Après un fort redressement aux T2 et T3, l’activité économique pourrait ralentir dans les prochains mois en raison des ruptures d’approvisionnement et de la forte hausse des prix des intrants. Après sa victoire aux élections législatives, M. Olaf Scholz entame des négociations avec le parti des Verts et les libéraux en vue de former une coalition. Sa politique devrait mettre l’accent sur la protection de l’environnement et la hausse des bas salaires. La politique européenne de la future coalition ne devrait pas très différente de celle de Mme Merkel.
Sortie de crise
L’économie s’est fortement redressée au T2. Le PIB a grimpé de 1,6 %, mais sans rattraper complètement la contraction du T1 (-2 %). La principale raison de ce rebond tient à l’allégement des restrictions liées à la Covid-19. Les enquêtes auprès des chefs d’entreprises font ressortir une expansion toujours aussi robuste au T3. L’indice PMI composite s’inscrit en hausse à 59,2, contre 57,4 sur la période avril-juin. De plus, l’indice Ifo d’activité a progressé à 100,7, contre 96,7 au cours du T2.
Pour autant, les chefs d’entreprises se disent de plus en plus préoccupés par l’évolution de l’activité dans les prochains mois, en particulier dans le secteur manufacturier où l’indice Ifo du climat des affaires est sur une tendance baissière depuis le mois de juillet. Ces inquiétudes portent à la fois sur les pénuries de biens intermédiaires et sur la forte hausse des coûts des intrants, qui amputent les marges bénéficiaires.
Avec le raffermissement de l’activité, le marché du travail s’est nettement amélioré. Le taux de chômage baisse depuis décembre 2020, atteignant 3,6 % en août, un niveau supérieur d’à peine 0,3 point de pourcentage à celui observé avant la crise. De plus, le nombre de salariés au chômage partiel (Kurzarbeit) a rapidement baissé dans tous les secteurs. En août, ce dispositif ne concernait plus que 2 % de l’emploi salarié, contre près de 20 % en avril 2020. Sans surprise, le secteur de l’hôtellerie a enregistré le taux le plus élevé, soit 10 % contre 63 % en avril 2020.
Dans le même temps, les prix ont fortement augmenté. En septembre, les prix à la consommation ressortaient en hausse de 4,1 % par rapport à l’année précédente et l’inflation devrait accélérer à 4,6 % au T4.
La Bundesbank attribue cette envolée à des facteurs principalement temporaires comme le rétablissement des anciens taux de TVA le 1er janvier 2021, et l’augmentation des prix du brut. En août, les prix de l’énergie ont gagné 14,3 % par rapport à l’année précédente. Ensuite, les entreprises ont relevé leurs prix pour compenser une partie des pertes dues à l’obligation de fermeture ou des surcoûts liés à la mise en place des mesures de sécurité. De plus, les goulets d’étranglement de la chaîne d’approvisionnement risquent de déclencher d’autres hausses de prix. Si l’augmentation des prix se traduit par une accélération de la croissance salariale, le taux d’inflation pourrait aussi remonter sensiblement sur le long terme.
Pour le moment, la hausse des salaires de base reste modérée. Toutefois, les tensions sur les négociations salariales se renforcent. Récemment, un conflit entre la Deutsche Bahn et le syndicat des cheminots a abouti à des mouvements de grève au niveau national. Devant les perspectives incertaines entourant l’inflation, la Bundesbank est hostile à un engagement en faveur d’une orientation très accommodante de la politique monétaire sur une longue période. Elle plaide en faveur d’un retrait progressif du programme d’achats d’urgence face à la pandémie (PEPP), dès que la crise liée à la pandémie sera terminée.
Fin de l’ère Merkel
Les élections législatives allemandes ont été remportées de justesse par le SPD (sociaux-démocrates) dirigé par le ministre des Finances, M. Olaf Scholz. Le parti a obtenu 25,7% des voix. L’union de la CDU/CSU (démocrates-chrétiens) conduite par M. Armin Laschet, le Premier ministre de Rhénanie-Westphalie, a terminé deuxième avec 24,1 % des voix. Ce sont les pires résultats du parti depuis l'après-guerre. En revanche, le parti des Verts devient la troisième force politique du pays en doublant quasiment son score par rapport aux élections générales de 2017 pour atteindre 14,8% des suffrages. La prochaine étape est la formation d’une coalition qui devra obtenir le soutien de plus de 50% des délégués au Bundestag.
Pendant la campagne électorale, M. Scholz s’est présenté comme le candidat de la continuité. La volonté affichée de marcher dans les pas d’Angela Merkel n’a rien de surprenant. Au cours de ses mandats, Angela Merkel a permis à son pays de traverser plusieurs crises. Au début de son premier mandat, à la fin de 2005, l’Allemagne était considérée comme « l’homme malade de l’Europe ». Le PIB par habitant était plus ou moins au même niveau qu’en France (graphique 2). Quinze ans plus tard, l’écart de revenus avec l’UE s’est creusé, passant à 46 %, tandis que celui de la France s’est comprimé à 14 % à peine.
Ce redressement remarquable peut être en grande partie attribué aux réformes du marché du travail (Agenda 2010) engagées sous son prédécesseur, Gerhard Schröder (SPD). Le chômage est ainsi passé de 11,3 % en 2005 à 3,8 % à peine en 2020. De plus, les changements apportés au processus de négociations salariales ont abouti à des accords salariaux plus modérés, qui ont permis de renouer avec la compétitivité sur les prix. Le basculement de la fiscalité directe vers la fiscalité indirecte a, par ailleurs, abaissé encore plus les coûts de production. En 2007, la TVA a été relevée, de 16 % à 19 %, tandis que les salaires et l’impôt sur les sociétés ont diminué.
Ironie du sort, les réformes engagées dans le cadre de l’Agenda 2010 ont suscité bien des déceptions dans les rangs du SPD. Le score du parti a été divisé par deux entre les élections fédérales de 1998 et celles de 2017, passant de 40,9 % à 20,5 %.
Sous l’ère Merkel, le SPD a défendu un adoucissement des réformes du marché du travail. En 2015, partenaire junior au sein de la « grande coalition » avec la CDU/CSU, le parti a été le fer de lance d’un salaire minimum légal au plan national. Les pertes d’emplois, craintes par de nombreux observateurs, n’ont pas eu lieu.
En 2009, le gouvernement a inscrit dans la constitution le mécanisme dit du « frein à la dette » (Schuldenbremse) qui, en ligne avec les exigences du Pacte européen de stabilité et de croissance, limite l’endettement structurel net de l’État fédéral à 0,35 % du PIB annuel. Ce dispositif s’est révélé très efficace pour réduire le ratio de dette sur PIB : de 67,5 % en 2005, ce dernier a été ramené à 59,7 % en 2019, tandis que celui de la France, comparable à celui de l’Allemagne en 2005, s’est détérioré passant à 97,6 % en 2019. Ses détracteurs lui attribuent la responsabilité de la faiblesse des investissements publics en particulier dans le numérique et l’éducation, ainsi que du mauvais état des infrastructures du pays.
L’action d’Angela Merkel sur le plan environnemental est plus contestée. Après sa sortie brutale du nucléaire, qui a fait suite à la catastrophe de Fukushima, l’Allemagne a lourdement investi dans les énergies renouvelables sans guère obtenir de résultats en termes de réduction du CO2 du fait du report de la sortie du charbon. Si le pays a atteint ses objectifs climat pour 2020, c’est en raison de l’impact de la crise Covid-19 sur l’activité. De plus, la transition énergétique a fortement alourdi la facture pour les consommateurs d’électricité.
Sous l’ère Merkel, le taux d’emploi des femmes a nettement augmenté, passant de moins de 60 % de la population féminine en âge de travailler, en 2005, à 73,2 % en 2020. Cependant, beaucoup de femmes occupent des emplois faiblement rémunérés ou des jobs d’appoint (les fameux mini jobs). L’imposition conjointe des couples mariés avec partage intégral des revenus (Ehegattensplitting) constitue un important facteur dissuasif pour la recherche d’un emploi à plein temps. Résultat, l’écart de revenus entre hommes et femmes est l’un des plus élevés au sein de l’UE (graphique 3).
Face aux graves crises rencontrées au cours des quinze dernières années, l’économie allemande s’est révélée bien plus résiliente que celle des autres pays européens.
Au niveau européen, la chancelière s’est souvent montrée réticente à apporter une aide inconditionnelle aux autres États membres de l’UE. Pour autant, dans les moments décisifs, elle a fait le choix de l’Europe. Elle a veillé à ce que la Grèce puisse rester à l’intérieur de la zone euro. Lors de la crise migratoire de 2015, la chancelière a même pris un sérieux risque politique en ouvrant les frontières, d’abord pour des raisons humanitaires.
Protection de l’environnement et des basses salaires
Si M. Scholz parvient à former une coalition, l'accent sera probablement mis sur la transition énergétique. Les graves inondations dans l'ouest du pays cet été ont, une fois de plus, souligné l'importance d'investir davantage dans la prévention des inondations et la réduction mondiale des émissions de CO2.
Par ailleurs, le SPD pourrait assouplir les réformes du marché du travail. Il a déjà annoncé sa volonté d'augmenter le salaire minimum à 12 euros de l'heure (contre 9,60 euros actuellement). Par ailleurs, le parti pourrait souhaiter ralentir le relèvement de l'âge de la retraite, qui devrait atteindre 67 ans d'ici 2029.
Le nouveau Bundestag décidera du budget pour 2022. Alors que la crise de la Covid-19 s'atténue et que le soutien à l'économie est progressivement réduit, la discussion du retour à la discipline budgétaire devrait revenir au premier plan. Le gouvernement sortant prévoyait de respecter à nouveau le frein à la dette dès 2023, comme le prévoit la constitution. M. Scholz a certainement retenu la leçon de la crise de la Covid-19 : grâce à un budget sain, le gouvernement fédéral a pu soutenir généreusement l'économie dans la crise, sans détérioration dramatique des comptes publics.
Au niveau européen, les politiques de la nouvelle coalition ne devraient pas très différentes de celles de la précédente. Chaque chancelier allemand agira en premier lieu pour ce qu'il considère être dans l'intérêt du pays. L'Allemagne devrait défendre un retour aux règles budgétaires européennes pour inspirer confiance dans l'euro. Le soutien aux autres pays ne peut être accordé qu'à condition de mettre en œuvre des réformes structurelles.