Jusque-là rien de nouveau, mais dans quelle mesure cette théorie se vérifie-t-elle dans la pratique ? L’effet d’atténuation est-il suffisant ? Après la dernière décision de la BCE d’assouplir sa politique et le sentiment partagé que la marge de manœuvre monétaire pour soutenir la croissance est désormais bien mince, ces questions s’imposent. De plus, lors de sa conférence de presse du mois de septembre, Mario Draghi a plaidé pour que la politique budgétaire des pays prenne le relais afin de stimuler la croissance, et ainsi aider la banque centrale à atteindre son objectif d’inflation. La troisième raison de ce regain d’intérêt est le débat autour d’un budget européen visant à soutenir la croissance à long terme ou à servir d’outil centralisé de stabilisation conjoncturelle. L’ampleur des stabilisateurs fiscaux automatiques peut être calculée sur la base des variations de la composante cyclique du solde budgétaire. Cela correspond à la différence entre le solde budgétaire total et le déficit (ou l’excédent) corrigé des variations cycliques.
Dans une étude récente[i], la Commission européenne montre qu’un choc positif de 1 % sur le PIB est pour moitié absorbé par les stabilisateurs automatiques, principalement parce que les dépenses publiques varient moins que le PIB. Cependant, une question fondamentale se pose : quelle différence la prise en compte des effets de second tour entraîne-t-elle pour l’évolution des dépenses et du PIB ? Une analyse comparative précédemment publiée par la Commission européenne[ii] apporte un éclairage sur la question. Les auteurs simulent un choc d’une taille équivalente, en termes de contraction du PIB, à la Grande récession, et comparent les conséquences à moyen terme avec et sans stabilisateurs automatiques[iii]. Ils en concluent que le degré de stabilisation est assez significatif : « Nos résultats indiquent que les stabilisateurs automatiques pourraient avoir atténué 13 % du repli du PIB dans la zone euro par rapport à un budget de référence avec des niveaux fixes de recettes et de dépenses ». L’effet est encore plus important (27 %) par rapport à une situation dans laquelle les recettes fiscales et les dépenses publiques restent constantes en pourcentage du PIB.
Même s’il est loin d’être négligeable, on peut se demander si cet effet amortisseur est suffisant. La réaction des ménages et des entreprises aux chocs sur les revenus et les bénéfices dépend, entre autres facteurs, de leur appréciation de la durée de l’impact. Plus la réponse politique sera forte, plus les agents économiques auront le sentiment que la baisse des revenus ou des bénéfices sera de courte durée. C’est cette approche « shock and awe »[iv] que la BCE a adoptée en annonçant en septembre un train complet de mesures d’assouplissement : plusieurs décisions de portée limitée, annoncées conjointement, sont censées avoir un effet plus important que si elles avaient été introduites successivement. Pour revenir à la politique budgétaire, cela pose plusieurs questions. Les ménages sont-ils suffisamment conscients de l’existence et du possible impact des stabilisateurs fiscaux ? Compte tenu de la nature automatique des stabilisateurs, l’absence d’effet d’annonce, comme en cas d’impulsion budgétaire discrétionnaire, réduit-elle leur efficacité pour soutenir la confiance ? Les agents économiques intègrent-ils dans leurs décisions aujourd’hui l’impact cumulé attendu des stabilisateurs automatiques ? Ces questions méritent un débat dans la zone euro sur le rôle des politiques budgétaires discrétionnaires, en complément des stabilisateurs automatiques, en cas de récession : qui fait quoi, combien et à quelle vitesse ?