Depuis la mi-avril, les tensions financières dans les pays émergents se sont apaisées. À la faveur d’un retour encore progressif des investissements de portefeuille, les taux de change se sont stabilisés. Ainsi, depuis la mi-mai, les entrées nettes cumulées d’investissements de portefeuille de non-résidents sur les marchés obligataires et d’actions se sont élevées à USD 22 mds[1] alors que les sorties nettes cumulées avaient atteint USD 100 mds entre la fin février et la mi-mai. En conséquence, les devises émergentes ont regagné un peu du terrain qu’elles avaient perdu sur les 3-4 premiers mois de l’année (+1,6% en moyenne depuis la fin mars contre -6% au cours du T1). En revanche, les cours des actions ont effacé une bonne partie des pertes (+17% en moyenne depuis la fin mars après -20% au T1). Cette normalisation, déjà très avancée sur les marchés d’actions, est-elle justifiée?
Une lecture prudente des indicateurs de reprise s’impose
L’activité économique redémarre effectivement, Chine en tête, depuis le mois de mars avec le déconfinement (reprise technique) et l’accélération des projets publics d’investissement. Hors Chine, le redémarrage est également très perceptible depuis avril-mai. Pour une large majorité des principaux pays émergents, les indices de diffusion PMI de Markit, tirés des enquêtes auprès des entreprises, affichent même des progressions comprises entre 10 et 20 points par rapport au point bas d’avril. Seuls quelques pays où l’État a fait défaut, et dont l’activité est paralysée par les restrictions de devises ou le renforcement du contrôle des changes (Argentine, Liban), ont continué de s’enfoncer dans la récession. À en croire les sous-indices des PMI, la reprise d’activité est notamment tirée par les échanges extérieurs. De fait, bien que sur un échantillon encore limité, les exportations de certains pays enregistrent en mai ou en juin, et par rapport à la même période de 2019, un rebond ou une évolution moins négative.
La lecture des indices de diffusion peut cependant être trompeuse dans cette période très exceptionnelle. En effet, ces indices restent, pour une très large majorité de pays, encore en dessous du seuil de 50, ce qui signifie que, même si l’activité a fortement rebondi, elle ne s’est pas totalement normalisée. Certes, l’interprétation est plus positive si l’on considère que la période de référence pour les directeurs d’achat ou les chefs d’entreprise interrogés (sur l’évolution de leur chiffre d’affaires, des carnets de commandes, des stocks, des effectifs employés, etc.) est le même mois de l’année précédente (même si le questionnaire de Markit fait référence à l’évolution sur le mois passé). La référence à la même période de l’année précédente est « naturelle » dans ce type d’enquêtes et se traduit, de fait, par une meilleure corrélation des indices de diffusion avec le glissement annuel des variables concernées qu’avec les variations trimestrielles. Un indice proche de 50 indiquerait alors une normalisation par rapport au printemps 2019, autrement dit un quasi rattrapage. Mais ce n’est guère vraisemblable sur une période aussi courte.
Rester vigilant
Quoiqu’il en soit, les indicateurs conjoncturels annoncent une reprise au deuxième semestre mais son ampleur et sa généralisation restent très incertaines. Le rebond des bourses locales semble donc un peu excessif et même prématuré.
Au Brésil, en Inde ou encore au Mexique, la pandémie n’est pas maîtrisée et certains pays procèdent même de nouveau à des confinements sélectifs.
Malgré l’envolée des déficits budgétaires, on n’observe pas, pour l’instant, de difficultés de refinancement des dettes publiques. De plus, l’assouplissement monétaire classique (par la baisse des taux d’intérêt directeurs) et/ou quantitatif (via l’élargissement des possibilités de refinancement des banques et, indirectement des entreprises, par les banques centrales, voire un financement monétaire des déficits budgétaires), a permis de contenir le niveau des rendements obligataires (sauf rares exceptions comme l’Afrique du Sud). Mais si la pandémie persiste, ce soutien financier n’empêchera pas la montée des impayés et des prêts non performants.
Enfin, l’augmentation des primes de risque sur les dettes souveraines en monnaie locale renforce l’attrait des opérations de portage, et donc l’afflux de capitaux volatils à un moment où les pays ont, plus que d’ordinaire, besoin de stabilité financière. En effet, l’écart médian de rendements entre une obligation souveraine en monnaie locale et l’obligation de maturité équivalente de la monnaie de financement (le dollar, l’euro ou yen) est resté stable entre la fin décembre 2019 et fin juin 2020 à environ 450 points de base (pb) sur un échantillon de 17 pays émergents. Évidemment, cet écart doit être rapporté à la volatilité du change pour juger de l’attrait de l’arbitrage. Or, après prise en compte des écarts de taux directeurs, et donc de la possibilité d’une couverture de change à court terme des positions (via les marchés à terme ou de swaps de change), l’écart médian de rendements obligataires a presque triplé, passant de 80 pb à 200 pb. Pour des investisseurs prêts à prendre le risque de renouvellement de positions de couverture de change à très court terme, l’écart est donc très attractif.