Après avoir payé un lourd tribut à l’épidémie de Covid-19, le Royaume-Uni se relève. Forte d’une population adulte vaccinée à plus de 80%, son économie a pu rouvrir, jusqu’à fonctionner quasi normalement durant l’été, malgré la propagation d’un variant « Delta » très contagieux du coronavirus. Convalescents, disposant encore de capacités réduites, les hôtels, cafés, restaurants ont eu du mal à satisfaire la demande, et des tensions sur les prix sont apparues. Alors qu’elle bute sur des contraintes d’offre, la reprise se voit, par ailleurs, retirer ses béquilles budgétaires, le gouvernement de Boris Johnson ayant décrété la fin du « quoi qu’il en coûte ». Euphorique, le climat des affaires britannique va par conséquent s’assagir quelque peu.
Le Royaume-Uni revient de loin. Accueillie avec désinvolture par son premier ministre Boris Johnson, puis forçant ce dernier à des restrictions de plus en plus dures, l’épidémie de Covid-19 aura causé la pire récession de son histoire (une chute de 9,8% du PIB en 2020) et le décès de 135 000 personnes, l’un des plus lourds bilans parmi les pays avancés.
Désormais forte d’une population adulte vaccinée à plus de 80%, l’Ile est toutefois en bonne voie de rétablissement. Bien qu’aux prises avec un variant « indien » (rebaptisé « Delta ») 40% à 60% plus contagieux que son prédécesseur « anglais » (rebaptisé « Alpha »), le système hospitalier n’a enregistré qu’une remontée limitée des cas graves (800 admissions quotidiennes au maximum, contre près de 4 000 lors du pic de la précédente vague). Rouverte par étapes depuis février, l’économie s’est spectaculairement redressée, jusqu’à rapidement buter sur des contraintes d’offre.
Tensions sur l'offre et les prix
Parce qu’il marque la fin d’un confinement sévère - plus sévère encore que celui imposé lors de la première vague épidémique du printemps 2020 - le deuxième trimestre de 2021 est aussi celui d’une catharsis, qui a vu la consommation des Britanniques bondir de plus de 30% en rythme annualisé, et l’activité faire mieux qu’effacer ses pertes du début d’année. Comme partout où les ménages ont bénéficié de transferts importants mais furent entravés dans leurs dépenses, un surplus d’épargne s’est formé, qui se déverse aujourd’hui dans l’économie (graphique 2). La pression de la demande est telle que l’offre peine à y répondre : dans les transports, sur les chantiers ou le long des chaines d’assemblage, les délais s’allongent, des goulots d’étranglement se forment. Les entreprises expriment des difficultés à recruter, y compris dans les secteurs convalescents du tourisme et des loisirs, où les vacances de postes n’ont jamais été aussi nombreuses. Certes, le phénomène n’est pas propre au Royaume-Uni.
La pénurie mondiale de composants, dont le premier fournisseur, l’Asie, se débat encore avec le virus, l’engorgement du trafic maritime, la pression exercée par la Chine et les États-Unis sur le marché des matières premières, font qu’il se manifeste un peu partout. Mais outre-Manche, il est accentué par le Brexit, dont les effets indésirables deviennent palpables. Avec le retour des barrières à l’immigration en provenance de l’Union européenne (visas, autorisations de travail, etc.), les entraves aux embauches, et donc à la reprise, ne sont pas que conjoncturelles. Selon la Confederation of British Industry, elles pourraient durer deux ans1. Les tensions sur l’offre transparaissent désormais dans les prix. Mesurée à 3,2% en août, l’inflation a déjoué les pronostics et retrouvé son plus haut niveau depuis 2012. Si des effets de base sont en cause2 , le rebond s’explique aussi par le fait que les cafés, hôtels restaurants, en capacités réduites, n’ont eu d’autre choix que de relever leurs tarifs pour répondre à l’afflux de clients. La reprise des déplacements s’est également illustrée par des fortes tensions sur le prix des véhicules, notamment d’occasion, à l’image de ce qui s’est passé aux États-Unis il y a quelques mois.
Des hausses de TVA s’annonçant (cf. infra), la Banque d’Angleterre (BoE) s’attend à ce que l’inflation atteigne 4% en fin d’année et dépasse ainsi largement son objectif de 2%. Elle juge cependant la dérive transitoire, et conditionne la remontée de son taux directeur, actuellement fixé à 0,10%, au plein rétablissement de l’économie. Nous n’y sommes pas. Si, à mi-parcours de 2021, l’activité se rapproche de son niveau pré-pandémique, un peu plus de quatre points de PIB l’en séparent encore. Les derniers mètres risquent, en outre, d’être les plus difficiles à parcourir, le gouvernement de Boris Johnson ayant entrepris de débrancher les perfusions budgétaires dès cet automne, puis d’augmenter les prélèvements sociaux à partir d’avril 2022 (cf. encadré).
Fin du « quoi qu'il en coûte »
Au Royaume-Uni comme dans la plupart des pays avancés dits « libéraux » (États-Unis, Canada, Australie…), l’effort budgétaire déployé par l’État durant la crise sanitaire est venu compenser la relative faiblesse des amortisseurs sociaux et s’est révélé particulièrement important. D’après les estimations du Fonds monétaire international (FMI) ce ne sont pas moins de 340 milliards de livres ou 16 points de PIB qui ont été transférés dans l’économie en 2020-21, un record en Europe3 . Si le « quoi qu’il en coûte » se justifie désormais moins, son arrêt aura donc tout de même valeur de test. Il a déjà commencé. Fin septembre, le gouvernement a mis fin aux principaux dispositifs de maintien dans l’emploi qu’ont représenté le Coronavirus Job Retention Scheme (CJRS) et le Self-employed Income Support Scheme (SEISS). Depuis leur mise en place, en mars et avril 2020, les deux programmes auront bénéficié à quelque 14,5 millions d’actifs (salariés et indépendants) et largement contribué à limiter la hausse du chômage, dont le taux a à peine dépassé 5% au plus fort de la crise. Rendue possible par l’amélioration de la conjoncture, leur expiration ne signifie pas moins, pour 1,5 million de personnes encore en « congés » dans les entreprises, un délicat retour à la réalité, dont on peut espérer qu’il sera facilité par l’actuelle pénurie de main d’œuvre.
Le retrait des perfusions ne s’arrête pas là. Avec les aides à l’emploi, disparaissent aussi pour quelque 6 millions de citoyens britanniques la bonification de 20 livres par semaine du crédit universel (universal credit), ainsi que, pour l’ensemble des ménages, la TVA réduite sur l’hôtellerie-restauration (remontée de 5% à 12,5% en octobre 2021 puis à 20% en avril 2022) ou encore l’abattement spécial appliqué aux droits de mutation, déjà passé de 500 000 à 250 000 livres en juillet, et qui reviendra à 125 000 livres en octobre. Déjà perceptible à travers la retombée des transactions immobilières ou des indices d’enquêtes auprès des directeurs d’achats (graphique 3), l’assagissement de la conjoncture épouse logiquement le tournant de la politique gouvernementale. Traduit en chiffres de croissance, il devrait surtout être perceptible en fin d’année, lorsque la remontée de l’inflation aura pour conséquence d’affaiblir le pouvoir d’achat des ménages.