Podcast - En ECO dans le texte

La BCE s’accorde deux années supplémentaires avant de lancer l’euro numérique

30/11/2023

Depuis le rapport que la BCE a publié en octobre 2020, il y donc plus un peu plus de trois ans, sur l'opportunité de créer une monnaie numérique de banque centrale dans la zone euro, l’euro numérique revient régulièrement sur le devant de la scène. Dans ce nouvel épisode, Laurent Quignon, Responsable de l'équipe Économie bancaire se penche sur le sujet.

Transcription

Bonjour et bienvenue à toutes et à tous, vous écoutez en Eco Dans Le Texte, le podcast des Études Économiques du groupe BNP Paribas.

Je suis Anaïs Goffart de l’équipe Information et Communication des Études Économiques et je reçois aujourd’hui Laurent Quignon, responsable de l’équipe Économie Bancaire de BNP Paribas.

Anaïs : Depuis le rapport que la BCE a publié en octobre 2020, il y donc plus un peu plus de trois ans, sur l'opportunité de créer une monnaie numérique de banque centrale dans la zone euro, l’euro numérique revient régulièrement sur le devant de la scène. Où en est ce projet concrètement ?

Laurent : L’année 2023 a été marquée par deux étapes importantes. La première, le 28 juin 2023, avec la publication du projet de règlement de la Commission européenne sur l’euro numérique. Ce projet de texte vise à créer un cadre juridique pour l’euro numérique dans l’éventualité (très probable) où la BCE déciderait de l’introduire. Ce texte vise à en définir les grands principes qui, une fois approuvés par les co-législateurs de l’UE (Le Parlement européen et le Conseil), deviendraient intangibles. La banque centrale européenne, si elle décide ultérieurement d’introduire l’euro numérique, aura encore à fournir un travail technique important pour définir plus précisément les caractéristiques de l’euro numérique, dans le respect de ces grands principes.

La deuxième grande annonce a été celle par la banque centrale européenne, le 18 octobre dernier, de lancer une phase de préparation qui s’étalera sur deux ans, à l’issue de la phase d’investigation de deux ans qui vient de s’achever. L’annonce de la BCE a quelque peu étonné car la BCE devait initialement indiquer si elle lançait l’euro numérique ou non. Elle a donc décidé de prolonger et d’approfondir la phase d’investigation et remis sa décision à plus tard, dans deux ans, une fois que le texte sur l’euro numérique aura été adopté en trilogue.

Anaïs : Revenons-en au projet de règlement européen, la partie législative. Quelles seraient les principales caractéristiques de l’euro numérique fixées par ce texte ?

  • Tout d’abord, l’euro numérique est présenté comme fonctionnant « comme un portefeuille numérique » qui pourrait être utilisé par les citoyens et les entreprises pour leurs paiements, à tout moment et dans toute la zone euro. L’euro numérique serait principalement détenu sur un compte au passif de la BCE et les banques commerciales jouerait un rôle d’interface entre le détenteur d’euro numérique et la BCE. La BCE n’aurait aucune relation directe avec les déposants.
  • Ensuite, les services de base de paiement en euro numérique seraient fournis gratuitement.

  • Autre point : Le texte prévoit non seulement des paiements en euro numérique dits « en ligne », c’est-à-dire de « de compte à compte », mais une possibilité de paiements « hors ligne » au moyen d’euros qui seraient stockés sur un « dispositif de stockage », en dehors du compte.
  • Concernant la confidentialité, l’euro numérique permettrait d'effectuer des paiements et des transferts de fonds avec un degré élevé de respect de la vie privée, notamment dans le cadre du paiement « hors ligne ». Christine Lagarde, alors qu’elle s’exprimait fin septembre devant les députés européens, a toutefois reconnu que l’euro numérique n’offrira pas le même anonymat que le billet de banque.
  • Enfin, l’euro numérique, de même que les pièces et billets, ne serait pas rémunéré.

Concrètement, les commerçants seraient-ils obligés d’accepter les paiements en euro numérique comme ils doivent le faire pour les pour les pièces et billets, ou pourront-ils s’y opposer ?

  • L’euro numérique est vu par la BCE comme le pendant numérique des pièces et billets. Le projet de texte de la Commission prévoit donc de lui conférer cours légal dans la zone euro, c’est-à-dire l’obligation d’accepter les paiements en euro numérique. Ce principe admettrait toutefois quelques exceptions, pour ne pas obliger les petits commerçants à s’équiper de terminaux de paiements relativement coûteux.

Le projet de texte comporte-t-il des zones d’ombre ou suscite encore des interrogations sur certains aspects ?

Effectivement. Le texte prévoit l’obligation, pour les établissements de crédit, de distribuer l’euro numérique. Entre parenthèses, les prestataires de services de paiement auraient la faculté – et non l’obligation - de distribuer l’euro numérique, ce qui soulève une éventuelle question de distorsion de concurrence. Cette obligation de distribuer l’euro numérique impliquerait des investissements extrêmement coûteux. Mais il existe un autre aspect : si la demande en euro numérique était forte, cela obligerait les banques à se refinancer davantage auprès de l’Eurosystème pour compenser les fuites de dépôts bancaires, ce qui entraînerait des versements d’intérêts supplémentaires des banques commerciales vers l’Eurosystème. Dans le même temps, l’Eurosystème ne rémunèrerait pas l’euro numérique. Outre le coût des investissements, l’euro numérique se traduirait donc par un transfert de revenus des banques commerciales vers la banque centrale. Or rien n’est dit de la compensation qui pourrait être versée par l’Eurosystème aux banques. Or le risque, en l’absence de compensation et avec une obligation pour les banques de distribuer l’euro numérique, serait que les banques soient contraintes d’en répercuter ces coûts supplémentaires sur le prix des services bancaires ou le coût du crédit.

On parle souvent de risque sur la stabilité financière ou le financement de l’économie, le texte répond-il à ces risques ?

Le texte de la Commission prévoit une limite de détention qui serait fixée par la BCE. En d’autres termes, la Commission confie cette lourde responsabilité à la BCE. Cette limite de détention vise notamment à éviter une conversion massive de dépôts bancaires en euro numérique qui pourrait déstabiliser le système bancaire dans le cadre d’une ruée bancaire numérique. En dehors de cette situation extrême, elle vise également à éviter que les conversions de dépôts bancaires en euro numérique soit telle qu’elle priverait les banques commerciales d’une partie des dépôts de la clientèle, sur lesquels elles s’appuient avec un préjudice important pour le financement de l’économie. La question fondamentale est le niveau de cette limite. De son côté, la BCE évoque une limite de l’ordre de 3000 euros par usager, ce qui pourrait impliquer potentiellement un encours d’euro numérique de 1000 mds d’euros si tous les avoirs individuels des 340 millions d’habitants de la zone euro atteignaient cette limite. Pour donner un ordre d’idée, cela représenterait l’équivalent de 7% de l’encours des dépôts bancaire du secteur privé. Je pense pour ma part qu’une limite individuelle de détention de l’ordre de 500 euros serait beaucoup plus raisonnable, surtout dans la mesure où l’euro numérique ne répond pas à un véritable besoin et où il n’apporterait pas de nouveau service rendu évident au regard des différentes solutions de paiement existantes.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE