La Covid-19 n’aura été qu’un frein passager à la croissance polonaise. L’économie surperforme celles de ses voisins, avec une récession plus modérée en 2020 et un rebond plus précoce de l’activité. Le risque de crédit apparaît relativement bien contrôlé malgré une participation élevée des entreprises et des ménages au moratoire de remboursement sur les prêts. Les contraintes d’offre font même craindre un risque passager de surchauffe conjoncturelle avec une hausse de l’inflation. Mais le maintien d’un fort excédent courant et la bonne maîtrise de la dette publique sont des éléments stabilisateurs. Le potentiel de croissance reste inchangé même si la perspective d’une harmonisation fiscale internationale peut ralentir les investissements étrangers.
Déjà en surchauffe conjoncturelle ?
L’économie polonaise fait preuve d’un dynamisme remarquable. La contraction du PIB en 2020 aura été la plus faible parmi les pays d’Europe centrale et la croissance attendue pour 2021 et 2022 devrait être supérieure à ce qu’elle était avant la crise de la Covid-19. Le PMI manufacturier bat records sur records et la production manufacturière (plus de 30% du PIB) a constamment dépassé son niveau d’avant-Covid depuis octobre 2020. La consommation des ménages s’est révélée particulièrement résiliente, avec des ventes au détail qui sont revenues à leur niveau d’avant-crise dès le dernier trimestre 2020. La résurgence des contaminations et le renforcement des restrictions en mars et avril 2021 ont entraîné une perte d’activité. Toutefois, les ventes au détail ont rebondi dès le mois de mai.
La bonne performance de l’économie polonaise s’explique surtout par le dynamisme des exportations. Leur forte accélération au dernier trimestre 2020 se confirme depuis le début 2021 : elles sont non seulement nettement supérieures à celles de 2020 mais également à leur niveau (pré-Covid) de 2019. La Pologne bénéficie à plein d’une vague d’investissements élevés ces dernières années (notamment d’IDE étrangers), ce qui a élargi les capacités à l’exportation du pays.
Le dynamisme des exportations a permis de maintenir le compte courant en excédent (3,8% du PIB en 2021) malgré la reprise de la demande intérieure. En conséquence, les réserves de change atteignent désormais un niveau confortable de près de 6 mois d’importations.
Seule ombre au tableau, l’inflation a nettement accéléré. En mai, les hausses sur un an des prix à la production et des prix à la consommation ont atteint respectivement 6,5% et 4,8% contre 0,1% et 2,3% en décembre 2020. Ces tensions inflationnistes s’expliquent en partie par la hausse des prix du pétrole. S’y ajoutent un taux d’utilisation des capacités de production en net rebond, une rareté des facteurs de production (main d’œuvre, semi-conducteurs, plastiques, métaux) et des problématiques logistiques. Les entreprises sont confrontées à un risque de dégradation de leurs marges car la hausse de leurs coûts de production est plus rapide que celle de leur prix de vente.
En parallèle, les coûts de financement devraient croître. En effet, les tensions inflationnistes se répercutent également sur les taux d’intérêt : le taux des obligations d’État à 10 ans a atteint 1,65% le 2 juillet contre 1,15% à son plus bas fin janvier (même s’il reste inférieur à l’avant-Covid). Le comité de politique monétaire reste pour l’instant divisé sur l’opportunité d’un resserrement des taux directeurs, certains estimant que l’inflation sera transitoire. Mais les marchés semblent l’anticiper.
Finances publiques : dérapage transitoire
La dette publique a augmenté de près de 12 points de PIB en 2020, tant en raison du creusement du déficit public que des financements octroyés par des institutions publiques.
Toutefois, avec le redémarrage de l’économie et des capacités de production proches de leur pleine utilisation, la nécessité d’un soutien budgétaire s’est réduite et se limite désormais aux secteurs les plus affectés par les mesures de distanciation sociale. Le coût budgétaire des mesures de soutien devrait se limiter à 1,7% du PIB en 2021 contre près de 4,5% du PIB en 2020.
Nombre de mesures ont également été financées par le fonds de développement et la banque de développement publique BGK. Elles n’ont pas affecté le solde budgétaire mais ont contribué à la hausse de l’endettement public.
