Bien que de manière inégale, l’économie des États-Unis a, somme toute, très vite effacé ses pertes liées à l’épidémie de Covid-19. Alimentée par des transferts fédéraux exceptionnels, la consommation privée a connu un redressement spectaculaire, jusqu’à provoquer le trop-plein. Confrontées à une pénurie mondiale de composants, peinant aussi à recruter, les entreprises ont du mal à répondre à la demande. Les prix sont sous tension. Pour la Réserve fédérale, l’heure du retrait des perfusions monétaires est venue. Quant à la poursuite des grands travaux budgétaires, elle reste suspendue à l’accord des républicains concernant le « plafond » de la dette, qui vient d’être atteint, et doit être relevé.
Connue pour sa plasticité, chauffée à blanc par 5 000 milliards de dollars (USD 5000 mds) de transferts budgétaires, l’économie des États-Unis aura finalement mis peu de temps - à peine plus de trois trimestres – pour effacer les pertes occasionnées par l’épidémie de coronavirus (graphique 1).
Au printemps 2021, bon nombre de ses secteurs avaient retrouvé, sinon dépassé, leurs chiffres d’affaire de 2019, les activités récréatives et de transport faisant encore exception. Avec la levée de tout ou partie des entraves aux déplacements, celles-ci commencent toutefois à récupérer, jusqu’à rencontrer des problèmes de capacité. Les prix augmentent, actuellement à une vitesse de 5% par an, ce qui ne s’était plus vu depuis 2008.
Après avoir très tôt parié sur la reprise et épousé une courbe verticale, la Bourse américaine se focalise sur l’insuffisance de l’offre, le sursaut de l’inflation, et ses conséquences pour la politique monétaire.
Euphorique jusqu’en milieu d’été, le climat des affaires se tempère quelque peu, à l’image des anticipations de croissance, ramenées de 7% à 6% en moyenne pour l’année 2021. Dernier sujet de préoccupation : l’affrontement politique autour du plafond de la dette, qui, à défaut d’être suspendu ou relevé, pourrait sérieusement compromettre la reprise.
Passe d’armes budgétaire
Avec la crise du coronavirus, la dette fédérale des États-Unis a connu une augmentation considérable, de 25% en à peine deux ans, un record (graphique 2). Évaluée à USD 28 780 mds (USD 22 500 mds ou 103% du PIB hors détention intra-gouvernementale), celle-ci dépasse d’ores et déjà le plafond autorisé de USD 28 500 mds, que le Congrès va donc devoir relever ou suspendre. Problème, alors qu’il n’a longtemps été qu’une formalité, le relèvement du plafond de la dette est devenu l’enjeu d’un affrontement politique entre démocrates et républicains, ceci depuis que le Tea Party l’a instrumentalisé en 2011, pour s’opposer au président Barack Obama. Un accord de dernière minute fut alors trouvé en échange de concessions budgétaires, l’épisode valant tout de même aux États-Unis la dégradation de leur note souveraine, ramenée de « AAA » à « AA+ » par Standard & Poor’s.
Dans une lettre adressée au Congrès le 19 septembre dernier, la secrétaire au Trésor Janet Yellen exprimait son inquiétude quant à la répétition d’un tel mauvais feuilleton, précisant que, en l’absence de décision sur la dette, l’État fédéral se trouverait à cours de liquidité « dans le courant du mois d’octobre ».
Outre la fermeture probable des services de l’État (« shutdown »), l’impossibilité pour le Trésor d’émettre davantage entrainerait de facto un défaut de paiement aux conséquences « irréparables pour l’économie », selon les termes de Mme Yellen.
Pour l’heure, le blocage provient du Sénat et du parti républicain, dont les votes sont nécessaires pour relever ou suspendre le plafond de la dette (la décision nécessite une majorité qualifiée de 60 voix, les démocrates n’en disposant que de 50). Alors que les autorisations d’emprunt sont supposées couvrir des dépenses déjà entérinées, les républicains veulent les relier à la partie non encore votée du « Build Back Better Plan » (qui regroupe l’ensemble du paquet budgétaire « Biden »), dans l’espoir de l’influencer.
De quoi s’agit-il ? Toutes les mesures pour lesquelles un accord bipartisan n’a pas été obtenu ou demeure improbable ont été regroupées dans une loi dite « de réconciliation » telle que la majorité simple au Sénat, détenue par les démocrates, suffirait à les faire passer. D’un montant total de USD 3 500 mds (étalés sur dix ans), celles-ci visent pour l’essentiel à :
-Renforcer le système public de santé, en pérennisant par exemple l’aménagement de l’Affordable Care Act (Obamacare) contenu dans l’American Rescue Plan (augmentation de la part fédérale des primes d’assurance-maladie), ou encore en étendant le champ des soins couverts par Medicare (destiné aux 65 ans et plus) ;
- Promouvoir la transition écologique via des aides à la rénovation thermique des bâtiments, à la conversion aux énergies renouvelables, à l’achat de véhicules électriques. Se retrouvent ici, pratiquement dans leur intégralité, les mesures du plan d’infrastructures (ou American Jobs Plan) non retenues dans l’accord bipartisan du 24 juin ;
- Soutenir les familles, en particulier modestes et moyennes, en pérennisant les hausses de crédits d’impôts (enfants et individuels) votées dans l’American Rescue Plan, en donnant l’accès gratuit aux écoles maternelles ainsi qu’aux Community Colleges (établissements publics d’enseignement post-bac), ou encore en élargissant l’accès au programme EBT (Electronic Benefits Transfer) d’aide alimentaire aux élèves. Se retrouvent ici, à nouveau presque dans leur intégralité, les mesures de l’American Families Plan présentées en avril dernier.
L’opposition républicaine à la loi de réconciliation argue du fait que celle-ci ne fera qu’alourdir davantage la dette fédérale, ce qui n’est pas tout à fait vrai. En contrepartie des augmentations de dépenses (pour certaines assimilables à de l’investissement), la commission « moyens » de la chambre des représentants (démocrate) prévoit une réforme fiscale ambitieuse, telle qu’environ les deux tiers du dispositif seraient couverts.
D’après les estimations du Committee for a Responsible Federal Budget les mesures de financement accompagnant le dernier volet du Build Back Better Plan génèreraient pour l’État fédéral un surcroît de recettes de quelque USD 2 300 milliards sur dix ans. Elles consisteraient, pour l’essentiel, à porter de 21% à 26,5% le taux de l’impôt sur les sociétés, ou encore de 37% à 39,5% le taux supérieur de l’impôt sur les revenus, à supprimer l’abattement « Trump » de 20% sur les revenus des sociétés de personnes (pass-trough entities), ou enfin à accroître la base comme le taux d’imposition des bénéfices réalisés à l’étranger (qui serait porté à 16,5% contre 10,5% actuellement).
Au moment d’écrire ces lignes, la guerre des nerfs entre républicains et démocrates sur le terrain budgétaire affectait moins la conjoncture et les marchés que la question des pénuries de composants ou de main d’œuvre. La récupération de l’emploi allait bon train (4,7 millions de postes ont été créés depuis le début d’année) et était jugée suffisamment satisfaisante par les membres de la Réserve fédérale pour franchir le pas de la normalisation monétaire (cf. notre encadré).