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Brexit : le temps d’un accord est désormais compté

12/10/2020
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Si le Royaume-Uni est officiellement sorti de l’Union européenne le 31 janvier 2020, les relations commerciales entre les deux parties sont maintenues intactes pendant une période de transition. À moins d’un coup de théâtre, cette période s’achèvera à la fin de l’année. Quoi qu’il arrive, le Royaume-Uni se dirige vers une sortie à la fois du marché commun et de l’union douanière de l’UE. Ce sera donc un Brexit « dur », et il pourrait l’être d’autant plus que les négociations sur un accord de libre-échange progressent difficilement. En effet, alors que les négociateurs viennent d’achever leur neuvième cycle de négociations – et le dernier initialement prévu – des désaccords importants demeurent. S’ils n’arrivaient pas à s’entendre, l’application des règles de base de l’Organisation mondiale du commerce qui s’en suivrait entraverait encore plus fortement les échanges entre les deux parties. Pendant ce temps-là, le Royaume-Uni négocie avec le reste du monde pour répliquer les accords dont il bénéficiait grâce à son adhésion à l’Union européenne…

Le 23 juin 2016, les Britanniques votaient, avec une majorité de près de 52%, la sortie de l’Union européenne (UE). Après plus de trois ans et demi, le Royaume-Uni a finalement quitté l’UE le 31 janvier 2020. Cette sortie a été rendue possible après que les deux parties se sont mises d’accord en octobre 2019 sur les termes de leur rupture, réunis dans l’Accord de retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne[1] (Accord de retrait).

Néanmoins, cette sortie ne s’est pas accompagnée de changements immédiats, notamment aux niveaux économique et commercial. Le Royaume-Uni est alors entré dans une période de transition pendant laquelle il continue de se conformer aux règles de l’UE et fait toujours partie à la fois du marché unique et de l’union douanière de l’UE. Cette période s’achèvera le 31 décembre 2020, le gouvernement britannique ayant refusé de l’étendre.

Les négociations en cours avec l’UE

En plus de l’Accord de retrait, l’UE et le Royaume-Uni se sont entendus en fin d’année dernière sur le cadre de leurs futures relations dans un texte appelé « Déclaration politique[2] ». Cet accord n’est pas juridiquement contraignant, mais il a néanmoins défini les bases des négociations sur un traité de libre-échange. À ce stade, un tel accord serait le résultat le plus ambitieux.

Cela s’explique par les lignes rouges que le Royaume-Uni a imposé dans ces négociations ; celles-ci ont été décidées par le gouvernement, le référendum n’ayant pas porté sur le type de relation que les Britanniques souhaitaient conserver avec les Européens. Dans son discours à la Lancaster House le 17 janvier 2017, Theresa May, alors Première ministre, a exposé les priorités du gouvernement en vue des négociations[3]. Elle a alors fait part de sa volonté de sortir à la fois du marché commun et de l’union douanière de l’UE – un point sur lequel son successeur, Boris Johnson, ne reviendra pas. En effet, le Royaume-Uni refuse de se conformer à la libre circulation des personnes, de faire partie de la juridiction de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) et de contribuer significativement au budget européen. De plus, il souhaite être autonome d’un point de vue réglementaire et définir sa propre politique commerciale. Au vu de ces conditions, et ne voulant pas transiger sur les conditions d’accès à son espace économique, l’UE n’aurait de toute façon pas accepté que le Royaume-Uni reste dans l’Espace économique européen (EEE) ou dans son union douanière.

PARTENAIRES COMMERCIAUX DU ROYAUME-UNI (EN % DU TOTAL DES EXPORTATIONS ET IMPORTATIONS)

Ainsi, dans le spectre des scénarios qui étaient envisageables à l’issue du référendum, le Royaume-Uni se dirige dans tous les cas vers un Brexit « dur ». Les deux options possibles à l’issue des négociations sont un traité de libre-échange et une sortie sans accord. Cette dernière signifierait l’application des règles de base de l’Organisation mondiale du commerce et représenterait le plus dur des types de Brexit possibles (cf. tableau 1).

TYPES DE BREXIT POSSIBLES ET LIGNES ROUGES DU ROYAUME-UNI

Cependant, si les deux parties souhaitent, a priori, s’entendre sur un traité de libre-échange, les négociations sont difficiles. Depuis mars, les négociateurs de l’UE, menés par Michel Barnier, et ceux du Royaume-Uni, menés par David Frost, ont terminé les neuf cycles de négociations formelles initialement programmés. À l’issue de l’ultime cycle, qui s’est achevé le 2 octobre dernier, Michel Barnier a fait le point sur l’avancée des discussions dans un communiqué[4]. S’il y relève des « points de convergence » et des « évolutions positives nouvelles », il fait surtout état d’ « absence de progrès sur certains sujets » et de la persistance de « graves divergences sur des sujets d’importance majeure » pour l’UE. De son côté, David Frost a appelé les Européens à faire preuve de plus de « réalisme et de flexibilité », se disant « préoccupé » du manque de temps restant pour parvenir à un accord[5]. En fait, il demeure trois points de désaccord fondamental.

