Hors Chine, l’activité dans les pays émergents a stagné au T2 2022 et les enquêtes de confiance réalisées tant auprès des entreprises que des ménages indiquent que le ralentissement va se poursuivre. L’inflation continue sa progression et s’accompagne de nouveaux tours de vis des banques centrales, y compris en Asie. À la dégradation de la demande extérieure et des conditions financières domestiques, s’ajoutent le resserrement monétaire aux États-Unis et l’appréciation du dollar. C’est donc la double peine pour les pays émergents. Mais ce sont les pays en développement, confrontés de surcroît à la crise alimentaire et à une situation de surendettement, qui inquiètent le plus.
Depuis le début de l’année, les pays émergents ont été confrontés à une série de chocs successifs et inattendus qui vont considérablement affecter leurs performances économiques. Les pressions inflationnistes mondiales ont augmenté en raison de la hausse des prix des matières premières et des perturbations dans les chaînes d’approvisionnement résultant du conflit en Ukraine. De plus, au printemps, les confinements dans d’importantes régions industrielles chinoises ont aggravé les problèmes d’approvisionnement et un peu plus assombri les perspectives de demande mondiale
Ces dernières semaines, la remontée des taux des obligations d’État a été très marquée en Europe centrale. Depuis janvier 2022, les rendements à 5 ans ont respectivement augmenté de 338 points de base (pb) en Pologne, de 331 pb en Hongrie, de 350 pb en Roumanie et de 216 pb en République tchèque, et se situent désormais à des niveaux comparables à ceux de 2008. La tendance est similaire pour les taux à 10 ans. Ce mouvement peut s’expliquer en partie par une surréaction des marchés au regard de l’exposition relativement importante des pays d’Europe centrale à la Russie, en matière de débouchés et d’approvisionnement en énergie. De même, leur proximité géographique avec l’Ukraine et la Russie contribue à une perception, par les marchés, d’un risque géopolitique plus élevé
Alors même que la reprise post-pandémique reste fragile, les pays émergents sont maintenant confrontés à une autre crise majeure : le conflit en Ukraine et ses effets globalement négatifs sur le commerce extérieur, les flux de capitaux et, surtout, l’inflation. L’effet indirect de la hausse des prix des matières premières sur l’inflation et le pouvoir d’achat des populations pourrait être particulièrement sévère, et toucher en premier lieu les pays à faible revenu d’Afrique, d’Europe centrale et des Balkans. En dépit de cet environnement, nous n’anticipons pas de dégradation généralisée de la solvabilité publique et externe des pays émergents à court terme
Les pays émergents terminent l’année 2021 avec une détérioration de la balance perspectives/risques. Pour 2022, le ralentissement de la croissance sera plus important que prévu avec éventuellement un risque d’instabilité sociale à l’image des soubresauts au Kazakhstan. Au cours des trois derniers mois, la Turquie s’est illustrée par une mini-crise financière. La politique monétaire et de change mise sur les exportations et l’investissement pour soutenir la croissance et rétablir les grands équilibres à moyen terme mais au prix d’une forte instabilité financière à court terme. C’est un pari osé qui pourrait contraindre les autorités à recourir à un véritable contrôle des changes au lieu des mesures incitatives prises jusqu’à présent.
La reprise dans les pays émergents depuis la mi-2020 s’est accompagnée d’un durcissement monétaire en Amérique latine et en Europe mais pas en Asie jusqu’à présent (à l’exception de la Corée du Sud). Le niveau et la trajectoire de l’inflation en sont les principales raisons. Elle est forte et accélère en Amérique latine et en Europe, plus modérée et encore contenue en Asie
Les pressions inflationnistes se renforcent dans les pays émergents depuis le début de l’année 2021. L’inflation totale a poursuivi son accélération au cours de l’été (à l’exception de l’Asie), principalement, sous l’effet conjugué de la hausse des prix des produits alimentaires et de l’énergie et du fléchissement des monnaies face à l’USD. Cependant, l’inflation sous-jacente s’est aussi globalement accélérée. Conséquence, les banques centrales d’Amérique latine et d’Europe centrale ont commencé à relever leurs taux directeurs. En Asie, l’inflation est restée faible (notamment en Asie du Nord) ou s’est stabilisée (Inde) de sorte que la politique monétaire est demeurée accommodante
La fragilité de la reprise dans les pays émergents se confirme. Plusieurs économies, en Asie et en Amérique latine, ont connu un trou d’air au T2 2021. Les répliques de la pandémie liées à l’apparition de variants se traduisent par des arrêts de production jusqu’à présent transitoires mais qui entament la confiance des entreprises. Ces dernières subissent également des contraintes d’offre (goulets d’étranglement, pénurie d’énergie) qui contribuent à une accélération de l’inflation et pèsent indirectement sur la confiance des ménages. Enfin, l’économie chinoise inquiète avec une consommation des ménages en berne et des secteurs de la construction et de l’immobilier en grande difficulté
Depuis le début de l’année, la reprise dans les pays émergents se poursuit mais reste fragile. Le retard des indices de confiance des ménages sur ceux des entreprises témoigne des contraintes sur la demande interne : le risque pandémique persiste, l’inflation accélère et les États font face à une augmentation de leurs coûts de financement, ce qui réduit leurs marges budgétaires. Malgré le dynamisme des échanges extérieurs, l’horizon n’est pas suffisamment dégagé pour une reprise de l’investissement. Heureusement, jusqu’à présent, la très grande majorité des banques centrales se gardent d’être pro-actives malgré les tensions inflationnistes. Mais le resserrement monétaire ne peut que se généraliser.
Dans leurs perspectives de printemps, les économistes du FMI anticipent une reprise mondiale en 2021 à plusieurs vitesses et incomplète. « Vitesse » est bien le maître mot car l’année 2021 se caractérisera par plusieurs courses de vitesse pour les pays émergents. L’une entre la progression de la pandémie et la vaccination, et l’autre entre les prix de l’alimentation et le rattrapage a priori partiel des revenus des plus faibles présentent à nos yeux les plus grands risques à très court terme. Avec, en cas de divergence persistante, une augmentation du risque social dont la capacité de déstabilisation peut être beaucoup plus radicale que les risques financiers.
La récente hausse significative des taux longs US n’a pas encore entraîné un élargissement de l’écart de rendement (spread) entre les emprunts d’État américains et l’indice global des marchés obligataires émergents. Cet indice se compose des obligations et emprunts en USD émis par des emprunteurs souverains et quasi-souverains d’un grand nombre d’économies en développement, et distingue les émetteurs de qualité (investment grade ou IG) et des spéculatifs (speculative grade ou SG). L’absence d’effet de contagion constitue un soulagement. Certes, les rendements des marchés émergents ont évolué à la hausse, mais il n’y a pas eu d’élargissement des spreads, ce qui aurait renchéri davantage les conditions de financement. Il en a été autrement par le passé
Il y a près d’un an, la pandémie déclenchait un choc financier dans la planète émergente. Depuis, les conditions monétaires et financières se sont largement normalisées. Les investissements de portefeuille ont même atteint des records sur la deuxième partie de 2020 dans un contexte de soutien massif de la Fed. Dans ce cadre, les coûts d’emprunt des États en monnaie locale sont, pour une majorité des grands pays émergents, inférieurs à ce qu’ils étaient à la fin 2019. Pourtant, avec l’aggravation des déficits budgétaires, la hausse des dettes publiques est sans précédent
En ce début d’année, les pays émergents bénéficient d’une conjonction d’éléments favorables à la poursuite de la reprise (rattrapage du commerce extérieur, dollar faible, prix des matières premières en hausse, coûts de financement domestiques plus bas qu’avant la crise). Cependant, de nombreuses incertitudes ou menaces demeurent : la rapidité de couverture des campagnes de vaccination contre la Covid-19, le risque de multiplication des cas d’insolvabilité des pays à faibles revenus, malgré le soutien financier des institutions internationales et créanciers officiels, la montée des prêts non performants dans les systèmes bancaires dès 2021
Le redémarrage de l’activité initié à la fin du printemps s’est poursuivi au cours de l’été, Chine en tête, et les prix du pétrole et des métaux se sont redressés. Mais les inquiétudes apparaissent car le rythme de la reprise semble s’être ralenti, à l’image des exportations qui progresse plus difficilement. Surtout, la persistance de la pandémie et le prolongement du confinement, voire du reconfinement dans plusieurs pays, font craindre une rechute. Néanmoins, des forces de soutien existent : la poursuite de l’assouplissement des politiques monétaires, la tempérance des marchés face à l’envolée des déficits budgétaires et l’allègement de la dette des pays les plus vulnérables par les créanciers officiels. Mais ces leviers sont limités.
Depuis la mi-avril, le calme est revenu sur les places financières des pays émergents. Pour la plupart des pays, les taux de change se sont réappréciés. Par ailleurs, les taux d’intérêt monétaires et obligataires se sont réduits grâce à la détente générale des taux directeurs et une utilisation plus large de l’assouplissement quantitatif par les banques centrales nationales, mais aussi grâce au soutien financier extérieur (lignes de financement des institutions financières internationales, accords de swap de change avec les banques centrales) et au retour des investissements de portefeuille. Comme souvent, les marchés boursiers ont salué cette normalisation de façon excessive et prématurée. La reprise d’activité, qui semble se confirmer, reste en effet très fragile.
Les pays émergents sont durement affectés par la pandémie même si, Chine mise à part, le décompte officiel des victimes est encore faible en comparaison avec les pays développés. La vague de récession/ralentissement n’en est qu’à son début et ses effets s’étendront probablement au-delà de 2020 car le choc réel (arrêt des activités à cause du confinement) se triple d’un choc financier et d’un choc sur les prix des matières premières. Les sorties de capitaux et le gel des marchés d’émission de dette internationale augmentent le risque de refinancement en dollar. Les filets de sécurité pour le traitement préventif des défauts se mettent en place, mais pour les pays les plus vulnérables, la solution passera probablement par un moratoire ou un allègement de dette.
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