Nous y voilà. Le Royaume-Uni est, depuis le 1er janvier, sorti de l’Union européenne sur le plan économique. Si le pays avait officiellement quitté l’UE le 31 janvier 2020, une période de transition l’avait maintenu dans le marché unique et l’union douanière de l’UE jusqu’à la fin de l’année 2020. Pendant cette période, des négociations ont été tenues afin de définir les termes de la future relation entre les deux parties. Un accord de commerce et de coopération a finalement été trouvé entre les négociateurs britanniques et européens le 24 décembre 2020[1] (voir encadré). Celui-ci couvre les sujets suivants : les échanges de biens et de services, le commerce numérique, la propriété intellectuelle, les marchés publics, les transports aérien et routier, l’énergie, la pêche, la coordination de la sécurité sociale, l’application du droit et la coopération de la justice en matière pénale, la coopération thématique, et la participation du Royaume-Uni aux programmes de l’UE[2]. Il comprend notamment un accord de libre-échange sans aucun tarif ni quota. Cela faisait plusieurs semaines que les discussions achoppaient sur trois points, mais des compromis ont désormais été trouvés.
Le premier contentieux concernait l’engagement des parties à maintenir un « level playing field », c’est-à-dire à définir un cadre visant à assurer une concurrence loyale, dans le long terme. Les Européens souhaitaient initialement que le Royaume-Uni s’engage à maintenir des standards – environnementaux, sociaux, fiscaux, etc. – équivalents aux leurs d’une manière dynamique. Cela aurait signifié la possibilité pour les Européens d’appliquer des sanctions de manière unilatérale dans le cas où les Britanniques décidaient d’abaisser leurs standards ou même de ne pas suivre l’UE dans l’élévation des siens. De l’autre côté, le Royaume-Uni insistait sur la nécessité de retrouver une entière discrétion dans l’établissement de sa régulation, en particulier sur la question des aides d’État. Finalement, les deux parties se sont entendues sur des « clauses de non-régression », c’est-à-dire sur le fait de maintenir leurs hauts standards actuels dans la durée. De plus, des principes détaillés en matière d’aides d’État ont été définis afin d’empêcher qu’une des deux parties n’accorde des subventions entraînant une distorsion des échanges. Chaque partie aura la possibilité de prendre des mesures de manière unilatérale afin de protéger son économie contre une concurrence déloyale de la part de l’autre.
Le deuxième point de désaccord concernait le secteur de la pêche. Sur ce sujet, le Royaume-Uni avait l’avantage puisque les discussions portaient sur l’accès des pêcheurs de l’UE à ses eaux territoriales. Alors que les Européens demandaient initialement des conditions d’accès inchangées – c’est-à-dire un accès illimité pour ses pêcheurs –, les Britanniques proposaient de réduire les quotas accordés aux pêcheurs européens d’au moins 60% et de les renégocier tous les ans. Finalement, au regard de la capacité limitée des pêcheurs britanniques et de l’importance du marché européen pour eux, la flotte européenne conservera des conditions d’accès généreuses au moins jusqu’à juin 2026, ne renonçant d’ici là qu’à environ 25% de ses quotas. Ce n’est qu’à partir de cette date que des négociations annuelles seront établies.
Enfin, Britanniques et Européens n’arrivaient pas à s’entendre sur la gouvernance de l’accord, c’est-à-dire sur un mécanisme de résolution des litiges. Comme les Européens le souhaitaient, le cadre de cette gouvernance sera le même pour l’ensemble de l’accord. Les éventuels désaccords – y compris sur les sujets des aides d’État et de la pêche – seront discutés auprès du Conseil du Partenariat, qui sera chargé de veiller à la bonne implémentation de l’accord. Si une solution n’est pas trouvée, un tribunal d’arbitrage indépendant tranchera, ce dernier ayant par exemple la possibilité d’imposer des tarifs ou des quotas. Dans le cas où cette décision ne serait pas respectée par l’une des parties, l’autre aura la possibilité de riposter par des sanctions sur un autre secteur économique.
Cet accord commercial a évité un retour aux règles de base de l’OMC pour les échanges entre le Royaume-Uni et l’UE, ce qui aurait impliqué l’imposition de tarifs et de quotas. C’est donc une bonne nouvelle, particulièrement pour l’économie britannique – l’UE est, de loin, son principal partenaire commercial. Cependant, le Royaume-Uni a tout de même quitté le marché commun et l’union douanière de l’UE. Malgré l’accord, le Brexit est donc « dur » et le choc pour l’économie britannique sera certainement considérable. L’Office for Budget Responsibility (OBR), qui fournit des prévisions indépendantes au Trésor britannique, estime que « la nouvelle relation commerciale [entre le Royaume-Uni et l’UE] entraînera un perte long terme pour le PIB britannique d’environ 4% par rapport à un scénario sans Brexit ». Selon la même source, une sortie sans accord aurait fait perdre deux points de PIB de plus[3]. Ainsi, si l’échec des négociations aurait été néfaste pour l’économie, c’est la sortie du marché unique qui aurait de toute façon eu le plus gros impact négatif sur la croissance.
Les investisseurs ne s’y sont pas trompés. La livre a à peine réagi à l’annonce de l’accord, ce qui suggère que le marché intégrait déjà ce scénario dans ses prix. Cependant, la monnaie britannique a augmenté de moins de 2% face à l’euro depuis que les deux parties ont déclaré le 11 décembre qu’une sortie sans accord était le scénario le plus probable. L’accord ne semble donc pas générer beaucoup d’optimisme de la part des investisseurs. De fait, à EUR 1,12, la livre reste près de 15% inférieure à son niveau d’avant le référendum sur le Brexit en 2016. S’il est vrai que cela reflète aussi le fort impact de la crise du Covid-19 sur l’économie britannique et le déficit persistant de la balance courante du Royaume-Uni, la livre était déjà très faible avant que la crise ne survienne et ce déficit est bien antérieur au référendum. Selon nous, le Brexit aura des conséquences sur la politique économique du Royaume-Uni. En effet, nous anticipons que le gouvernement et la Banque d’Angleterre devront maintenir des politiques fiscale et monétaire plus accommodantes qu’elles ne l’auraient été sans le Brexit[4].
En plus de son impact important sur l’économie, et en partie à cause de celui-ci, le Brexit pourrait avoir des conséquences politiques majeures. Le Parlement écossais et l’Assemblée d’Irlande du Nord ont tous deux voté dès le 30 décembre pour rejeter l’accord trouvé par les négociateurs. Pour rappel, Écossais et Nord-irlandais avaient majoritairement voté en 2016 pour rester dans l’UE, avec des scores de 62,0% et 55,8%, respectivement, pour le « Remain ». Il est vrai que les Écossais ont choisi en 2014 de rester dans le Royaume-Uni avec une majorité de 55,3%. Cependant, certains se demandaient à l’époque si leur indépendance ne leur coûterait pas leur adhésion à l’UE.