Dans la zone euro, certains spreads souverains ont tendance à se creuser quand le rendement des obligations d’État allemandes augmente. Cette corrélation positive perdure tant qu’il y a suffisamment d’investisseurs pour penser que cette relation maintes fois observée dans le passé se poursuivra. L’écartement des spreads constaté ces dernières semaines l’a encore démontré. C’est un défi pour les gouvernements, car il entraîne une hausse des coûts d’emprunt, mais aussi pour la BCE, car cela affecte la transmission de la politique monétaire. C’est pour cela que la banque centrale insiste sur la flexibilité des réinvestissements au titre du PEPP.
Les faits stylisés sont des schémas récurrents entre variables économiques et entre ces dernières et les marchés financiers. Ces schémas sont conditionnés par l’environnement économique ou les anticipations relatives à cet environnement.
La courbe de Phillips en est un exemple : une baisse cumulée significative du taux de chômage est généralement associée à une accélération de la croissance des salaires due à l’augmentation des goulets d’étranglement du marché du travail. Autres faits stylisés : l’élargissement des écarts de taux (spreads) des obligations d’entreprises en cas d’anticipation de resserrement de la politique monétaire par les banques centrales et, dans la zone euro, le creusement des certains spreads souverains par rapport au Bund quand le rendement des obligations d’État allemandes augmente. C’est ce qu’illustre le graphique 1, qui montre la relation entre la variation hebdomadaire des rendements des obligations d’État italiennes et celle des rendements du Bund, lorsque cette dernière est positive. Au-delà d’une certaine augmentation des rendements allemands, le coefficient de régression est supérieur à 1, ce qui signifie un élargissement du spread1. Cela vaut également pour d’autres pays, comme le montre le tableau 12.
Depuis la dernière réunion du Conseil des gouverneurs de la BCE, les rendements allemands ont bondi et la variation hebdomadaire des rendements a atteint le sommet de la distribution (graphique 2), entraînant un élargissement significatif des spreads souverains des pays du sud de l’UE (graphique 3). D’un point de vue purement économique, un creusement aussi important des spreads semble contre-intuitif. Il est difficile de soutenir que la perspective d’un resserrement monétaire plus tôt qu’anticipé pourrait entraîner une détérioration significative du profil de risque souverain de ces pays.
La réaction du marché traduit plutôt une évolution du sentiment à l’égard du risque souverain, qui rappelle un autre fait stylisé : l’augmentation des rendements des obligations d’État provoque un élargissement des spreads des obligations d’entreprises, supérieur à l’accroissement du risque de défaut attendu3. Cela nous amène à nous interroger sur les raisons de la détérioration du sentiment à l’égard du risque souverain en cas de hausse des rendements du Bund.
L’une des explications possibles est que, lorsque le rendement des obligations d’État allemandes augmente, les investisseurs en titres à revenu fixe, qui visent un certain rendement à l’échéance, doivent être moins exposés aux émetteurs souverains offrant un rendement supérieur à celui de l’Allemagne. Dans ce cas, le rééquilibrage du portefeuille ne reflète pas une révision à la baisse des perspectives de ces émetteurs. Il montre simplement que le même objectif de rendement peut être atteint en prenant moins de risque.
Une autre explication tient à la nature auto-réalisatrice du fait stylisé sur les variations des rendements du Bund et les spreads souverains. Dans un environnement concurrentiel, un gérant de portefeuille peut décider d’alléger son exposition aux titres souverains assortis d’une note de crédit inférieure s’il pense que ses homologues vont en faire autant. Les gérants de portefeuille sont hantés par les faits stylisés et agissent en conséquence. À défaut, ils courraient le risque de sous-performer leurs pairs. Par conséquent, la corrélation positive entre les rendements du Bund et les spreads souverains perdure lorsqu’il y a suffisamment de personnes pour penser que tel sera le cas.
C’est là un problème pour les gouvernements – car cela entraîne une hausse des coûts d’emprunt – mais aussi pour la BCE. L’augmentation des rendements du Bund implique un resserrement des conditions financières, mais l’élargissement des spreads signifie que ce resserrement est encore pire dans certains pays. La BCE est consciente du problème. Dans une interview récente sur Twitter, Isabel Schnabel, membre du directoire de la BCE, a déclaré : « Les spreads souverains sont une caractéristique dès lors qu’ils reflètent les fondamentaux économiques. Ils constituent un ‘bug’ lorsqu’ils sont soumis à une déstabilisation des anticipations auto-réalisatrices, nuisant à la transmission de la politique monétaire »4. Dans ce cas, la parade existe : « En cas de nouvelle fragmentation du marché liée à la pandémie, les réinvestissements au titre du programme d’achats d’urgence face à la pandémie (PEPP) pourront à tout moment être ajustés de façon souple dans le temps, entre catégories d’actifs et entre les juridictions ».
Pour conclure, il ne faut pas s’étonner de l’élargissement récent des spreads souverains au vu de la relation historique existant entre les rendements du Bund et les écarts de taux ainsi que de la hausse significative des rendements des obligations d’État allemandes. Les marchés ont désormais réévalué la trajectoire de relèvement des taux directeurs par la BCE. Ainsi, sauf nouvelles surprises, la volatilité sur les marchés obligataires de la zone euro devrait diminuer. Cela dépend aussi des évolutions sur le marché des Treasuries, qui ont une influence sur les rendements dans le monde entier, y compris dans la zone euro. La courbe de taux américaine intègre déjà plusieurs hausses de taux, de quoi soulager les émetteurs souverains.
William De Vijlder