Croissance fragile depuis 2018 voire 2009
Sur l’ensemble de l’année budgétaire 2019/20 achevée au 31 mars 2020 (année fiscale 2020), la croissance économique indienne a enregistré une croissance de seulement 4,2%, la performance la plus faible depuis la crise financière internationale de 2009, et bien inférieure au potentiel de croissance estimé à 7,3%. Au dernier trimestre de l’exercice 2019/20 (entre janvier et mars 2020), la croissance n’était que de 3,1% par rapport à la même époque un an plus tôt. Toutes les composantes de la croissance ont décéléré sensiblement ou se sont contractées. Ce fort ralentissement reflète, en partie seulement, l’impact de l’épidémie de coronavirus sur l’activité économique.
Le ralentissement de l’activité est bien antérieur à la crise du coronavirus. Il a débuté en septembre 2018, suite à la faillite de deux filiales de la société financière non bancaire Infrastructure Leasing & Financial Services (IL&FS). Depuis cette date, l’activité économique a progressivement ralenti, les profits des entreprises ont baissé et le taux de chômage a augmenté.
La faillite de IL&FS a généré une forte baisse de l’offre de crédit de la part des organismes de financement non bancaires (les Non Banking Financial Companies et les Housing Finance Companies) dont le poids dans le financement de l’économie (notamment celui des ménages, des sociétés immobilières et des PME) avait très fortement augmenté à partir de 2014 (les NBFC et les HFC s’étant substituées aux banques publiques alors en difficulté). À partir de 2018, les sociétés de gestion d’actifs (mutual funds), principales sources de financement des NBFC, ont fortement réduit leur exposition aux plus fragiles d’entre eux, générant une forte hausse de leurs coûts de financement et une crise de liquidité.
La baisse du crédit non bancaire depuis septembre 2018 a pénalisé tout un pan de l’activité économique, notamment les secteurs de la construction et de l’immobilier. Le nombre de projets immobiliers résidentiels a baissé de 85% sur l’année 2019/20 et les prix de vente des biens résidentiels se sont contractés de 2,7% en g.a au T4 2019. Sur l’ensemble de l’année 2019, seulement un tiers des demandes de crédit des TPE (très petites entreprises) et des PME (petites et moyenne entreprises), qui jouent un rôle essentiel dans l’économie (elles sont à l’origine de 29% du PIB et 48% des exportations), a été accordé.
Depuis septembre 2019, le ralentissement de l’activité s’est intensifié. La consommation des ménages a ralenti conjointement à la hausse du taux de chômage et les investissements des entreprises se sont contractés (-2,8% sur l’ensemble de l’année 2019/2020) avec la baisse de leurs profits et des difficultés de financement. Enfin, les exportations se sont contractées, comme dans le reste de l’Asie, reflet des tensions commerciales entre la Chine et les États-Unis.
Selon certains économistes[1]le ralentissement économique enregistré depuis 2018 ne serait qu’un prolongement des conséquences de la crise de 2009. En effet, depuis 2009, la situation financière des banques et des entreprises est restée fragile, pénalisant les investissements, la compétitivité et in fine les exportations indiennes. Depuis 2014-15, une succession de chocs extérieurs positifs temporaires aurait permis de soutenir la croissance (en particulier la forte baisse des prix des matières premières et la hausse du crédit non bancaire depuis 2014) et donné l’illusion d’une croissance robuste.
En revanche, la crise de la Covid-19 a frappé de plein fouet une économie déjà fondamentalement plus fragile avec des marges de manœuvre budgétaires et monétaires limitées pour faire face au choc. Ainsi, pour la première fois depuis l’année budgétaire 1979/80, l’Inde n’échappera pas à la récession, ce qui n’était pas anticipé au début de la pandémie.
Une contraction de l’activité sans précédent
En juin dernier, le FMI a révisé ses prévisions de croissance. Il estime désormais que l’économie indienne se contractera de 4,5% sur l’année 2020/21 (alors qu’il n’anticipait en avril qu’un fort ralentissement à 1,9%) et ne rebondira que de 6% en 2021/22. Le confinement de la population pendant dix semaines a eu un effet sans précédent sur l’activité économique. Par ailleurs, même si le confinement général est levé depuis le 1er juin, plusieurs états ont été contraints de maintenir certaines villes ou quartiers confinés au regard de l’évolution de l’épidémie. Fin juin, le nombre de nouveaux cas de coronavirus était toujours en augmentation de 4% par jour.