Trois points de désaccord

Le premier concerne l’engagement des parties à respecter un « level playing field », c’est-à-dire à maintenir une concurrence « ouverte et juste » dans le long terme. Dans le paragraphe 77 de la Déclaration politique, l’UE et le Royaume-Uni, au vu de leur proximité géographique et de leur interdépendance, se sont mis d’accord pour maintenir après la fin de la période de transition les standards élevés qui s’appliquent au sein de l’UE et au Royaume-Uni dans les domaines des aides d’État, de la concurrence, des standards sociaux, des normes d’emploi, de l’environnement, du changement climatique et des questions fiscales. En particulier, l’accord souligne la volonté de maintenir un « cadre solide et exhaustif » pour la concurrence et le contrôle des aides d’État – l’objectif étant de prévenir les distorsions commerciales non justifiées et la concurrence déloyale. À cette fin, les deux parties se sont engagées à mettre en place des mécanismes appropriés pour permettre, d’une part, l’implémentation et l’application de ces standards et, d’autre part, la résolution des éventuels litiges.

Cependant, la proposition du Royaume-Uni[6] ne fait désormais référence qu’à des « consultations » entre les parties en cas de désaccord sur les aides d’État, et exclut ces consultations du mécanisme de résolution des litiges proposé – qui, en outre, rejette toute implication de la CJUE. De plus, les négociateurs de l’UE ont demandé au gouvernement britannique les détails du régime d’aides d’État qu’il souhaite mettre en place, mais ce dernier n’a jusqu’ici présenté que de vagues engagements[7]. Ainsi, les Britanniques semblent-ils refuser non seulement de s’engager à maintenir de hauts standards, mais aussi de mettre en place des dispositifs empêchant les pratiques anticoncurrentielles.

S’il est vrai que la Déclaration politique n’est pas contraignante du point de vue légal, ce retour en arrière a sérieusement entravé la progression des négociations. En effet, l’UE craint que le Royaume-Uni refuse de respecter le fair play économique et commercial et abaisse ses standards afin d’obtenir une position concurrentielle plus avantageuse une fois sorti de l’espace économique européen.

Le deuxième point de désaccord important concerne le secteur de la pêche. Les négociateurs de l’UE souhaitent un accord qui garantisse aux pêcheurs européens un accès durable aux eaux territoriales britanniques. Cela viendrait en contrepartie de l’accès au marché européen pour les pêcheurs britanniques. Cependant, le Royaume-Uni souhaite exclure les pêcheurs de l’UE de ses eaux pour en retrouver la souveraineté totale.

Troisièmement, l’UE souhaiterait arriver à un accord global – fondé sur des mécanismes robustes de mise en œuvre et de règlement des différends –, alors que le Royaume-Uni préférerait plusieurs accords indépendants. C’est pour cela que l’UE veille à ce que les négociations avancent en parallèle. Selon les négociateurs britanniques, leurs homologues bloqueraient volontairement les discussions sur les échanges de biens et de services tant qu’un accord ne serait pas trouvé sur les sujets des aides d’État et la pêche.

Ainsi, les chances d’arriver à un accord dans les temps s’amenuisent. Selon l’UE, pour qu’un accord puisse entrer en vigueur dès la fin de la période de transition, un texte juridique complet devra être prêt fin octobre au plus tard, afin de laisser le temps nécessaire à la fois au Conseil et au Parlement européens de se prononcer. Pour le Royaume-Uni, le délai est encore plus serré. Le Premier ministre Boris Johnson a annoncé que son pays « passerait à autre chose » si un accord n’était pas en vue avant le Sommet européen des 15 et 16 octobre.

En outre, le gouvernement a présenté un projet de loi, intitulé Internal Market Bill, qui lui permettrait de rompre avec certains aspects de l’Accord de retrait, pourtant légalement contraignant. Ce changement de ton de la part du Royaume-Uni pourrait avoir comme but de pousser l’UE à rompre les négociations pour ne pas porter la responsabilité d’un échec. Sinon, l’objectif recherché pourrait être l’obtention de concessions de la part de l’UE. Dans tous les cas, la possibilité d’une sortie sans accord est bien réelle.

Néanmoins, si l’UE a initié une procédure judiciaire contre le Royaume-Uni à propos de l’Internal Market Bill[8], les négociations continuent. De fait, à l’issue de l’ultime cycle initialement prévu, la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen et le Premier ministre britannique Boris Johnson se sont accordés lors d’un entretien sur « l’importance de trouver un accord »[9]. Ils ont alors chargé leurs négociateurs en chef de « travailler intensivement » afin de combler les écarts entre les positions des deux parties. De fait, Michel Barnier et David Frost ont depuis repris leurs discussions.