Le financement du déficit budgétaire et des mesures de soutien extrabudgétaires a été grandement facilité par l’achat de titres publics (et de titres garantis par l’État) par la banque centrale. Celle-ci détient désormais près de PLN 143 mds (6,2% du PIB) de dette publique à son bilan, soit près de la moitié de la nouvelle dette publique apparue depuis le début de la pandémie.
La Pologne devrait être parmi les principaux bénéficiaires de l’effort de relance européen. Le pays pourrait bénéficier de près de EUR 15 mds par an de subventions lors des deux premières années de mise en œuvre du nouveau budget pluriannuel (2021-27) de l’Union européenne, auxquelles pourraient s’ajouter des prêts si la Pologne retient cette option. Le temps de négociation préalable à la mise en œuvre du plan de relance européen (venant en sus des fonds structurels) devrait en décaler le versement effectif. Un versement légèrement retardé repousserait le soutien à la croissance. Ainsi, l’effet devrait en être plus conséquent en 2022 qu’en 2021, offrant un relai au rebond conjoncturel en cours lorsqu’il se sera probablement essoufflé.
Un risque de crédit relativement sous contrôle
Les autorités ont mis en œuvre un moratoire sur le remboursement des prêts des ménages et des entreprises, d’abord jusqu’en septembre 2020 puis limité aux entreprises (et nettement moins utilisé) au premier semestre 2021.
À fin mars 2021, 0,8% des prêts bénéficient encore d’un moratoire en cours. Toutefois, 13,5% de la valeur des prêts a, en sus, bénéficié d’un moratoire désormais échu. Sur ces derniers, le taux de créances douteuses atteignait 4,6%, soit à peu près le même taux que dans la moyenne européenne. Cette proportion est légèrement supérieure à celle qui prévaut sur l’ensemble des prêts (3,7%), par ailleurs globalement stable depuis un an alors même que les prêts des banques polonaises au secteur privé non financier n’ont pas augmenté (pas de dilution des créances douteuses).
Le provisionnement des créances soumises à moratoire a pesé sur la rentabilité des banques polonaises, dont le ROE (return on equity) s’est replié de 7,9% fin 2019 à 3,6% fin 2020. Le dossier des prêts résidentiels en franc suisse (CHF) les a également conduit à provisionner davantage : un avis de la Cour de justice européenne a ouvert la possibilité d’une annulation des prêts, ce qui a impliqué un nombre croissant de recours devant la justice polonaise. Bien que la Cour suprême polonaise doive encore statuer sur le sujet, les banques locales ont commencé à provisionner à hauteur de 30% de leur revenu net pour l’année 2020.
Pour autant, le système bancaire polonais reste bien capitalisé, avec une hausse du ratio de fonds propres qui atteint 17,8% à fin 2020. L’exposition du secteur bancaire aux activités immobilières (20% du portefeuille de prêts aux entreprises) a généré un taux limité de créances douteuses (3,2%).
Un potentiel de croissance peu affecté
La période de Covid-19 a, comme partout, marqué un coup d’arrêt aux gains de productivité (en raison de la sous-activité liée aux périodes de restriction même sporadiques). Mais rien ne suggère que le potentiel de croissance ait été durablement affaibli. Le chômage baisse (6,1% en mai 2021 contre 6,5% à son plus haut en février) mais il existe encore des capacités d’emploi non utilisées. De plus, la Pologne a continué de bénéficier en 2020 et sur les premiers mois de 2021 d’un montant d’investissements direct étrangers élevé, source à la fois d’extension des capacités de production et de gains de productivité.
La fiscalité, qui est un élément de l’attractivité polonaise, pourrait toutefois être remise en cause : en effet, la mise en place à partir de 2018 d’un système de zones économiques spéciales a conduit à une fiscalité nettement en deçà des 15% de taux minimal en cours de négociation au niveau international. Le pays en a bénéficié pour accueillir de nouveaux investisseurs dans l’industrie automobile, ainsi que dans les services aux entreprises : une attractivité qui ne s’est pas démentie depuis le début de la pandémie. De même, la Pologne fait partie des pays européens où la taxe sur les services digitaux est la plus faible (1,5%), alors qu’une harmonisation européenne devrait intervenir d’ici à 2023.