Malgré un premier semestre décevant sur le front de la croissance économique, l’Espagne connaîtra, sauf dégradation de la situation sanitaire, un rebond d’activité important au second semestre 2021. La fréquentation touristique se rétablit (mais reste historiquement basse) tout comme l’emploi. Les risques inflationnistes s’intensifient cependant. La hausse spectaculaire des prix de l’énergie a contraint le gouvernement à prendre des mesures drastiques pour alléger la facture des ménages, au prix de dépenses budgétaires plus importantes. Dans ce contexte encore incertain, et bien que la situation sanitaire soit pour le moment plus favorable (soutenue par un niveau de vaccination élevé), le budget pour 2022, dévoilé cet automne, restera sans nul doute expansionniste. L’objectif du gouvernement socialiste sera avant tout de consolider la reprise économique, en protégeant notamment le pouvoir d’achat des ménages, face à la hausse des coûts de l’énergie.
Nul doute que les chiffres de la croissance pour le T2 2021 ont déçu. Après révision, le PIB réel n’a enregistré qu’une hausse de 1,1% t/t, un rebond bien moins prononcé que la première estimation fournie par l’INE (+2,7% t/t), et qui fait suite à une contraction au T1 (-0,2% t/t).
La consommation des ménages s’est rétablie moins fortement que prévu. Le chemin à parcourir avant une normalisation de l’ensemble des pans de l’économie reste donc important. La consommation privée pourrait, de plus, être freinée par plusieurs facteurs dans les prochains mois : la montée de l’inflation (ci-après) mais également les problèmes d’approvisionnement qui frappent l’industrie, et notamment le secteur automobile. Les ventes de nouveaux véhicules automobiles en Espagne ont chuté de moitié entre avril et août 2021. Enfin, l’incertitude pèse sur l’évolution de l’épargne accumulée par les ménages durant cette pandémie – près de EUR 117 mds selon les estimations de la Banque d’Espagne – dont la baisse pourrait être assez longue à se matérialiser.
Le net redressement du marché du travail opéré depuis le printemps offre cependant des perspectives encourageantes. Plus de 400 000 postes ont en effet été pourvus depuis avril1, et l’emploi se situe désormais très légèrement en dessous de son niveau d’avant-pandémie.
Le taux de chômage reste, pour sa part, toujours au-dessus de son niveau du début de l’année 2020 (14,3% en juillet contre 13,7% en février 2020) en raison de la hausse de la population active. Une part importante des nouvelles embauches étant de nature saisonnière, il faudra néanmoins attendre l’évolution de l’emploi au cours de l’automne pour juger plus précisément de la vigueur de cette reprise. Conséquence du retour à l’emploi, le nombre de personnes couvertes par un dispositif ERTE de chômage partiel a chuté en août à son plus bas niveau depuis le début de la pandémie (272 190).
L’amélioration du marché du travail offre un peu d’air aux finances publiques – notamment celles du gouvernement central – qui restent aujourd’hui encore fortement dégradées. Le déficit devrait être de nouveau conséquent en 2021 – au-delà de 7% du PIB selon les dernières estimations de la Banque d’Espagne, après un record à -11,0% du PIB en 2020 (voir encadré 1). Les prévisions de déficit du banquier central espagnol restent également élevées pour 2022 (-4,3% du PIB) et 2023 (-3,5%).
Sous réserve d’une situation sanitaire stable, la croissance devrait néanmoins accélérer dans la seconde moitié de l’année. L’Espagne reste tout d’abord l’un des pays en Europe où l’on vaccine le plus, avec près de 80% de la population ayant réalisé, à la fin septembre, un parcours vaccinal complet. La fréquentation touristique est encore fragilisée par le contexte sanitaire mondial, mais le niveau d’activité en août s’est rapproché encore un peu plus de ceux observés en 2019. Le taux d’occupation des hôtels est remonté à 65% en août, 10 points environ en dessous du niveau habituel mais bien au-dessus de celui de 2020 (44%).
De plus, les enquêtes d’opinion restent bonnes. L’indice composite de la confiance des directeurs d’achat (PMI) s’inscrit toujours à un niveau historiquement élevé (60,6 en août).
Ce sondage souligne une hausse particulièrement sensible de la demande en biens de consommation ; l’indice est grimpé à 63,9 (cf. graphique 2). La confiance des ménages a par ailleurs retrouvé, selon l’enquête de la Commission européenne, un niveau comparable à celui d’avant-pandémie.
