Après s’être effondrée pendant la période du confinement le plus strict en février, l’activité économique s’est progressivement redressée à partir de mars. Le PIB réel a affiché une contraction sans précédent au T1 2020 (-10% en rythme trimestriel et -6,8% en glissement annuel) mais son rebond au T2 (+11,5% en rythme trimestriel et +3,2% en glissement annuel) a été suffisamment vigoureux pour permettre une récupération de la totalité du terrain perdu. La Chine se différencie donc sur ce point de la plupart des autres grands pays de la planète.
Le redressement observé depuis quatre mois a été principalement tiré par un rebond en forme de V de la production dans l’industrie et de l’investissement dans les infrastructures publiques et l’immobilier. Cependant, le choc subi a été sévère et laisse des traces. Certains secteurs, notamment ceux dépendant du tourisme et de la demande internationale, sont encore loin d’un retour à la normale. Même temporaires, les pertes de chiffres d’affaires des entreprises, les suppressions d’emplois et les pertes de revenus des ménages devraient continuer de peser sur la demande interne, tandis que les perspectives d’exportation sont assombries par les incertitudes sur la reprise dans les pays développés et par le regain de tensions entre la Chine et les États-Unis. Enfin, le risque de nouvelles résurgences de l’épidémie pèse sur les comportements des consommateurs[1].
Nos prévisions de croissance à court terme sont donc exposées à des risques baissiers. À l’inverse, elles sont fermement soutenues par les politiques de relance des autorités. Si le plan de soutien initial pouvait paraître relativement modeste, il prend de l’ampleur progressivement et devrait accompagner le redressement de l’activité au-delà du premier rebond.
Rebond différencié
L’ensemble des indicateurs d’activité attestent d’un redressement continu depuis quatre mois, avec un rebond plus vigoureux de la production industrielle et de l’investissement public que de la demande privée et des services (graphique 2). Ainsi, la production industrielle a renoué avec des taux de croissance positifs en glissement annuel (g.a.) dès le mois d’avril (+3,9% en volume, puis +4,4% en mai et +4,8% en juin). Sur les six premiers mois de 2020, la production industrielle n’était plus que de 1,3% inférieure à ce qu‘elle était sur la même période de 2019. La baisse en valeur est plus marquée en raison de la déflation des prix à la production depuis le début de l’année (-1,9% en moyenne en g.a.). Celle-ci a aggravé la détérioration des profits des entreprises industrielles, inférieurs de 19% en janvier-mai 2020 par rapport à la même période en 2019.
Du côté de la demande, l’amélioration depuis mars est tirée par l’investissement, en particulier dans les infrastructures publiques, le secteur de la construction et l’immobilier, qui sont soutenus par les mesures de relance des autorités. L’investissement dans le secteur manufacturier se redresse beaucoup plus lentement, contraint par les difficultés financières des entreprises, notamment des PME. Les entreprises exportatrices restent particulièrement prudentes. Les données du commerce extérieur montrent, certes, un recul très modéré des ventes de marchandises sur la période allant de mars à juin (-1,6% en moyenne en g.a. en dollars courants) après les fortes perturbations du mois de février (-40%), mais les perspectives d’exportation restent mauvaises à court terme.
La consommation privée repart également difficilement, pénalisée par la dégradation du marché du travail (le taux de chômage est proche de 6% depuis février, contre 5,2% en 2019) et des revenus des ménages (le revenu disponible par tête a baissé de près de 4% en termes réels en g.a. au T1 2020). En juin, les volumes de ventes au détail se contractaient encore en g.a. (-2,9%) en dépit de l’important rebond des ventes automobiles (+11,8%), tandis que les ventes de biens et services par internet se montraient logiquement plus dynamiques (+16%). Les facteurs pesant sur le redressement de la consommation des ménages et les exportations devraient persister à court terme, tandis que les autorités misent d’abord sur les mesures de soutien à l’investissement pour relancer l’économie.
