Crise sanitaire
L’épidémie de Covid-19 n’est pas encore maîtrisée au Mexique. Instauré à la fin du mois de mars, l’état d’urgence sanitaire (et la plupart des mesures qui lui sont associées) était toujours en vigueur au début du mois de juillet.
Cela dit, les décisions prises par le gouvernement apparaissent contradictoires et ont entretenu la confusion au sein de la population.
Ainsi, en dépit de l’état d’urgence sanitaire, le confinement a commencé plus tard que dans d’autres pays de la région et n’a jamais été strict, en outre le nombre de tests est limité. De plus, le gouvernement a proposé dès le 14 mai dernier un déconfinement progressif des différents états constituant le pays selon quatre couleurs (vert, jaune, orange, rouge) déterminées en fonction de la circulation du virus et du taux d’occupation hospitalière. Le 9 juillet, 14 états (dont celui de Mexico) étaient toujours classés « rouge », les 18 autres « orange ». Cependant, dans certains états classés « rouge » (où les restrictions devraient donc être maximales comme à Mexico), quelques activités ont repris depuis le milieu du mois de juin (transports publics, usines, commerces). Dans le même temps, le gouvernement a allongé la liste des « activités essentielles » afin de permettre à certains secteurs (construction, automobile) de redémarrer.
Au total, le pays a enregistré plus de 4 000 nouveaux cas par jour tout au long du mois de juin et ce rythme s’est encore accéléré depuis le début du mois de juillet. Au total, le nombre de cas par million d’habitants était d’environ 2 400, ce qui place le pays à la 59e place des pays les plus touchés.
Récession sévère en 2020
Sur le plan économique, les perspectives se dégradent continument depuis le début de l’année. On s’attend à une récession très sévère en 2020, le PIB réel pourrait ainsi reculer de plus de 8%. La conjonction des effets du confinement sur la demande interne, la chute du prix du pétrole, les ruptures d’approvisionnement, la désynchronisation des chaînes de valeur mondiales et la baisse de la demande externe (principalement en provenance des États-Unis, qui représentaient en 2019 plus de 80% du total des exportations), pèsent lourdement sur l’activité économique. Après avoir reculé de 1,4% t/t au T1 2020 (-2,2% en g.a.), le PIB s’est effondré en avril (-19,9 % en g.a. d’après l’indicateur d’activité publié par la banque centrale) et la production industrielle a reculé de près de 30% (-35% pour la seule production manufacturière).
Les mesures de soutien à l’économie mises en place par la banque centrale ne suffiront pas à absorber le choc. Depuis le début de l’année, le taux d’intérêt directeur a, en effet, été abaissé de 225 points de base (à 5%), et plusieurs séries de mesures destinées à soutenir la liquidité, ainsi que les ménages et les entreprises les plus vulnérables, ont été mises en place pour un montant équivalant à 3,3% du PIB. D’autres mesures pourraient être annoncées avant la fin de l’année (plusieurs nouvelles baisses de taux sont notamment anticipées).
Sur le plan budgétaire, en revanche, contrairement aux autres pays de la région, le gouvernement n’a pas, à ce jour, annoncé de plan massif de soutien à l’économie. Il disposait pourtant au début de la crise de marges de manœuvre budgétaires suffisantes : au cours des cinq dernières années, le déficit public est ressorti à 2% en moyenne (-2,3% en 2019) et la dette est restée inférieure à 55% du PIB depuis 2017. Cette décision de ne pas soutenir l’économie souligne l’engagement pris par le président Andres Manuel Lopes Obrador (AMLO) au moment de son élection de maintenir une politique d’austérité budgétaire. Même si un plan de relance était annoncé dans les mois qui viennent, son ampleur devrait être limitée (moins de 1% du PIB).
