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Sociétés non financières : les impôts de production atteignent toujours 2,6% du PIB français

20/03/2024
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Depuis 2022, le gouvernement français a réduit plusieurs impôts de production. C’est le cas de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises (CVAE) abaissée par étapes en 2021 et 2023, dont le retrait progressif continuera en 2024, pour s’achever en 2027.

Pourtant, les impôts de production des sociétés non financières (SNF) pèsent autant dans le PIB en 2023 qu’en 2017 (2,6% du PIB). Cela s’explique par la dynamique conjoncturelle favorable, l’assiette de ces impôts (qui comprend principalement la main d’œuvre, les salaires ou le foncier) augmentant plus rapidement que la valeur ajoutée.

Les impôts de production (nets des subventions) atteignent 9% de l’excédent brut d’exploitation (EBE) des SNF en 2023, un chiffre record qui pourrait encore croître en 2024 avec la baisse de la croissance de l’EBE (2,6% selon nos prévisions, contre 10,8% en 2023) et l’étalement de la suppression de la CVAE.

Dans l’histoire de la fiscalité, il n’est pas rare que le produit d’une taxe se maintienne malgré la baisse du taux de cette dernière, l’augmentation de l’assiette de cette taxe progressant plus rapidement. Ainsi, aux États-Unis, malgré les baisses d’impôts mises en œuvre par l’administration Trump, le rapport entre les impôts sur les particuliers et le PIB atteignait toujours 8,2% en 2020 (comme en 2017, avant les baisses d’impôts).

FRANCE : POIDS DES IMPÔTS DE PRODUCTION EN % DU PIB (BRUTS ET NETS DES SUBVENTIONS)

En France, les impôts de production sont aujourd’hui touchés par ce phénomène. Ces impôts, qui ne reposent pas sur un profit ou un revenu (à la différence de l’impôt sur les sociétés ou des cotisations sociales), sont souvent critiqués en raison de leur déconnexion de l’excédent brut d’exploitation des entreprises (EBE). Ces dernières doivent s’en acquitter même lorsqu’elles subissent une moindre rentabilité ou une baisse d’activité (c’est ce qui a conduit le gouvernement français à augmenter les subventions d’exploitation lors de la période de Covid-19). La France est ainsi le deuxième pays européen, après la Suède, à prélever un tel niveau d’impôts de production au regard de son PIB[1].

Conscient de cette problématique, notamment en termes de compétitivité pour les entreprises (« SNF » ou « sociétés non financières » dans la suite de notre analyse), le gouvernement français a amorcé une baisse de ces impôts en 2021. Toutefois, leur poids dans le PIB a atteint en 2023 un niveau comparable à celui qui avait été enregistré en 2017 (graphique 1). Nets des subventions, ces impôts pèsent même davantage dans le PIB en 2023 qu’en 2017 (après un niveau inférieur lors du Covid-19, lorsque ces subventions ont nettement augmenté).

Baisse des impôts de production prélevés sur les SNF

FRANCE : POIDS DES PRÉLÈVEMENTS SUR LES ENTREPRISES EN % DE L’EBE

Le niveau élevé de la fiscalité que supportent les entreprises françaises est souvent pointé du doigt. Or, le poids de ces prélèvements a peu diminué entre 2017 et 2023. Cette fiscalité, qui a trait aux cotisations patronales, à l’impôt sur les sociétés (IS) et aux impôts de production (hors subventions d’exploitation), a représenté 63,5% de l’EBE des entreprises en 2023, contre 65% en 2017 (graphique 2[2]). Cette baisse reste marginale et a bénéficié d’une nette progression de l’EBE en 2023 (+10,8% par rapport à 2022). Pour 2024, le poids des prélèvements pourrait augmenter. En effet, les baisses d’impôts seront moins importantes (dans un contexte de consolidation budgétaire). Par ailleurs, nous anticipons une hausse nettement moins élevée de l’EBE (+2,6% en 2024).

Plusieurs réductions d’impôts ont pourtant été réalisées depuis 2017, notamment concernant les impôts de production. Les SNF ont bénéficié de la baisse de la taxe foncière et de la cotisation foncière des entreprises, soit près de EUR 3,2 mds en 2021. La CVAE a elle aussi été réduite, d’abord en 2021 (EUR 7 mds) puis en 2023 (EUR 4 mds), et elle sera progressivement supprimée d’ici à 2027 (- EUR 1 md en moyenne par an de 2024 à 2027).

Néanmoins, les impôts de production sur les SNF (EUR 74 mds en 2023) pèsent autant dans le PIB qu’en 2017 (2,6%, cf. graphique 1), c’est-à-dire avant l’introduction de ces baisses d’impôts. En outre, leur poids – net des subventions d’exploitation – dans l’EBE (graphique 2) a atteint en 2023 le niveau le plus élevé depuis 2014 (année durant laquelle les profits avaient stagné).

Cette mauvaise surprise s’explique par le phénomène suivant : l’assiette a augmenté plus vite que le PIB. Le poids de ces impôts dans le PIB a été stable entre 2017 et 2023 parce que les baisses d’impôts n’ont fait que neutraliser l’effet de l’augmentation de l’assiette propre à cette dernière. Les recettes budgétaires de la CVAE sont bien passées de EUR 12,6 mds en 2020 à 5,7 mds en 2021 (écart proche de la baisse d’impôt de 7 mds), mais ont été de 6,9 mds en 2022 (en hausse de 21% par rapport à 2021, contre +5,6% pour le PIB en valeur).

Si, en 2023, la baisse de la CVAE a limité la hausse des impôts de production à +2,4% (contre 6,4% pour la croissance nominale du PIB), les subventions à la production ont diminué de près de 9%. Par ailleurs, les impôts qui n’ont pas fait l’objet d’une baisse, notamment ceux portant sur les salaires et la main d’œuvre, ont vu leur produit augmenter en raison des développements favorables sur le marché du travail (créations d’emplois importantes).

Avec l’étalement de la baisse de la CVAE, on attend une diminution de son produit de simplement EUR 1 md en 2024. Selon nos prévisions, ce rythme pourrait ne pas empêcher une augmentation des impôts de production une nouvelle fois plus rapide (de 5%) que la croissance nominale du PIB (3,3%).

Stéphane Colliac


[1] Voir, notamment, la comparaison faite par l’Institut Montaigne (Barometre_europeen_des_impots_de_production_troisieme-edition.pdf (institutmontaigne.org)), dont le graphique représente l’ensemble des impôts de production (ceux qui portent sur les SNF, mais aussi ceux que payent les ménages, dont la taxe foncière).

[2] Sur le graphique 2, l’impact de la bascule du CICE vers une baisse des cotisations patronales de 6 points à partir de 2019 est neutralisé puisque cette opération est neutre d’un point de vue budgétaire (et du point de vue des SNF). De la même façon que les subventions d’exploitation sont retranchées des impôts à la production, le CICE (qui peut être considéré comme une subvention dont bénéficiaient les entreprises pour faire face au coût de leur masse salariale) est ainsi retranché dans notre calcul des cotisations patronales entre 2014 et 2018

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE