Le rebond de l’économie roumaine est spectaculaire. Le PIB a déjà retrouvé son niveau pré-Covid et la croissance économique devrait être de 8,2% en 2021. Mais cette performance s’accompagne de déficits budgétaire et externe élevés. En conséquence, la dette publique ne devrait pas se réduire à horizon 2022, contrairement aux autres pays d’Europe centrale. Les emprunteurs qui ont bénéficié d’un moratoire sur les remboursements de dette présentent un taux de créances douteuses élevé (10,9%). Le système bancaire devrait pouvoir les absorber. Cependant, la croissance débridée du crédit à l’immobilier mérite d’être surveillée.
Déjà de retour à l’activité d’avant-Covid
Le PIB de la Roumanie a retrouvé dès le 1er trimestre 2021 le niveau qu’il avait atteint avant la pandémie : c’est le premier pays d’Europe centrale à y parvenir. L’activité est soutenue par la consommation des ménages, avec des ventes au détail supérieures de 3,4% en avril 2021 à leur niveau d’avant-Covid.
Les exportations contribuent de façon croissante au momentum de croissance. Elles sont supérieures de 10% en mars-avril 2021 à leur niveau de 2019 et sont à l’origine de la forte progression de la production manufacturière en avril (6,2% sur un mois).
La Roumanie devrait continuer de bénéficier d’une croissance vigoureuse, grâce en particulier à l’allègement des restrictions consécutives aux deux vagues de Covid-19, au 4e trimestre 2020 et au 1er trimestre 2021, et à un environnement international porteur.
L’inflation a augmenté à 3,7% en mai 2021, un niveau élevé voisin de celui connu avant l’épidémie. La première cause est un effet de base : certains biens ont vu leur prix baisser pendant la pandémie et retrouvent progressivement leur niveau antérieur. C’est le cas notamment des prix du pétrole. La banque centrale a déjà communiqué sur un resserrement monétaire à venir, mais une inflation un peu plus basse que dans les pays voisins et un taux de chômage encore supérieur à son niveau d’avant crise (5,7% en avril 2021, contre 3,8% début 2020) lui ont permis de temporiser. Toutefois, les pressions inflationnistes devraient se renforcer d’ici à fin 2021.
La croissance roumaine n’est pas exempte de déséquilibres. Le pays a vu ses déficits jumeaux, budgétaire et externe, se creuser à partir de 2017. La pandémie a aggravé le solde budgétaire, tout en stabilisant le déficit courant (baisse des importations de biens). Toutefois, avec le retour à la normale de l’activité (et la hausse du cours du pétrole), ce dernier devrait de nouveau se creuser à 6,5% du PIB en 2021.
Une marge de manœuvre budgétaire moindre
Le creusement du déficit public est préexistant à la période de Covid-19 et aurait dû donner lieu à l’examen d’une procédure de déficit excessif par les instances européennes. Les revalorisations successives des retraites (14% en septembre 2020, après +15% en 2019) risquaient de maintenir le déficit public au-delà du seuil de 3% du PIB même une fois toutes les conséquences budgétaires à long terme de la crise sanitaire absorbées. Toutefois, le respect de la règle des 3% de déficit budgétaire a été suspendu avec le déclenchement de la pandémie, et ce pour plusieurs années.
L’annulation en janvier 2021 par la Cour constitutionnelle de la hausse additionnelle programmée des retraites de 40% devrait permettre de limiter la détérioration du déficit. Pour autant, la dette publique devrait continuer d’augmenter d’ici à fin 2022, malgré une forte croissance nominale du PIB. Contrairement à d’autres pays d’Europe centrale, la consolidation budgétaire devrait être plus lente.
Nombre de mesures introduites en 2020 ont en effet été reconduites en 2021, dont le report de paiement des taxes. À cela s’ajoutent les garanties publiques octroyées sur des prêts, qui atteignent 4% du PIB et portent pour l’essentiel sur des prêts remboursables entre 2023 et 2025.
De plus, la charge d’intérêt (4,8% des recettes budgétaires et 1,1% du PIB en 2019) devrait s’alourdir. En sus d’une dette en augmentation, le gouvernement roumain fait face à un coût de la dette structurellement plus élevé. Le taux à 10 ans en RON atteint 3,4% au 1er juillet 2021, un niveau qui a augmenté de 60 points de base depuis février et pourrait encore croître en raison du resserrement monétaire anticipé à la suite de l’accélération de l’inflation. La charge d’intérêts devrait atteindre 2% du PIB d’ici à 2025. La hausse du coût de financement en monnaie locale incite le gouvernement à utiliser le marché euro-obligataire, ce qui fait croître la proportion de dette publique en devises (près de la moitié).
De plus, le risque d’un dérapage budgétaire reste présent. Le gouvernement de coalition mis en place à la suite des élections de décembre 2020 a confirmé la domination du PNL (parti libéral), avec Florin Citu en tant que Premier ministre. L’objectif d’une consolidation budgétaire à terme est affiché. Toutefois, le précédent gouvernement, déjà dominé par le PNL, n’avait pu empêcher le vote par le Parlement d’une hausse des pensions plus conséquente (hausse de 40% évoquée plus haut et annulée par la suite par la Cour constitutionnelle). La fragilité des coalitions implique un risque à la hausse tant sur le déficit que sur la dette publique à l’avenir.
En termes de financement, le soutien de la banque centrale a été limité car ses achats de dette publique (0,4% du PIB) visaient simplement à lisser la liquidité du marché secondaire et pas à financer la dette publique. La mise en œuvre du budget européen pour 2021-27 et celle du plan de relance européen devraient être une manne financière plus importante avec le décaissement cumulé potentiel de EUR 8 mds par an en 2021 et 2022 sous la forme de subventions, soit l’équivalent de près de la moitié des projections de déficit budgétaire pour 2021 et 2022.
Risque de crédit : gérable pour le moment, mais des points de vigilance
Le gouvernement a accordé au secteur privé non financier un moratoire sur le remboursement des prêts. Les demandes ont pu être adressées initialement jusqu’à fin 2020, limite qui a ensuite été prorogée jusqu’à fin mars 2021 (avec une période de grâce maximale de 9 mois sur les échéances de remboursement).
Après avoir atteint 6% à son maximum en juin 2020, la proportion de prêts sous moratoire est désormais résiduelle. Peu d’emprunteurs ont utilisé la fenêtre ouverte par la prorogation et la quasi-totalité des prêts ayant bénéficié du moratoire sont désormais de nouveau remboursables. Le taux de créances douteuses sur ces prêts était tout de même de 10,9% à fin mars 2021, contre 4,5% en moyenne dans l’Union européenne. Toutefois, la proportion de créances douteuses sur l’ensemble des prêts des banques roumaines est restée stable, à 3,9%, à cette même date le risque sur les prêts soumis à moratoire ayant été compensé par l’accroissement naturel du crédit (+10% en mai 2021). De plus, 61% des créances douteuses apparues à la suite du moratoire sont couvertes par des provisions, l’un des taux les plus élevés d’Europe.
Les banques roumaines ont vu leur rentabilité se redresser nettement, avec un ROE (return on equity) de 17,1% en mars 2021. Elles bénéficient de la suppression de la taxe bancaire (supprimée en janvier 2020, mais encore payable en 2020 sur les actifs financiers nets déclarés pour 2019) et retrouvent un niveau de rentabilité proche de celui qui prévalait avant son introduction. Le ratio de fonds propres a augmenté pour atteindre près de 22% en mars 2021. Les pertes consécutives au moratoire apparaissent donc absorbables pour les banques roumaines.
Il pourrait en aller différemment des risques générés par la croissance naturelle du crédit dont la majeure partie provient des crédits immobiliers aux ménages. Ceux-ci ont augmenté de près de 12% par an en moyenne sur les dix dernières années et devraient encore augmenter de près de 18% en 2021. Avant la crise de la Covid-19, en 2019, le ratio de dette sur revenu des ménages était limité à 24%, ratio qui s’est probablement détérioré. Par ailleurs, d’après l’Autorité bancaire européenne l’exposition des banques roumaines aux entreprises immobilières a généré davantage de créances douteuses fin mars 2021 (13,9%) que dans la moyenne européenne (2,5%).