Le rebond vigoureux au T2 (2,2% t/t) devrait se poursuivre au T3. Les contraintes d’offre viennent amputer la croissance de quelques dixièmes de point de pourcentage par rapport à ce que nous anticipions en juin. Les enquêtes sur le climat des affaires de septembre en portent plus nettement la trace, en particulier dans l’industrie et en Allemagne. Mais ces enquêtes restent à un niveau élevé et la croissance dans la zone euro peut compter sur le soutien de l’important stimulus monétaire et budgétaire, du déblocage de l’épargne forcée, de la bonne orientation du marché du travail et des besoins d’investissement. La croissance en 2022 devrait ainsi dépasser de peu celle de 2021 (5,2% en moyenne annuelle, après 5%). La poussée de l’inflation, même si elle est largement transitoire, vient entacher quelque peu l’optimisme du tableau général. La BCE devrait continuer de donner la priorité à la croissance, n’amorçant qu’une normalisation a minima de sa politique monétaire en laissant le PEPP prendre fin en mars 2022. En outre, cela serait compensé par un APP plus important et plus flexible. Mais la BCE a d’ores et déjà envoyé des signaux de vigilance à l’égard du risque inflationniste.
La croissance court
Après deux trimestres en légère contraction (-0,4% t/t au T4 2020, -0,3% au T1 2021), marqués par les reconfinements dans différents pays de la zone, la croissance a vigoureusement rebondi au T2 2021 (+2,2% t/t, +14,3% en glissement annuel). L’acquis de croissance s’élève à près de 4% et l’écart par rapport au niveau d’avant-crise du T4 2019 s’est réduit à 2,5%. Le rebond de la consommation des ménages (+3,7% t/t) explique l’essentiel de la croissance (85%). La contribution de l’investissement est également positive mais de moindre ampleur (0,3 point contre 1,9 point pour la consommation). La contribution du commerce extérieur est nulle (la forte progression des exportations s’accompagnant d’une même progression des importations, reflet de la vigueur de la demande intérieure) et celle des variations de stocks est négative (-0,2 point).
En termes de performances comparées entre les quatre plus grands États membres, l’Italie enregistre le rebond le plus important (+2,7% t/t), suivie de l’Allemagne (+1,6%), de la France et de l’Espagne (+1,1%). Sur l’ensemble des pays de la zone euro, l’Irlande se situe sur la première marche du podium (+6,3%) et Malte ferme la marche (-0,5%). En termes d’écart du PIB par rapport à son niveau d’avant-crise (cf. graphique 2), l’Allemagne et la France accusent un écart similaire (3,3% et 3,2%, respectivement), l’Italie n’est pas loin derrière (-3,8%) et l’Espagne a encore un long chemin à parcourir (-8,4%).
À titre de comparaison complémentaire, les États-Unis ont déjà dépassé leur niveau de PIB d’avant-crise (+0,8%) tandis que le Royaume-Uni accuse encore un écart relativement important (-4,5%).
La vigueur du rebond de la croissance au T2 était déjà visible dans le redressement des enquêtes de confiance entre avril et juin, que ce soit les PMI de Markit ou l’indice du sentiment économique de la Commission européenne (ESI). En juillet, le PMI composite et l’ESI avaient encore grimpé d’un cran, pour atteindre un plus haut depuis la mi-2006 pour le PMI (60,2) et un plus haut historique pour l’ESI (119).
En août, les deux enquêtes se sont légèrement repliées avant de reculer plus nettement en septembre pour les PMI (pour lesquels on dispose d’une estimation flash), un repli à attribuer à la morsure des contraintes d’offre et des pressions haussières sur les prix à l’œuvre depuis le tournant 2020-2021.
Au niveau agrégé de la zone euro, le recul du PMI manufacturier (-3,3 points, à 55,7 pour la composante « activité ») est un peu plus marqué que celui du PMI services (-2,7 points, à 56,3) et, au niveau géographique, l’Allemagne accuse une baisse de ses PMI sensiblement plus importante que la France.
Le niveau des PMI reste toutefois compatible avec une croissance forte au T3. Nous tablons sur un chiffre similaire à celui du T2, avant un début de normalisation au T4 (+1,2% t/t). Les diverses contraintes pesant sur l’offre l’amputent de quelques dixièmes de point de pourcentage par rapport à notre prévision de juin mais la morsure reste peu importante à ce stade et les dixièmes perdus devraient être progressivement récupérés en 2022.
L’hypothèse implicite que nous faisons, basée sur l’anticipation que la demande se fasse moins vigoureuse et que les freins sanitaires à la production se desserrent, est que les tensions sur l’offre et les prix ne s’exacerbent guère plus ni ne s’étendent à d’autres produits. Une hypothèse assortie d’une grande incertitude.