Autre évolution positive, le marché immobilier retrouve des couleurs après un creux en 2020. Conséquence de plusieurs facteurs (taux d’intérêt historiquement bas2, hausse de l’épargne des ménages, démocratisation du télétravail), les autorisations de construction résidentielle ainsi que les prix immobiliers sont repartis à la hausse en 2021 (les prix sont en augmentation de 5,2% y/y en août, selon l’indice TINSA). Même si le niveau de l’activité immobilière reste bien inférieur à celui observé durant la bulle spéculative des années 2000, les investissements résidentiels pourraient fournir un surplus de croissance bienvenu à court et moyen terme. L’emploi dans la construction a, par ailleurs, résisté bien mieux à la crise sanitaire que la plupart des autres secteurs, s’établissant dès le mois d’août près de 2% au-dessus de son niveau de l’hiver 2020.3
Poussée inflationniste : le gouvernement intervient
Conséquence de la demande forte en gaz naturel, et des problèmes d’approvisionnement qui en découlent, les prix de l’électricité et du gaz ont bondi en Europe, et l’Espagne a été l’un des pays touchés le plus tôt et le plus durement par ce phénomène.
Les prix de l’électricité dans le pays ont augmenté de 35% g.a. en août, tandis que ceux du gaz ont grimpé de 8,2% g.a. La hausse du coût de l’énergie a eu un impact significatif sur celui-ci, contribuant à hauteur de la moitié de l’inflation totale en août. Il n’est pas certain que les prix de l’énergie baissent ou se stabilisent au cours des prochains mois, les problèmes d’approvisionnement en gaz naturel risquant de perdurer cet hiver.4
Par ricochet, cela pourrait conduire à une hausse des prix dans d’autres postes de dépenses, notamment l’alimentation qui pèse pour près d’un quart du panier de consommation des ménages espagnols. Certains composants de l’indice des prix à la consommation (IPC) restent cependant en territoire déflationniste en août. C’est le cas de celui relatif à la communication (principalement la téléphonie), l’éducation, les loisirs, et la culture.
La hausse drastique des prix de l’énergie impacte en premier lieu les moins fortunés, qui consacrent une part importante de leur budget à ces coûts fixes. Ainsi, pour préserver au mieux la consommation privée et ne pas freiner la reprise, le gouvernement a annoncé successivement deux séries de mesures. La première, début juillet, a consisté à abaisser temporairement – jusqu’à la fin 2021 – le niveau de TVA sur l’électricité (de 21% à 10%) et à suspendre pour trois mois la taxe sur la production d’électricité pesant sur les entreprises.
La hausse des prix de l’électricité s’étant poursuivie cet été, le gouvernement a annoncé début septembre de nouvelles mesures visant notamment à ponctionner les compagnies électriques d’une partie de leurs bénéfices générés par cette hausse des prix du gaz sur les marchés internationaux.5 La baisse de la TVA sur l’électricité pourrait également être prolongée au-delà de décembre 2021.6
La facture a été salée pour les finances publiques espagnoles en 2020. Le déficit budgétaire s’est creusé de EUR 87,4 mds pour atteindre EUR 123,1 mds, dépassant ainsi le triste record de 2009 (EUR 120,6 mds). L’effet ciseau (baisse des recettes/hausse des dépenses) a été conséquent. Côté recettes, la baisse est venue pour les trois-quarts d’une chute des collectes liées à l’impôt sur la production et sur les importations. C’est la conséquence du plongeon – voire de l’arrêt – de nombreuses activités engendré par les périodes de confinement. Pour le reste, la diminution des recettes s’explique par un recul des ressources générées par l’impôt sur les sociétés ainsi que par l’impôt sur le revenu et le patrimoine. Les recettes de cotisations sociales ont pour leur part augmenté, les salaires de la plupart des travailleurs ayant été maintenu grâce aux dispositifs élargis de chômage partiel. Ces mesures exceptionnelles ont néanmoins conduit à un bond spectaculaire des transferts sociaux, en hausse de plus de EUR 30 mds en 2020. À noter que le coût du remboursement de la dette (intérêts) s’est de nouveau réduit en 2020, la baisse des taux d’intérêt s’étant poursuivie.