Stimulus budgétaire
La banque centrale est intervenue depuis le début de la crise du Covid-19 pour répondre aux demandes de liquidités du secteur financier. Elle a assoupli les conditions monétaires et de crédit, et encouragé les banques à couvrir les besoins de trésorerie de leurs clients et à refinancer les prêts existants pour éviter défauts et faillites. Les micro et petites entreprises semblent être au centre des préoccupations des autorités. La croissance des crédits à l’économie (social financing) a déjà accéléré de 10,7% en g.a. fin février 2020 à 12,8% fin juin. Elle devrait atteindre 13% à 14% fin 2020. L’assouplissement des conditions de crédit devrait toutefois rester relativement modéré, la marge de manœuvre de la banque centrale étant fortement contrainte par l’endettement excessif de l’économie.
Le soutien à la croissance reposera davantage sur la politique budgétaire. Les mesures introduites et/ou annoncées depuis février visent à aider les secteurs et les entreprises les plus sévèrement affectés par les conséquences de l’épidémie, à soutenir les revenus des ménages, notamment par la relance de l’emploi, et à stimuler la demande interne. L’investissement public dans les projets d’infrastructures reste l’instrument privilégié, et son rebond est notable depuis déjà deux mois. Les mesures prises directement en faveur des entreprises, de l’emploi et de la consommation privée devraient être mises en œuvre plus progressivement.
À l’issue de la session annuelle du parlement fin mai, le gouvernement a publié son budget pour 2020 et annoncé son objectif de déficit, qui doit atteindre 3,6% cette année contre 2,8% en 2019. Bien qu’il soit à un niveau historiquement élevé, ce déficit laisse supposer un plan de relance très modeste. Cependant, le budget « officiel » du gouvernement sous-estime largement l’ampleur réelle du stimulus et plus généralement de la politique budgétaire chinoise. Celle-ci comporte plusieurs volets. Certains d’entre eux sont inscrits au budget officiel, d’autres le sont dans divers comptes hors de ce budget, notamment : les caisses de sécurité sociale, le fonds financé par l’émission d’obligations « spéciales » du gouvernement central, des fonds spéciaux des collectivités locales et les comptes des véhicules de financement de ces collectivités. Les entreprises publiques peuvent également participer à des mesures de relance. Enfin, des transferts entre les différents comptes sont possibles au cours d’un exercice budgétaire.
En plus de leur objectif de déficit officiel, qui est financé par l’émission d’obligations dites « générales » (environ 70% par le gouvernement central et 30% par les collectivités locales), les autorités ont annoncé les montants d’émissions d’obligations « spéciales » en 2020 qui financeront une partie du budget supplémentaire alloué aux mesures de relance post-Covid. Ainsi, le gouvernement central doit émettre des obligations spéciales pour un total de CNY 1000 mds (soit 1% du PIB estimé de 2020)[2], et le quota d’émissions d’obligations spéciales pour les collectivités locales a été augmenté de CNY 1600 mds pour atteindre CNY 3750 mds (soit 3,6% du PIB estimé de 2020). La dette publique est presque entièrement libellée en renminbis et émise sur les marchés locaux. La dette du gouvernement central reste modérée et ne devrait pas dépasser 20% du PIB en 2020. En revanche, celle des collectivités locales (et de leurs véhicules de financement) est élevée, estimée à environ 50% du PIB.
En additionnant le déficit officiel, les fonds financés par les obligations spéciales et une estimation des autres comptes publics hors budget, le déficit budgétaire « élargi » s’élève à 10,9% du PIB en 2019 et est prévu à 15,9% du PIB en 2020 (graphique 3). Cette hausse de 5 points de PIB donne une idée plus réaliste de l’ampleur du stimulus budgétaire envisagé par les autorités. Celles-ci n’ont pas précisé les montants alloués aux différentes mesures de soutien. On peut néanmoins souligner : les nouveaux investissements dans des projets d’infrastructures, pour un montant estimé à environ 2% du PIB, et les aides directes aux entreprises et aux ménages (pour un montant total estimé à environ 3% du PIB). Ces dernières comprennent notamment des exonérations et réductions de cotisations sociales et d’impôts, et des modifications de l’assurance-chômage pour accélérer les déboursements et couvrir les travailleurs migrants.