L'inflation reflue en zone euro et les dernières enquêtes de conjoncture indiquent une possible stabilisation de l’activité économique. Toutefois, l'inflation reste très au-dessus du niveau cible, tandis que le climat des affaires a atteint un niveau (très) bas. Sur la base de la relation historique, le niveau actuel du PMI composite S&P Global et l’indice du sentiment économique de la Commission européenne augurent au mieux d'une stagnation de l'activité au cours des prochains mois.
La question de savoir si la croissance finira par être supérieure ou inférieure à ces anticipations dépendra en grande partie de l'évolution de l’environnement économique. Les risques à la baisse sont l'effet différé des resserrements monétaires passés et, dans une moindre mesure, de la récente hausse des prix de l'énergie et de la détérioration du contexte de croissance en Chine. La désinflation et le début d'une phase d'assouplissement monétaire, vraisemblablement au deuxième trimestre 2024, devraient soutenir la croissance.
Au final, et compte tenu du (très) faible niveau des enquêtes de conjoncture, la BCE insiste désormais non plus sur la poursuite des hausses de taux mais sur le maintien des taux au niveau actuel pendant une durée suffisamment longue. Cela montre sa crainte de décider de la hausse de trop.
Les dernières statistiques ont apporté un léger soulagement aux analystes qui couvrent la zone euro. D'après l'estimation flash, l'inflation est tombée à 4,3 % en glissement annuel en septembre (contre 5,2 % en août) et l'inflation sous-jacente a, elle aussi, nettement reflué (à 4,5 % contre 5,3 % le mois précédent). Dans l'un et l'autre cas, l'inflation a été plus modérée que ce que prévoyait le consensus Bloomberg.[1]
Par ailleurs, l'estimation flash de l'indice PMI composite S&P Global a enregistré une légère hausse en septembre, passant de 46,7 à 47,1. Compte tenu des dernières enquêtes du climat des affaires et de la confiance des ménages, la Commission européenne a jugé le sentiment économique « légèrement plus faible » en septembre ; l'indicateur des perspectives d’emploi a toutefois quelque peu rebondi et reste très au-dessus de sa moyenne de long terme. Les chiffres de l'inflation augmentent la probabilité que la BCE cesse de relever son taux directeur, tandis que l'on peut interpréter les enquêtes de conjoncture comme le signal d'une stabilisation du sentiment après la baisse significative qui avait débuté dans les premiers mois de 2022.
Le soulagement portant sur le « changement » d'un indicateur économique ne doit pas nous faire oublier que le niveau est important, voire davantage. À cet égard, la situation demeure problématique. L'inflation reste très au-dessus du niveau cible de 2,0 % de la BCE, et les indicateurs de confiance se situent sur la gauche de la queue de la distribution historique (graphiques 1 et 2). C’est notamment le cas de l'indice composite des directeurs d'achats. Le dernier indice du sentiment économique publié par la Commission européenne est moins extrême, mais demeure très faible.
Quelles sont les implications possibles de cette situation pour la croissance du PIB du troisième trimestre ? Les données sur le sentiment nous éclairent-elles sur les perspectives de croissance pour les trimestres à venir ? Pour répondre à ces questions, nous avons réalisé des régressions quantiles[2] pour tenir compte de la possibilité que la relation entre la variable explicative – le PMI ou l'indice du sentiment économique – et la croissance du PIB réel puisse être non linéaire.
Un niveau très faible des enquêtes de conjoncture est susceptible d'accroître l'incertitude, ce qui pourrait entraver encore davantage la croissance. Le phénomène inverse peut se produire quand les enquêtes de conjoncture sont excellentes, ce qui induit un sentiment d'euphorie qui peut doper la croissance. Les résultats de cette analyse mettent en évidence une relation légèrement non linéaire pour les quantiles faibles – ce qui correspond à des scores faibles des PMI et de l'indice du sentiment économique – avec la croissance du PIB réel (graphiques 3 et 4)[3].
Sur la base des enquêtes de conjoncture pour le troisième trimestre[4], les graphiques 5 et 6 fournissent une estimation de la croissance trimestrielle du PIB réel au troisième trimestre (T0) ainsi que de la croissance trimestrielle moyenne sur les trimestres suivants.[5] Compte tenu de la faiblesse du score affiché par le PMI, il semble que la croissance trimestrielle doive s'inscrire en territoire négatif sur les différents horizons. Les estimations fondées sur l'indice du sentiment économique, qui affiche une valeur moins extrême, semblent augurer d'une stagnation de l'activité.
Quelques réserves s'imposent dans l'interprétation de ces résultats. Il s'agit d'un modèle extrêmement simple comportant une seule variable explicative et qui ne prend pas en compte l'interaction dynamique avec d'autres variables, telles que les taux d’intérêt (l'effet retard des hausses de taux passées) ou l'inflation (la désinflation devrait avoir un impact positif sur les dépenses de consommation). Bien que les coefficients des régressions quantiles soient significatifs d'un point de vue statistique, les R² sont faibles[6] de sorte que le modèle ne permet pas d'expliquer une part très importante des fluctuations de la croissance. Sans perdre de vue ces limites, les résultats de cette analyse ont leur utilité dans la mesure où ils fournissent un point de référence, un a priori. Sur la seule base de la relation statistique, et si rien ne change au cours des prochains mois, l'on peut prévoir au mieux une stagnation de l'activité en zone euro.
Toutefois, le changement inévitable de l’environnement économique pourrait déboucher sur une situation (très) différente de la simple estimation. Il importe donc d'identifier les facteurs susceptibles d’influencer la conjoncture, à la hausse comme à la baisse. S'agissant des risques à la baisse, l'effet différé du resserrement monétaire passé est déterminant, mais il convient également de surveiller les effets de la hausse récente des prix de l'énergie et de la détérioration de l'environnement en Chine qui assombrit les perspectives pour les entreprises exportatrices européennes.
Concernant les facteurs haussiers, la désinflation de la facture énergétique devrait soutenir la confiance des ménages mais aussi atténuer la pression sur les coûts des entreprises. Le début du cycle d'assouplissement monétaire, vraisemblablement au deuxième trimestre 2024, devrait également avoir une incidence positive sur la croissance. En revanche, et compte tenu du niveau (très) faible des enquêtes de conjoncture, la BCE insiste désormais logiquement dans sa communication non plus sur la poursuite des hausses de taux mais sur le maintien des taux au niveau actuel pendant une durée suffisamment longue. Cela montre sa crainte de décider de la hausse de trop.
William De Vijlder