Eco Emerging

Des risques contenus en dépit des contaminations

12/07/2021

Après une contraction modeste de son activité en 2020, l’économie russe enregistre depuis le mois de mars 2021 un très net rebond de sa croissance, soutenue par le dynamisme de la demande intérieure et des exportations. La troisième vague épidémique en cours depuis le mois de juin, associée à la forte hausse des pressions inflationnistes et au durcissement de la politique monétaire qui en a découlé, devrait toutefois peser sur la reprise. Les risques sur l’économie restent néanmoins contenus. Les finances publiques bénéficient de la forte hausse des prix internationaux du pétrole et les risques de refinancement de la dette publique sont faibles en dépit des nouvelles sanctions américaines. Enfin, les réserves de change couvrent l’intégralité de la dette extérieure.

Net rebond de l’activité depuis le mois de mars

PRÉVISIONS

En 2020, en dépit d’un environnement particulièrement défavorable (baisse des prix des matières premières et de la production de pétrole dans le cadre des accords avec l’OPEP+), la contraction de l’activité économique est restée contenue à 3%. Néanmoins, la reprise a été plus progressive que dans de nombreux autres pays émergents. Au premier trimestre 2021, le PIB n’avait toujours pas retrouvé son niveau de la fin 2019.

INDICATEURS D'ACTIVITÉ

Depuis le mois de mars, l’activité a sensiblement accéléré, soutenue par le dynamisme des exportations, d’importantes dépenses d’investissement de la part du gouvernement et un retour de la confiance des entrepreneurs et des ménages. En mai, grâce principalement à un effet de base, la croissance a atteint 10,9% en g.a. selon le ministère du Développement économique, et les indicateurs d’activité du mois de mai sont très encourageants. La consommation des ménages est restée solide, favorisée par une baisse du taux de chômage à 4,9% (en mai), même si ce dernier est encore légèrement supérieur à son niveau d’avant-crise. Dans le même temps, les profits des entreprises ont continué leur progression, en particulier dans les secteurs manufacturier et minier mais aussi dans le commerce de gros et de détail. Les défaillances d’entreprises ont affiché un point bas jamais atteint depuis 2015. En revanche, les taux d’utilisation des capacités de production sont restés modestes (60% sur les cinq premiers mois de l’année 2021 alors qu’ils s’établissaient à 64% avant la crise de la Covid-19).

Lors du conseil de politique monétaire du mois de juin, la Banque centrale russe (CBR) estimait que l’économie russe pourrait atteindre son niveau qui prévalait avant l’épidémie de la Covid-19 dès le deuxième trimestre 2021. Deux risques pèsent toutefois sur la reprise sur la seconde partie de l’année 2021 : la troisième vague épidémique et la forte hausse des pressions inflationnistes.

Depuis le début du mois de juin, le nombre de personnes contaminées a sensiblement augmenté. Fin juin, les restrictions imposées par la situation sanitaire restaient modestes. Le gouvernement n’a pas établi de confinement au niveau national mais des restrictions au niveau régional ont été adoptées, interdisant les activités non essentielles à toute personne considérée comme non immunisée contre le virus. Par ailleurs, le gouvernement a accentué la pression sur la population, réticente à se faire vacciner. Les agents des services publics et ceux travaillant dans les services aux personnes devront être vaccinés au risque de perdre leur emploi. Fin juin, moins de 12% de la population était entièrement vaccinée.

Les pressions inflationnistes sont le second facteur pouvant fragiliser la reprise. En mai, la hausse des prix a atteint 6% en g.a. (contre 5,2% au début de l’année). Cette accélération reflète la forte augmentation des prix alimentaires (induite notamment par la hausse des prix internationaux des céréales) et énergétiques mais pas seulement.

En effet, l’inflation hors prix alimentaires et énergie affichait, elle aussi, une hausse de 6% en g.a. au mois de mai. Selon la CBR, la hausse des prix résulte, en partie, de l’accélération de la demande intérieure, qui a incité les entreprises à répercuter la hausse des coûts de production sur leurs prix de vente. Les anticipations inflationnistes des ménages restent, en outre, très élevées, bien qu’en légère baisse en mai par rapport au mois précédent alors même que le revenu réel disponible avait déjà enregistré une baisse de 3,6% au T1 2021.

Pour tenter de contenir les pressions inflationnistes, la CBR a relevé ses taux directeurs de 50 points de base lors du dernier comité de politique monétaire, les portant à 5,5%, et d’autres hausses de taux sont à prévoir d’ici la fin de l’année 2021.

Consolidation des finances publiques sur les cinq premiers mois de 2021

En 2020, les finances publiques, bien que fragilisées par la crise de la Covid-19, sont restées solides. Pour 2021, le gouvernement prévoit une réduction du déficit de 3,8% à 2,3% du PIB et une légère hausse de la dette à 20,4% du PIB. Néanmoins, ces prévisions pourraient être revues à la baisse au regard des résultats sur les premiers mois de l’année 2021. Par ailleurs, les prévisions du gouvernement reposent sur des hypothèses très conservatrices en matière de prix du pétrole (USD 43,5 le baril d’Oural alors qu’il a atteint en moyenne USD 61,6 entre janvier et mai 2021).