Les négociations avec le reste du monde

Pendant ce temps-là, le Royaume-Uni négocie aussi avec le reste du monde. En effet, si le pays continue de bénéficier des accords commerciaux qui lient l’Union européenne avec des pays tiers pendant la période de transition, cette dernière prendra fin le 31 décembre 2020. Ainsi, afin d’éviter que ne s’appliquent les règles de base[10] de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) pour ses échanges avec ces pays, le Royaume-Uni cherche à répliquer les accords commerciaux de l’UE. À l’heure actuelle, l’UE en a passé avec plus de soixante-quinze pays[11] – des accords avec vingt-quatre autres pays sont en cours de ratification, et des négociations sont en cours avec six pays (cf. tableau 2, page suivante).

Jusqu’ici, le Royaume-Uni a conclu vingt-et-un accords commerciaux avec un total de cinquante pays[12], certains de ces accords ayant été conclus avec plusieurs pays à la fois. Le plus important est celui conclu en septembre avec le Japon[13]. Cependant, à part sur quelques points – comme les services financiers, le numérique ou encore le commerce électronique – cet accord ne va pas beaucoup plus loin que celui qui unit le Japon avec l’UE. Selon les propres estimations du gouvernement britannique, il n’augmentera le PIB du Royaume-Uni que de GBP 1,5 md dans le long terme, soit environ 0,07% du PIB de 2018[14].

À ce stade, les pays avec lesquels un accord commercial a été conclu représentent à peine 10% des échanges (exportations et importations) du Royaume-Uni (cela ne veut cependant pas dire que 10% de ses échanges seront couverts, les accords commerciaux concernant généralement uniquement les échanges de biens, et non de services). À titre de comparaison, les pays avec lesquels l’UE a signé des accords commerciaux représentent environ 16% des échanges du Royaume-Uni. Il est vrai que des négociations sont en cours avec plus de vingt autres pays, dont les États-Unis, le Canada, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Néanmoins, les progrès, là aussi, sont minces.

Étant donnée l’avancée des négociations, il est peu probable qu’un accord soit trouvé avec les États-Unis ou la Nouvelle-Zélande avant la fin de la période de transition. Avec les États-Unis, un nouveau cycle de négociations a débuté le 8 septembre, mais la route est encore longue et les élections présidentielles en novembre pourraient retarder les discussions. De son côté, le vice-Premier ministre néozélandais Winston Peters s’est dit « très frustré » de l’état des négociations avec le Royaume-Uni. Selon lui, les négociateurs britanniques ne sont « pas au niveau ». Après tout, cela fait près de cinquante ans – depuis son entrée dans l’UE en 1973 – que le Royaume-Uni n’a pas eu à négocier d’accord commercial.

Au total, cette vingtaine de pays représentent moins d’un quart des échanges commerciaux du Royaume-Uni. À titre de comparaison, la moitié de ses échanges se fait avec les pays de l’UE (cf. graphique 1).

Au final, le Royaume-Uni se dirige vers une sortie du marché commun et de l’union douanière de l’UE, et donc vers un Brexit « dur » qui établira de nombreuses barrières au commerce entre les deux blocs.

Néanmoins, un accord de libre-échange permettrait d’atténuer le choc, notamment en évitant l’imposition de tarifs ou de quotas. À côté de cela, si des accords avec les autres partenaires commerciaux majeurs du Royaume-Uni sont les bienvenus, ils ne suffiront certainement pas à compenser son éloignement économique et commercial de l’Union européenne.

ACCORDS SIGNÉS, EN COURS DE RATIFICATION OU DE NÉGOCIATION

[1] Voir https://ec.europa.eu/info/european-union-and-united-kingdom-forging-new-partnership/eu-uk-withdrawal-agreement_fr

[2] Voir https://ec.europa.eu/commission/publications/revised-political-declaration_en

[3] Voir https://www.gov.uk/government/speeches/the-governments-negotiating-objectives-for-exiting-the-eu-pm-speech

[4] Voir https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/fr/statement_20_1817

[5] Voir https://no10media.blog.gov.uk/2020/10/02/lord-frost-statement-after-round-9-of-the-negotiations/

[6] Voir https://www.gov.uk/government/publications/our-approach-to-the-future-relationship-with-the-eu

[7] Voir https://www.gov.uk/government/news/government-sets-out-plans-for-new-approach-to-subsidy-control

[8] Voir https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/ip_20_1798

[9] Voir https://ec.europa.eu/commission/presscorner/detail/en/statement_20_1821

[10] Voir https://www.wto.org/french/thewto_f/whatis_f/tif_f/fact2_f.htm

[11] Voir https://ec.europa.eu/trade/policy/countries-and-regions/negotiations-and-agreements/

[12] Voir https://www.gov.uk/guidance/uk-trade-agreements-with-non-eu-countries

[13] Voir https://www.gov.uk/government/news/uk-and-japan-agree-historic-free-trade-agreement

[14] Voir https://www.gov.uk/government/publications/uks-approach-to-negotiating-a-free-trade-agreement-with-japan/uk-japan-free-trade-agreement-the-uks-strategic-approach

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE