Avec à peine 684 morts reportés début juillet et un peu plus de 30- 000 cas pour une population de 200 millions d’habitants, la pandémie du coronavirus est pour l’instant limitée. Cependant, le nombre d’infections ne cesse d’augmenter alors que le Nigéria est l’un des pays en Afrique qui teste le moins et que les mesures de restrictions mises en place fin mars sont en train d’être assouplies. Si un reconfinement sévère est peu envisageable au regard de ses conséquences socio-économiques (le secteur de l’informel pèse pour plus de 40% de l’économie selon la Banque mondiale), la persistance du risque sanitaire va continuer de peser lourdement sur les perspectives de reprise de l’activité. Surtout, le Nigéria doit faire face à un puissant choc pétrolier et financier avec des fondamentaux macroéconomiques dégradés.
Compte extérieur : la pression restera forte
La position extérieure est nettement moins confortable que lors du précédent choc en 2015. Après trois années d’excédent, le compte courant a rebasculé dans le rouge en 2019 sous l’effet d’un gonflement des importations de biens et services. En 2020, la chute de la demande intérieure entrainera une baisse des importations, mais qui ne permettra pas de compenser les pertes subies du côté des exportations de pétrole (90% des exportations totales). En plus du retournement des cours du Brent, les engagements pris par le Nigéria dans le cadre de l’accord Opep+ devrait entraîner une diminution de sa production de pétrole de plus de 10% sur l’ensemble de l’année. Au total, les exportations pétrolières devraient chuter de moitié en 2020 à moins de USD 30 mds. A cela s’ajoutent des pressions inédites sur les transferts financiers de la diaspora nigériane dont les montants ont représenté plus de 25% des recettes en devises du compte courantces dernières années.
Le compte courant restera donc lourdement déficitaire, au-delà de 3% du PIB. La situation financière est également précaire. Les sorties massives de capitaux à partir du second semestre 2019 ont conduit à une érosion continue des réserves de change. Tombées à USD 35 mds à fin avril 2020, celles-ci se sont légèrement reconstituées depuis, grâce à l’assistance financière d’urgence de USD 3,4 mds accordée par le FMI. Mais le répit sera sans doute de courte durée. Au T1 2020, le stock d’investissements de portefeuille sur la dette de court terme en monnaie locale, atteignait plus de USD 20 mds, soit l’équivalent de 60% des réserves de change. Les investisseurs non-résidents ont notamment vendu une grande partie de leur stock de titres émis par la banque centrale. Ce stock, qui avait atteint un pic à USD 18 mds mi-2019 est retombé à environ
USD 8 mds, dont 70% arrivent à maturité d’ici la fin 2020). Le niveau toujours élevé des spreads souverains (753 points de base) indique une persistance de l’aversion au risque nigérian. Malgré une aide additionnelle de USD 3,5 mds de plusieurs bailleurs de fonds attendue prochainement, les réserves de change devraient donc de nouveau se réduire au second semestre pour clôturer 2020 sous la barre des USD 30 mds, soit à peine 4,7 mois d’importations de biens et services, contre 9,3 mois fin 2017. Elles reviendraient donc à leur niveau de 2015-2016, lorsque les autorités ont décidé de rationner considérablement leurs allocations de devises. L’émergence d’un écart significatif sur le marché parallèle des changes depuis le début de l’année en dépit de la dévaluation de la monnaie laisse penser que c’est le déjà le cas (graphique 2).
Ajustement du naira : nécessaire mais insuffisant
Dans ce contexte, la question de l’évolution du taux de change est redevenue centrale. Après quasiment quatre années de stabilité, les autorités monétaires ont procédé, le 20 mars, à un ajustement de 15% du taux officiel de change. A 360 NGN/USD, le naira s’est ainsi approché du taux NAFEX (70-80% des transactions commerciales et financières) sans pour autant combler totalement son écart puisque ce dernier cote désormais autour de 390 NGN/USD. La banque centrale a laissé entendre qu’elle pourrait bientôt unifier les deux taux. Le projet reste vague mais semble avancer. Selon Bloomberg, les autorités monétaires auraient délivré de la devise au taux de 380 NGN/USD aux importateurs le 4 juillet, ce qui impliquerait une nouvelle dévaluation de 5,3%.
Si une unification des taux de change constituerait une avancée indéniable, le niveau du naira continuera néanmoins de poser question. Même en collant au taux NAFEX, le cours officiel resterait 20% inférieur à celui du marché parallèle. Sur le marché offshore, le taux forward à 1 an se situe également à 460 NGN/USD, soulignant de fortes pressions à la baisse. En outre, rien ne dit que les autorités monétaires soient prêtes à aller vers plus de flexibilité. Or, la persistance d’une inflation élevée dans un contexte de stabilité du change entraîne une appréciation du Taux de Change Effectif Réel (TCER), qui contribue à alimenter les déséquilibres extérieurs. Malgré l’ajustement nominal du taux de change de mars, le TCER restait supérieur de 22% à son niveau de fin 2016.
Finances publiques : peu de flexibilité
Le double choc de la pandémie et du retournement des cours du pétrole a aussi considérablement compliqué l’équation budgétaire. Initialement basé sur un cours du baril à 57 dollars, le budget a été plusieurs fois modifié avant d’être voté sur une hypothèse conservatrice de 28 dollars. Avec plus de la moitié des ressources générées par le secteur pétrolier, une base fiscale parmi les plus étroites au monde (les recettes non-pétrolières dépassaient à peine 4% du PIB en 2019) et des dépenses en capital inférieures à 1% de PIB, la flexibilité budgétaire est quasi-inexistante. Malgré des ajustements sur des dépenses non-prioritaires et la fin des subventions énergétiques, le déficit budgétaire consolidé devrait atteindre 7% du PIB cette année, soit deux points de plus qu’en 2019.
La couverture des besoins de financement demeurera problématique. L’Etat ne devrait pas émettre sur les marchés obligataires internationaux cette année en raison des conditions dégradées. En dépit du soutien important des bailleurs de fonds, la banque centrale sera une nouvelle fois largement sollicitée. En 2019, 75% du déficit budgétaire a été monétisé, essentiellement via des facilités de trésorerie (overdraft facilities). Compte tenu des tensions sur la liquidité domestique, une proportion relativement similaire est attendue pour 2020. Or, le coût du financement direct par la banque centrale est significatif (taux directeur + 3%). Malgré une dette publique modérée (31% du PIB en 2020, dont moins d’un tiers est en devise), le poids des charges d’intérêt devrait ainsi absorber plus de 40% des recettes du gouvernement général en 2020, soit le double de l’an dernier. En 2014, l’Etat consacrait moins de 10% de ses ressources au paiement des intérêts. Dans ce contexte, le Nigéria a vu son rating souverain dégradé par les agences S&P et Fitch en mars-avril et Moody’s a placé une perspective négative. Les spéculations sur le souhait des autorités de bénéficier d’une suspension temporaire du service de la dette auprès de ces créanciers officiels sont également régulières malgré les démentis du ministre des finances.
Croissance : de nouveau en récession
Alors que la croissance économique était encore positive au T1 2020 (+1,9% en glissement annuel), les indicateurs avancés traduisent une forte chute de l’activité au T2. Malgré une légère remontée depuis mai en liaison avec l’allègement des mesures de restrictions, l’indice PMI est toujours sous la barre des 50 points (graphique 3) après avoir touché un point historiquement bas à 37,1 en avril. Or, les vents contraires resteront puissants en raison des nombreux effets induits par la chute des exportations de pétrole sur l’ensemble de l’économie. Face à cela, le plan de relance budgétaire apparaît modeste (1,6% du PIB), tout comme les mesures mises en place par les autorités monétaires.
En plus des injections de liquidité dans le secteur bancaire (2,4% du PIB) ou de la possibilité de restructurer temporairement les crédits des clients les plus affectés par la crise, la banque centrale a baissé son taux directeur de 100 points de base à 12,5%. La décision a surpris car elle intervient sur fond d’accélération de l’inflation (+12,4% en mai). Surtout, les canaux de transmission seront limités. Le secteur financier, de par son exposition large au secteur pétrolier (27% du portefeuille de crédits) et le niveau élevé de dollarisation (40% des prêts sont en devise étrangère), va être sous pression. Moody’s s’attend ainsi à voir le taux de créances douteuses plus que doubler à 12-15%.
Au total, le PIB réel devrait se contracter de plus de 4% en 2020, quatre ans après la précédente récession. En l’absence de remontée significative des cours du pétrole, la reprise attendue pour 2021 serait modeste à 2,4%, soit un niveau encore inférieur à la croissance démographique. Si une sortie par le haut est toujours possible (grâce à des réformes), la fragilisation inquiétante de la situation macroéconomique pourrait cette fois contraindre les autorités à solliciter un programme de financement conventionnel auprès du FMI. Elles s’y étaient opposées lors du dernier choc.