Sur les cinq premiers mois de l’année, les finances publiques se sont consolidées par rapport à la même époque l’année dernière. Elles ont enregistré un très léger excédent budgétaire en dépit d’une forte hausse des dépenses publiques (+10,3% en g.a.). Ces dernières ont atteint près de 42% de la cible annuelle (contre 37% en moyenne au cours des cinq dernières années). Les plus fortes augmentations portent sur les dépenses d’infrastructure et, dans une moindre mesure, sur les intérêts de la dette, bien que ces derniers restent extrêmement modestes (4,5% des recettes).

Dans le même temps, les recettes du gouvernement ont augmenté de plus de 18% pour atteindre près de 50% de la cible annuelle en raison, notamment, d’une très forte augmentation des revenus issus des activités liées au pétrole et au gaz (+28,4%), conjointement à la hausse des prix internationaux (le prix du baril d’Oural libellé en roubles a augmenté de près de 35% depuis la fin 2020) et des volumes exportés. Les revenus hors pétrole et gaz ont eux aussi enregistré une forte hausse (+13,4% par rapport à la même époque l’année dernière).

Sur l’ensemble de l’année 2021, le gouvernement prévoit de financer son déficit exclusivement en émettant de la dette libellée en roubles sur le marché local. L’adoption des dernières sanctions américaines interdisant aux investisseurs américains d’acheter de la dette du gouvernement russe sur le marché primaire a pris effet le 9 juin. Mais cela n’a pas entravé la capacité du gouvernement à émettre de la dette ; ses émissions sont restées très largement souscrites par les investisseurs depuis cette date. En revanche, depuis l’annonce des nouvelles sanctions, la part des obligations domestiques détenues par les investisseurs étrangers a fortement baissé pour n’atteindre plus que 19,5% fin mai (contre 31,8% il y a un an).

Le risque de refinancement de la dette est considéré comme faible. Hormis une structure de dette peu risquée (détenue à 63% par les résidents et libellée à 76% en roubles), le fonds de richesse national (National Wealth Fund) couvre l’intégralité des besoins de financement du gouvernement à horizon des deux prochaines années.

Les comptes extérieurs restent solides

En 2020, les comptes extérieurs de la Russie sont restés solides en dépit de la baisse de 1,5 point de pourcentage (pp) de l’excédent courant (à 2,3% du PIB) et des importantes sorties de capitaux de la part des investisseurs domestiques et étrangers (les investissements nets de portefeuille ont enregistré un déficit de 1,7% du PIB sur l’ensemble de l’année). Les investissements directs étrangers (hors réinvestissements), déjà structurellement faibles, ont également baissé de près de 68% sur l’ensemble de l’année pour atteindre moins de 0,6% du PIB.

Face à ces pressions sur ses comptes extérieurs, la banque centrale a laissé flotter plus librement le rouble pour préserver ses réserves de change, bien qu’elle ait vendu des devises pour le compte du ministère des Finances dès le mois de mars 2020 (conformément à la règle fiscale de février 20171). Sur l’ensemble de l’année, le rouble s’est ainsi déprécié de 15% face au dollar mais les réserves de change sont malgré tout consolidées.

INFLATION

Depuis le mois de janvier 2021, conjointement à la hausse des prix internationaux du pétrole, l’excédent courant a sensiblement augmenté (+24,7% sur les cinq premiers mois de l’année 2021). En revanche, les sorties de capitaux privés, bien qu’en baisse par rapport à la même époque l’année dernière, sont restées importantes au premier trimestre 2021 (USD 11,8 mds). Cependant, il s’agissait principalement de remboursements de dette de la part des banques. Dans le même temps, les achats de devises par la banque centrale ont repris : ils ont atteint plus de USD 10 mds au premier semestre 2021 (contre des ventes nettes de plus de USD 20 mds en 2020), limitant l’appréciation du rouble face au dollar à seulement 2,7% sur les six premiers mois de l’année.

En mai 2021, les réserves de change s’élevaient à USD 465 mds, l’équivalent de 17 mois d’importations, et couvraient ainsi l’intégralité de la dette extérieure du pays (USD 459 mds en mars 2021).

La Russie reste fortement exposée à la volatilité du prix des matières premières et vulnérable à une hausse de l’aversion au risque de la part des investisseurs étrangers induite notamment par un durcissement des sanctions américaines (les investissements de portefeuille de la part des non-résidents, bien qu’en baisse, s’élevaient encore à 17,3% du PIB fin 2020). Certes, la Banque centrale russe a prouvé sa capacité à gérer les tensions sur la liquidité extérieure mais le rouble sert de variable d’ajustement au risque de générer des pressions inflationnistes.

1 La règle fiscale de 2017 vise à réduire la sensibilité des finances publiques et du rouble aux prix du pétrole. Ainsi, lorsque les prix internationaux dépassent le prix fixé dans le budget, le ministère des Finances utilise ces excès de revenus pour alimenter le fonds de richesse national (en achetant des devises via la banque centrale). À l’inverse, en deçà d’un certain niveau de prix, le ministère des Finances vend des actifs liquides (en dollars) du fonds de richesse national pour couvrir ses besoins de financement.

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