Pendant le confinement, la contraction de l’activité a atteint des niveaux sans précédents. En avril-mai, la baisse de la production industrielle a atteint -46% en moyenne par rapport à la même période l’année dernière (après avoir reculé de plus de 18% en g.a. en mars), la contraction de l’activité étant particulièrement forte pour la production de biens en capital. Les résultats d’enquête auprès des entrepreneurs dans l’industrie et les services confirment une forte contraction de l’activité pour le troisième mois consécutif fin juin.
Depuis la fin du confinement généralisé le 1er juin, l’activité a légèrement rebondi. L’indice de confiance des entrepreneurs dans l’industrie s’est redressé en juin à 47,2 bien qu’il reste inférieur à 50, seuil au-delà duquel l’activité progresse. Le taux de chômage a reflué de plus de 15 points de pourcentage à 8% mi-juillet par rapport à son point haut enregistré en avril-mai. Enfin, après avoir considérablement chuté en avril, la consommation d’électricité est repartie à la hausse. Par ailleurs, indépendamment de l’épidémie de Covid-19, selon les organismes météorologiques, la mousson devrait être bonne cette année et soutenir les revenus des ménages ruraux.
Un secteur bancaire fragile pour faire face au choc
Le secteur bancaire indien est fragile, en particulier les banques publiques, même si le sauvetage en mars 2020 de Yes Bank par le gouvernement et la banque centrale a rappelé que certaines banques privées pouvaient être vulnérables.
Certes, globalement, la qualité des actifs bancaires s’est améliorée depuis 2018 mais elle reste fragile alors que les provisions sont insuffisantes (selon le FMI le ratio des créances douteuses nettes des provisions au capital s’élevait à 41% fin 2019). Fin septembre 2019, le ratio de créances douteuses dans l’ensemble du secteur bancaire était de 9,2% mais il atteignait encore 12,7% dans les banques publiques (contre 3,9% dans les banques privées). Par ailleurs, en dépit de l’adoption de la loi sur les faillites en 2016 (Insolvency and Bankruptcy Code), les délais de restructuration de dettes restent longs (394 jours en moyenne) bien qu’ils aient été considérablement réduits.
Fin mars 2020, les fonds propres étaient globalement suffisants pour respecter les exigences de solvabilité grâce aux importantes injections de capital par le gouvernement[2] au cours des deux dernières années (le ratio d’adéquation en fonds propres s’élevait à 15,3%). Néanmoins, la situation reste très hétérogène selon les banques publiques et certaines d’entre elles pourraient avoir besoin, une fois encore, de nouvelles injections de capital dans les prochains mois.
Par ailleurs, la liquidité est insuffisante (les actifs liquides ne couvraient que 22,9% des engagements à court terme fin 2019) et la profitabilité est extrêmement faible (les ROA et ROE s’élevaient à seulement 0,2% et 2,7% en 2019).
La crise économique générée par l’épidémie de Covid-19 va générer une hausse des risques de crédit estimée à 220 points de base par S&P en mai dernier mais elle pourrait être beaucoup plus importante au regard de la contraction de l’activité prévue. En outre, dès 2019, la situation financière des entreprises a commencé à se dégrader. La banque centrale estimait en fin d’année que les secteurs d’activité les plus fragiles en termes de risques de crédit étaient : la construction, les métaux, les infrastructures, l’exploitation minière.
Hormis les entreprises et salariés des secteurs du transport, de la construction, du tourisme, des restaurants et centres commerciaux, les agents économiques les plus exposés au confinement ont été les ménages et les très petites, petites et moyennes entreprises (qui représentent respectivement 27% et 5% des crédits bancaires). La suspension des remboursements de prêts pour une durée de trois mois aura permis d’alléger en partie seulement les tensions sur ces emprunteurs. En outre, même si les banques sont les principaux créanciers des moyennes entreprises, ce sont les NBFC qui sont les plus exposées aux emprunteurs les plus fragiles.
Les banques et les NBFC vont devoir affronter la hausse des risques de crédit alors qu’elles sont déjà fragilisées. Même si elles devraient continuer de bénéficier du soutien du gouvernement, elles seront plus sélectives dans l’octroi de financement, ce qui constituera un frein à la reprise.