Le rebond de l’activité à la suite du choc du Covid-19 a été particulièrement rapide, mais également caractérisé par des performances différenciées entre secteurs et entre composantes de la demande. La croissance de la production industrielle et des exportations a accéléré vigoureusement jusqu’au début de 2021 et se normalise maintenant progressivement. Le redressement dans les services et de la consommation privée a été plus lent et se révèle toujours fragile au second trimestre. En conséquence, les autorités devraient se montrer de plus en plus prudentes dans le resserrement de la politique économique. Le ralentissement du crédit et l’ajustement des déficits budgétaires devraient toutefois rester leurs priorités.
L’activité a fortement rebondi à la suite du choc du Covid-19 du début 2020, le PIB récupérant son niveau d’avant-crise dès la fin du T2 2020. Le rebond a atteint son pic en début d’année et les taux de croissance du PIB devraient se normaliser au cours des prochains trimestres.
Le rebond de l’économie s’est également caractérisé par des performances très différenciées entre secteurs et entre composantes de la demande. Ces déséquilibres sont encore visibles au T2 2021. En conséquence, de nombreuses sociétés, en particulier les PME du secteur des services, restent fragilisées, et le redressement du marché du travail est inachevé, ce qui, à son tour, freine la reprise de la demande des ménages.
Performances différenciées
D’une part, l’activité dans l’industrie a vite redémarré au printemps 2020, ce qui lui a permis de répondre à la forte hausse de la demande mondiale de biens manufacturés et de gagner des parts de marché. La croissance de la production industrielle et des exportations a ainsi accéléré fortement jusqu’au début de 2021.
Depuis mars, les effets de base se réduisent et les taux de croissance se normalisent, d’autant plus vite que les pénuries de certains intrants ont commencé à gêner l’activité. La croissance de l’industrie s’est établie à un taux (toujours robuste) de 9,3% en glissement annuel (g.a.) en moyenne en avril-mai, contre 24,5% au T1. Son évolution en valeur a moins ralenti du fait de la hausse rapide de l’inflation des prix à la production, passée de 1,7% en g.a. en février à un niveau historiquement élevé de 9% en mai. Les exportations de marchandises ont quant à elles augmenté de 30% en valeur en g.a. en avril-mai, contre 70% au T1. La croissance du secteur industriel et des exportations devrait continuer de se modérer progressivement dans les prochains mois.
D’autre part, l’activité dans les services, qui s’était contractée autant que dans l’industrie pendant la période de confinement en janvier-février 2020, a rebondi plus tardivement et moins vigoureusement. Elle a néanmoins retrouvé un taux de croissance supérieur à celui de l’industrie depuis le mois de mars (+15,4% en g.a. en avril-mai). De même, le redressement de la consommation privée se poursuit, mais la tendance a fléchi ces derniers mois. Les volumes des ventes au détail ont augmenté de 13% en g.a. en avril-mai (contre 33,5% au T1), soit une performance inférieure aux attentes.
Creusement des inégalités dans les villes
L’évolution du taux d’épargne des ménages témoigne de leur grande prudence. Selon nos estimations, il a augmenté de 34,6% du revenu disponible en 2019 à 37,7% en 2020, et ce surcroît d’épargne ne s’est que très partiellement résorbé jusqu’à maintenant.
La consommation privée est tout d’abord freinée par la persistance du risque sanitaire : l’épidémie est largement sous contrôle en Chine, mais des restrictions sur la mobilité – temporaires et localisées – sont régulièrement introduites en réponse à l’apparition de nouveaux cas de Covid-19. Ce risque devrait diminuer avec l’accélération en cours de la campagne vaccinale. Au 10 juin, 43% de la population avaient reçu au moins une dose de vaccin et 16% étaient entièrement vaccinés (cf. ourworldindata.org).
De plus, même si le chômage officiel continue de se réduire (le taux de chômage urbain établi sur la base de sondages est descendu à 5% en mai, soit le même niveau qu’en mai 2019), le marché du travail n’a pas retrouvé sa situation d’avant-crise. Le taux de précarité et de sous-emploi a augmenté, le chômage des jeunes est particulièrement élevé (13,8% en mai 2021, contre 10,5% en mai 2019), les créations d’emplois restent jusqu’à maintenant moins dynamiques (au T1 2021, elles étaient 8% inférieures au niveau du T1 2019).
Tout ceci ralentit le redressement des revenus des ménages, en particulier des plus modestes, qui sont aussi ceux qui ont subi les pertes les plus importantes pendant le confinement et accumulé le moins d’épargne en 2020. Ainsi, dans les zones urbaines, le revenu disponible par tête a baissé de 2,2% en termes réels pour les ménages à plus faibles revenus (après +5,2% en 2019) alors qu’il a augmenté de 2,3% pour les ménages à plus hauts revenus (+5,1% en 2019).
Le revenu réel moyen des travailleurs migrants a, quant à lui, quasiment stagné en 2020. Ce creusement des inégalités et les difficultés des ménages les plus modestes contribuent au retard du redressement de la consommation privée. En revanche, les inégalités de revenus entre zones urbaines et rurales se sont réduites pendant la crise sanitaire. En moyenne, en 2020, le revenu réel par tête a augmenté de 1,2% dans les villes et de 3,8% dans les campagnes. Le rapport entre les deux (de 2,6 en 2020) diminue lentement depuis plusieurs années et s’est encore réduit au T1 2021.
L’inflation des prix à la consommation reste très modérée et devrait peu peser sur les dépenses des ménages, même si elle accélère depuis trois mois (de -0,2% en g.a. en février à +1,3% en mai) après avoir ralenti tout au long de 2020 et début 2021. L’inflation des prix alimentaires (+0,3% en mai) devrait rester faible au moins jusqu’à l’automne après leur flambée aux S2 2019 et S1 2020, et les répercussions de la hausse des prix à la production sur les prix à la consommation sont très limitées. L’inflation sous-jacente accélère légèrement (+0,9% en mai) mais reste bien inférieure à son niveau d’avant-crise (elle était de 1,6% en 2019).
L’investissement dicté par la politique économique
L’investissement a rapidement rebondi à la suite de son effondrement au T1 2020 (-16% en g.a. en valeur), et sa croissance s’est établie à 3% sur l’ensemble de 2020. Elle a atteint des taux records en janvier-février 2021 (+35% en g.a.) du fait d’effets de base importants, mais elle est très vite retombée depuis (à +5% en g.a. en mai). Le redressement de l’investissement l’an dernier a été principalement tiré par les projets dans l’immobilier et les infrastructures publiques, encouragés par les mesures de relance. Étant donné le resserrement progressif des conditions de crédit depuis le T3 2020 et la modération des dépenses publiques, le ralentissement de l’investissement dans ces deux secteurs était attendu.
En revanche, l’investissement manufacturier a redémarré plus tardivement en 2020 et devrait encore se redresser en 2021, stimulé par le dynamisme des exportations et de l’activité industrielle, par des taux d’utilisation des capacités de production très élevés et l’amélioration des profits des entreprises. En dépit de sa performance récente plutôt décevante, nous continuons donc de tabler sur un renforcement de l’investissement manufacturier à court terme.
Retrait plus prudent des mesures de soutien
Les autorités ont ajusté leurs priorités au cours des derniers mois. Étant donné la bonne performance de l’économie après le choc du Covid-19, les mesures de soutien sont progressivement réduites. Cependant, les autorités reconnaissent aussi que la base du redressement de l’activité depuis un an est « instable » et vont probablement se montrer de plus en plus prudentes dans le resserrement de la politique économique.
Concernant les conditions monétaires et de crédit, la priorité est de ralentir la hausse de l’endettement et de combattre les risques d’instabilité financière, principalement via des mesures prudentielles. La croissance du total des crédits à l’économie (social financing) est passée de 13,7% en g.a. en octobre 2020 à 11% en mai 2021, du fait d’un léger fléchissement des prêts bancaires (60% du total), d’un ralentissement marqué des émissions obligataires et de la contraction des financements du shadow banking. Le crédit devrait continuer à ralentir à court terme. En particulier, les règles encadrant l’activité du secteur immobilier (transactions, financements des promoteurs, prêts hypothécaires) pourraient être davantage durcies. Dans le même temps, les taux d’intérêt directeurs devraient rester stables et la liquidité domestique sera maintenue à des niveaux suffisants pour soutenir l’investissement manufacturier, aider au redressement des PME et du secteur des services, et ne pas aggraver la hausse des risques de crédit. L’absence de fortes tensions inflationnistes et les pressions à la hausse sur le yuan devraient également inciter les autorités à ne pas bouger les taux.
Sur le plan budgétaire, la priorité est donnée à l’ajustement des comptes publics tout en continuant d’aider les entreprises les plus fragiles. En effet, les déficits budgétaires se sont considérablement accrus en 2020 : si le déficit « officiel » a simplement augmenté de 2,8% du PIB en 2019 à 3,7%, le déficit de l’ensemble des administrations publiques a, selon nos estimations, doublé en un an, passant de RMB 4600 mds à RMB 9200 mds, soit de 4,6% du PIB en 2019 à 9% en 2020. En outre, bien que la dette totale du gouvernement reste modérée (elle est passée de 17% du PIB fin 2019 à 21% fin 2020 pour l’État central, et de 21,6% à 25,3% pour les collectivités locales), sa charge est inégalement répartie. Surtout, les collectivités locales sont exposées à des risques contingents élevés associés à la dette des véhicules de financement et autres entreprises qu’elles détiennent (le FMI estime par exemple la dette des véhicules de financement à 38% du PIB fin 2020).
Signal d’un resserrement prudent, l’objectif de déficit officiel pour 2021 a été abaissé à 3,2% du PIB et le déficit total des administrations publiques devrait reculer légèrement à 7,5%. Les reports et exonérations d’impôts et de cotisations sociales doivent prendre fin, sauf pour les petites entreprises. Les dépenses publiques sont modérées, avec en particulier un ralentissement marqué de l’investissement dans les infrastructures depuis le début de l’année. Ceci participe à la fois aux efforts d’ajustement budgétaire et de réduction de l’endettement ; les nouvelles émissions obligataires des collectivités locales visant à financer les projets d’infrastructure ont de fait nettement reculé sur les premiers mois de 2021.