte de facteurs exogènes dont les effets commencent à s’estomper (contraintes d’offre alimentaire essentiellement, dévaluation du naira), l’absence de mandat clair sur les objectifs de la Banque centrale et la monétisation récurrente du déficit budgétaire contribuent aussi à alimenter les tensions inflationnistes.
La recherche de la stabilité du taux de change génère également d’importantes distorsions monétaires. Face à la chute des exportations pétrolières, les autorités ont cherché à protéger les réserves de change en rationnant l’accès à la devise et en ajustant le cours officiel du naira par deux fois en 2020 avant de le fusionner en mai 2021 avec le taux NAFEX (graphique 2). Celui-ci est utilisé pour la majorité des transactions commerciales et financières. Censé refléter l’équilibre des forces du marché, il reste néanmoins contrôlé par la Banque centrale. Désormais, le naira est coté à 410 NGN/USD contre 306 NGN/USD début 2020, soit une dévaluation de 25%. L’unification des deux taux constitue une avancée, bien que symbolique, dans la réforme du régime de change. Néanmoins, cela reste insuffisant. L’écart avec le taux parallèle continue de se creuser. La prime dépasse actuellement les 20%, reflet de la forte demande excédentaire de dollars alimentée notamment par des anticipations de dévaluation. Un nouvel ajustement du cours de la monnaie semble inévitable. En revanche, une flexibilisation accrue du régime de change est peu probable malgré l’insistance du FMI ou de la Banque mondiale. Cette dernière en aurait fait un prérequis pour débloquer un prêt de USD 1,5 md. Mais les autorités monétaires continuent de s’y opposer car elles considèrent que cela renforcerait la dynamique inflationniste. Ce point est discutable dans la mesure où des pans entiers de l’économie se sont déjà tournés vers le marché parallèle pour obtenir des devises fortes. De fait, la baisse de 16% des importations de biens a été relativement contenue en 2020 comparativement au précédent choc pétrolier. Elles avaient presque chuté de moitié entre 2014 et 2017.
Dynamique fragile des comptes extérieurs
La pression sur la liquidité extérieure devrait s’alléger mais ne pas disparaître. Selon les premières estimations de la Banque centrale, le déficit courant s’est sensiblement réduit au T1 2021 à USD 1,7 md contre USD 5,2 mds au trimestre précédent grâce essentiellement au rebond des transferts de la diaspora nigériane (deux tiers des recettes courantes non pétrolières, ce niveau reste néanmoins un quart inférieur à celui d’avant crise), et aux restrictions sur les voyages (plus d’un quart des dépenses courantes). En outre, l’économie nigériane a peu profité du rebond des cours du pétrole jusqu’à présent. Les exportations ont même baissé de 8,6% sur le trimestre en raison d’un effet de volume défavorable. Sous réserve que l’Inde (principal débouché du pétrole nigérian) ne retombe pas durablement dans la récession, la dynamique devrait donc s’améliorer dans les mois à venir sans pour autant permettre un rééquilibrage complet des comptes externes. Attendu à 1,8% du PIB en 2021, le déficit courant resterait ainsi élevé, mais en forte baisse par rapport à 2020 (4% du PIB).
L’horizon financier devrait aussi quelque peu se dégager. Les autorités s’apprêtent à émettre au moins USD 3 mds sur les marchés financiers internationaux. Avec un endettement extérieur du gouvernement de seulement 8% du PIB et des conditions financières qui se sont nettement détendues ces derniers mois, l’émission devrait être bien accueillie. Par ailleurs, l’allocation générale de DTS de la part du FMI pourrait également apporter au Nigéria entre USD 2,5 mds et USD 3 mds.
Au total, les réserves de change pourraient atteindre USD 38 mds à la fin de l’année, soit l’équivalent de 5,7 mois d’importations de biens et services. Si le niveau de liquidité extérieure peut donc apparaître confortable, une normalisation de la situation sur le marché des changes est encore loin d’être acquise. Les autorités monétaires devront déjà apurer un important stock de demandes de devises non satisfaites en 2020 (USD 2 mds pour les investisseurs non-résidents). La conjoncture actuelle y semble propice. Mais rien ne dit que ce sera suffisant pour restaurer l’attractivité de la place nigériane compte tenu des incertitudes sur l’évolution du régime de change. Or, le stock d’investissements de portefeuille demeure important malgré les sorties massives de capitaux au T1 2020. Fin 2020, il atteignait USD 27 mds (73% des réserves de change), dont plus de USD 11 mds de dette de court terme émise en monnaie locale. Comme, par ailleurs, le niveau des investissements directs étrangers est structurellement bas (USD 2 mds en moyenne sur les cinq dernières années), le Nigéria reste donc vulnérable financièrement, tant en termes de stock que de flux. Surtout, l’économie n’est pas à l’abri de corrections sur les prix du pétrole (plus de 90% du total des exportations).
Perspectives : risque de stagnation
Le faible niveau des revenus du gouvernement est une autre contrainte. En 2020, ces derniers se sont contractés de presque deux points de PIB en raison du retournement des cours du pétrole et du choc économique, pour atteindre seulement 6% du PIB. Malgré un plan de soutien budgétaire limité en 2020 (0,3% du PIB), le déficit a atteint 6% du PIB. Il est encore attendu à 4% au moins cette année en dépit de la hausse attendue des recettes pétrolières. En effet, les dépenses sont rigides et la fragilité du contexte socio-économique pousse les autorités à prendre des mesures coûteuses comme l’atteste la réintroduction des subventions pétrolières (environ 0,5 point de PIB). L’accumulation de déficits budgétaires ces dernières années est aussi allée de pair avec une croissance rapide de la dette et donc des charges d’intérêt. Ces derniers devraient absorber plus d’1/4 des ressources budgétaires en 2021 contre moins de 10% en 2014. Pour autant, la soutenabilité de la dette n’est pas en question puisqu’elle demeure encore à un niveau modéré (30% du PIB).
Au final, le rebond de l’activité serait très modeste en 2021 à 2,4% et la croissance resterait contrainte à 2-2,5% à partir de 2022. La progression du PIB demeurerait ainsi inférieure à celle de la population, ce qui est le cas depuis 2015. Une accélération des réformes est donc indispensable. Point positif, l’adoption du projet de loi sur l’industrie pétrolière n’a jamais paru aussi proche. Néanmoins, il est difficile, à ce stade, d’en déterminer son impact compte tenu des problèmes persistants de sécurité. En outre, cela ne règlera pas les problèmes de diversification de l’économie dont le développement est entravé par de multiples contraintes structurelles (infrastructures déficientes) et un cadre macroéconomique peu propice à l’investissement (inflation élevée, dysfonctionnement sur le marché des changes).