La situation sanitaire peine à s’améliorer aux Philippines. Après une deuxième vague particulièrement sévère, le nombre de nouveaux cas de Covid-19 semble s’être stabilisé, mais leur niveau reste élevé. Dans le même temps, le taux de vaccination complète est très faible, ce qui induit le maintien de contraintes sanitaires strictes qui pèsent sur la demande interne et le secteur du tourisme. Après un recul de plus de 9% du PIB en 2020, le rebond d’activité sera modéré en 2021. Cela dit, le potentiel de croissance reste élevé, les efforts de réforme entrepris au cours de la dernière décennie ayant porté leurs fruits.
Récession sévère en 2020
L’économie Philippine a été l’une des plus touchées de la région par la crise du Covid-19. L’arrêt brutal de l’activité, causé par les mesures sanitaires très strictes imposées dès la mi-mars 2020, a lourdement pesé sur la demande interne. L’investissement et la consommation privée ont reculé de 27% et 8% respectivement en 2020. Dans le même temps, les recettes du tourisme (qui représentaient près de 13% du PIB en 2019) ont chuté d’environ 80%.
Au total, en dépit du soutien massif des autorités (la banque centrale et le gouvernement ont mis en place des mesures représentant plus de 14% du PIB), le PIB réel a reculé de 9,3%. À titre de comparaison, le PIB des pays de l’ASEAN-5 a reculé de 3,4% en moyenne.
Difficile stabilisation de la situation sanitaire
La croissance devrait rebondir en 2021-2022, principalement portée par la reprise de la demande mondiale, le soutien de la politique publique et les effets de base, mais les risques restent très fortement orientés à la baisse.
La hausse du nombre d’infections à partir de la mi-mars a en effet interrompu la reprise d’activité observée depuis la fin du troisième trimestre. Après avoir été stable autour de 1?500 cas depuis mi-novembre, le nombre de nouveaux cas quotidiens a progressé très rapidement, pour atteindre près de 10 000 cas début avril 2021, soit un niveau nettement supérieur à celui atteint lors du premier pic, en août 2020 (4 500 cas). Après avoir été progressivement levées, des restrictions sanitaires ont donc de nouveau été imposées à l’ensemble du pays mi-mars (dont des mesures particulièrement strictes à Metro Manila, la région capitale nationale, qui représente plus de 70% du PIB). Les capacités hospitalières (et de réanimation) du pays restent par ailleurs très limitées.
Le PIB a de nouveau reculé au T1, de 12% en variation trimestrielle (t/t), après avoir enregistré une croissance de 16% t/t au T4, seul trimestre de croissance au cours de l’année 2020. Le rebond des exportations de biens et la bonne tenue de la demande publique (des mesures additionnelles ont été annoncées en mars 2021) n’ont pas permis de compenser le nouveau recul de la demande intérieure.
Les perspectives pour le reste de l’année 2021 restent mitigées : d’une part, le nombre de nouveaux cas quotidiens décroît depuis la mi-juin mais reste relativement élevé (il était inférieur à 5 500 au début du mois de juillet), d’’autre part, le taux de vaccination reste faible (2,6% de la population avait reçu deux doses de vaccin le 5 juillet), le gouvernement ayant rencontré de nombreuses difficultés d’approvisionnement. La campagne de vaccination devrait cependant accélérer au cours du deuxième semestre (notamment grâce à une quantité importante de doses reçues via le système COVAX). L’objectif du gouvernement est de vacciner 65% de la population d’ici le 31 décembre 2021.
Le déséquilibre entre nouvelles contaminations / taux de vaccination pourrait donc être long à résorber, ce qui imposerait la prolongation des contraintes sanitaires. La demande interne et le secteur du tourisme devraient donc rester durablement pénalisés.
Les fondamentaux macroéconomiques restent solides
Cela dit, en dépit de l’ampleur du choc et des perspectives de reprise modérée à court terme, les fondamentaux macroéconomiques restent solides.
La vulnérabilité externe est ainsi demeurée très faible en 2020, et pourrait diminuer encore : le peso s’est légèrement apprécié contre le dollar, le montant des réserves de change a progressé, et le solde courant a été positif (3,6% du PIB) pour la première fois depuis 2015, la chute des importations et la relative bonne tenue des transferts des travailleurs étrangers ayant largement compensé la baisse des exportations. L’excédent courant devrait diminuer au cours des prochains trimestres, les importations se redressant en ligne avec le rebond d’activité. À terme cependant, la compétitivité de l’économie devrait permettre de renforcer encore davantage les exportations du pays (de services, notamment).
Après avoir diminué en 2019-2020, les investissements directs étrangers (IDE) devraient augmenter de nouveau, sous l’impulsion de nouvelles mesures mises en place par le gouvernement. D’après l’OCDE, et en dépit de réformes régulières depuis 2016, les Philippines disposaient toujours en 2019 du cadre le plus restrictif des pays de l’ASEAN en matière d’IDE (concernant les seuils autorisés pour les participations étrangères, les mécanismes de filtrage ou d’autorisation, les restrictions à l’emploi d’étrangers à des postes clés, et les restrictions à l’exploitation). Cette observation était valable dans quasiment tous les secteurs, y compris dans les projets d’infrastructures pourtant mis en avant par le gouvernement (transport maritime, transport routier, télécommunications fixes et mobiles par exemple).
L’adoption de la loi Corporate Recovery and Tax Incentives for Enterprises (CREATE), en mars 2021, devrait participer à l’amélioration du climat des affaires et faciliter les projets d’investissements privés, domestiques et étrangers. Entre autres incitations, la loi propose une réduction de l’impôt sur les sociétés (actuellement le plus élevé des pays de l’ASEAN) de 30% à 25% (la baisse est rétroactive depuis le mois de juillet 2020). Les entreprises étrangères bénéficieront ensuite d’une baisse de 1 point par an, pour arriver à 20% en 2027, tandis que les PME locales bénéficient d’ores et déjà d’une baisse du taux d’imposition à 20%. Plusieurs autres projets de loi sont en discussion.
De la même manière, les réformes fiscales entreprises au cours de la dernière décennie ont porté leurs fruits. Au début de l’année 2020, les marges de manœuvre budgétaires étaient suffisamment importantes pour permettre un soutien massif à l’économie et au système de santé.
Le déficit public a augmenté significativement en 2020 (à 7,5% du PIB en 2020, contre 3,5% en 2019) et restera élevé en 2021-2022. Il devrait néanmoins se résorber progressivement avec l’arrêt des mesures de soutien et le rebond de l’activité. En outre, de nouvelles mesures d’amélioration de la collecte des impôts ont été mises en place en 2020. Elles visent à compenser en partie l’augmentation des dépenses relatives à la crise du Covid-19 à court terme et la diminution de revenus consécutive à la baisse de l’impôt sur les sociétés, induite par la loi CREATE, à moyen terme. La consolidation pourrait toutefois prendre du temps, et la tenue de l’élection présidentielle en 2022 introduit une incertitude quant à la politique économique qui sera menée par le prochain gouvernement.
La dette publique s’est établie à près de 55% du PIB en 2020 (elle était inférieure à 40% en 2019) et devrait augmenter davantage en 2021-2022. L’année 2020 a donc « effacé » plus de 10 années consécutives de consolidation (la dette publique représentait 52% du PIB en 2009), mais le profil de la dette est nettement plus favorable aujourd’hui (maturités plus longues, large part de la dette émise sur le marché local, part de la dette en devises en nette baisse). En outre, la banque centrale a annoncé qu’elle poursuivrait au moins jusqu’à la fin de 2021 le programme de rachat d’actifs initié début 2020, de manière à aider le gouvernement à couvrir ses besoins de financement.
Enfin, le potentiel de croissance reste très élevé (estimé à 6,5% par an) et, surtout, il ne s’est pas dégradé en dépit de l’ampleur du choc. L’économie est diversifiée, la population jeune, et les efforts de réforme, maintenus en 2020, permettront de soutenir la productivité à moyen-long terme. Par ailleurs, le taux de chômage a continuellement baissé de 2005 à fin 2019, signalant un renforcement du marché du travail en dépit d’une population en âge de travailler toujours en croissance.