Capacité de rebond limitée
Les perspectives de croissance pour l’année 2021 (et les suivantes) se sont considérablement affaiblies. D’une part, l’absence de plan de relance gouvernemental pèsera sur la demande interne. D’autre part, l’économie mexicaine ralentissait déjà à la fin de l’année 2018 (le PIB a reculé de 0,3% en 2019) et les facteurs de ralentissement continueront de peser sur la croissance. Ainsi, les messages contradictoires envoyés par le gouvernement depuis son arrivée au pouvoir rendent sa politique économique difficile à lire. En particulier, l’incertitude concernant la participation des acteurs privés à la réforme du secteur de l’énergie, ou au vaste plan d’infrastructures présenté au début de l’année 2020, a contribué à la détérioration du climat des affaires et à la baisse continue de l’investissement depuis le mois de novembre 2018. Ce dernier a reculé de 5% en 2019, baisse qui s’est accentuée à 7% au T1 2020 (9,4% en g.a. au mois de mars). Les entrées nettes d’investissements directs étrangers ont également diminué depuis le milieu de l’année 2018 (représentant 2% du PIB en moyenne depuis le deuxième trimestre 2018, alors qu’elles atteignaient 2,3% en moyenne entre 2014 et le début de l’année 2018).
D’après le Fonds monétaire international, les bénéfices tirés de la remise en route des chaînes de valeur et de l’entrée en vigueur du nouveau traité commercial avec les États Unis et le Canada (le 20 juillet prochain) ne suffiront pas à compenser les effets de la chute de l’investissement et de l’incertitude entourant les décisions de politique économique dans les deux années à venir. Le 24 juin dernier, lors de la révision de ses perspectives, le FMI a abaissé les prévisions de croissance pour le Mexique, à -10,5% et 3,3% en 2020 et 2021 respectivement, contre -6,6% et 3,0% lors des prévisions publiées au mois d’avril.
Inquiétudes concernant les finances publiques
De la même manière, les inquiétudes relatives à l’évolution des finances publiques à court et moyen terme se sont renforcées. En effet, le ralentissement de l’activité économique et la chute du prix du pétrole devraient contribuer à creuser le déficit public à plus de 5% du PIB en 2020 (après 2,3% en 2019). En outre, même une fois la crise passée, la consolidation des finances publiques pourrait s’avérer difficilement réalisable.
Les objectifs fixés par le gouvernement à son arrivée au pouvoir (investir massivement dans le développement de l’entreprise publique d’exploitation pétrolière Pemex, développer les programmes sociaux, augmenter les dépenses sociales et l’investissement public, tout en maintenant une politique d’austérité budgétaire) paraissaient difficilement conciliables et atteignables avant la crise. Ils semblent à présent impossibles à tenir.
Dans le même temps, la situation financière et opérationnelle de l’entreprise Pemex continue de se détériorer[1]. La chute du prix du pétrole n’a fait qu’aggraver son besoin de liquidités et le soutien financier du gouvernement devrait être substantiel (et répété) au cours des mois à venir, ajoutant une pression supplémentaire sur les finances publiques en 2020 et 2021. D’après les estimations de Moody’s (datant de fin avril 2020, en retenant l’hypothèse de USD 50 par baril pour 2021, et USD 37 par baril en 2022), le soutien financier à Pemex, visant uniquement à faire face à ses besoins de liquidité et refinancer la dette arrivant à échéance (en excluant donc les investissements initialement prévus dans le plan de développement présenté en juillet 2019), devrait représenter entre 0,5% et 1,8% chaque année entre 2020 et 2022. En incluant une partie des investissements prévus, le soutien nécessaire s’élèverait entre 1,5% et 2,8% du PIB.
En 2020, le gouvernement devrait parvenir à éviter d’emprunter davantage sur les marchés financiers en puisant dans le fonds souverain. Mais, les ressources qui resteront disponibles ne permettront pas de renouveler l’opération en 2021. Même si un décret présidentiel a autorisé le gouvernement à puiser dans d’autres fonds, pour un montant équivalant à 3% du PIB, le ratio de dette publique sur PIB devrait augmenter à plus de 50% en 2020. En outre, la dette mexicaine est exposée au changement de sentiment des investisseurs : plus de 30% de la dette domestique (libellée en monnaie locale) est détenue par des investisseurs étrangers.