Les signaux positifs sur le front de l’emploi et de l’investissement, le redressement de la composante « prix de vente » des PMI, traduisent cependant la confiance des entreprises dans la robustesse des perspectives de croissance et dans leur capacité à répercuter, dans leurs prix de vente, au moins une partie de la hausse du prix des intrants pour préserver leurs marges. Une confiance à surveiller toutefois de près.
En 2022, en profil trimestriel, la croissance irait légèrement decrescendo. Elle resterait surtout nettement supérieure à son rythme tendanciel, soutenue par le policy mix accommodant, le redressement du marché du travail, le déblocage de l’épargne forcée accumulée et les besoins d’investissement. En moyenne annuelle, la croissance serait légèrement plus élevée en 2022 qu’en 2021 (5,2% après 5%), ce qui distingue la zone euro des États-Unis et du Royaume-Uni. Ce rythme supérieur de la croissance en 2022 se retrouve en Allemagne et, dans une moindre mesure, en Espagne ; les croissances française et italienne sont attendues en baisse. Notre prévision pour 2021 est identique à celle de la BCE et du consensus de septembre ; celle pour 2022 est, respectivement, 0,6 et 0,8 point plus haute. La situation sanitaire reste un aléa baissier important, suivie du freinage dû aux contraintes d’offre et à la poussée d’inflation et auxquelles s’ajoutent nouvellement des craintes sur l’ampleur du ralentissement chinois.
L’inflation galope
Depuis la fin 2020, l’inflation dans la zone euro est sur une franche pente ascendante : il y a un an, elle était en territoire légèrement négatif en glissement annuel et en août 2021, elle s’élevait à 3%, un plus haut depuis la fin 2011. Cette remontada est la plus vive en Allemagne, suivie de l’Espagne, de l’Italie et de la France (cf. graphique 3). On ne peut toutefois pas véritablement parler de retour de l’inflation, la hausse des prix n’étant pas généralisée à l’ensemble des composantes de l’indice des prix à la consommation ni auto-entretenue.
L’inflation sous-jacente est nettement moins élevée, à 1,6%. La hausse de l’inflation est, pour l’essentiel, le résultat d’une déformation relative temporaire des prix. Un effet de base important, lié notamment aux prix de l’énergie, est, en effet, à l’œuvre. S’y ajoutent l’effet des contraintes d’offre sur le prix d’un certain nombre de matières premières et intrants industriels et l’effet du surcroît de demande en sortie de confinement sur certains produits. Ces facteurs de hausse devraient se dissiper en 2022.
Mais, avant de refluer, l’inflation devrait encore grimper d’ici la fin de l’année. Nous prévoyons qu’elle atteigne son pic au T4 (frôlant 4% en glissement annuel). Ce qui n’est pas sans conséquences sur les marges des entreprises et sur le pouvoir d’achat des ménages.
Cependant, les signes de hausse des prix de vente et la situation financière globalement préservée des entreprises devraient contribuer à limiter l’effet négatif sur les marges. Celui sur la confiance et la consommation des ménages devrait être atténué par l’importante épargne excédentaire dans laquelle ils peuvent puiser, par le soutien du marché du travail, bien orienté, et par divers coups de pouce budgétaires aux ménages.
La transmission à l’ensemble des prix à la consommation, l’enclenchement d’une boucle prix-salaires sur fond des fortes difficultés de recrutement, entraînant un dérapage durable de l’inflation, est un autre point d’attention.
La probabilité d’un tel scénario apparaît faible compte tenu, d’un côté, de la pression de la concurrence et de la préservation des parts de marché et, de l’autre, du niveau encore élevé du halo du chômage (qui tient compte des personnes découragées et de celles travaillant à temps partiel forcé).
De tels effets de second tour ne sont, pour l’heure, pas visibles, ni nécessairement à craindre. La BCE s’est mise en mode vigilance mais nous sommes d’avis qu’elle pourrait aussi voir d’un bon œil le retour d’un peu d’inflation auto-entretenue. Ce serait un signal positif sur la force de la croissance et l’efficacité de ses efforts de « reflation ». L’inflation se rapprocherait de sa cible. Un peu plus d’inflation est aussi un moyen de mettre de l’huile dans les rouages, de faciliter certains ajustements1. Il s’agirait de « bonne » inflation. C’est ce sur quoi table notre scénario, avec des prévisions un peu plus hautes que celles de la BCE (2,4% en 2021, 2,1% en 2022, 1,7% en 2023 versus 2,2%, 1,7% et 1,5%, respectivement).