Une gestion controversée de la crise sanitaire
Sur fond d’escalade des tensions juridico-politiques au cours des derniers mois[1], la gestion de la crise sanitaire de la part des autorités fédérales demeure très controversée : suspension temporaire de la publication des données relatives au Covid-19, limogeage successif de deux ministres de la santé, absence de stratégie au niveau national, fortes dissensions entre les différents niveaux de gouvernement, véto présidentiel pour atténuer les exigences d’une loi nécessitant le port du masque dans certains espaces publics.
Ce contexte a accentué les difficultés à contrôler la progression de l’épidémie, qui pour le moment continue de battre son plein. Début juillet, avec près de 65 000 décès, et plus de 1.6 million de cas recensés — y compris le Président lui-même — le Brésil est le 2e pays le plus affecté par l’épidémie de Covid-19 après les États-Unis. Le nombre de décès cumulé par million d’habitants (313) reste pour l’instant en deçà de celui de pays voisins tels que le Chili et le Pérou mais aussi de pays comme la France (460), la Suède (540), l’Italie (577) ou la Belgique (844). Toutefois, en affichant le nombre de décès quotidiens le plus élevé au monde (plus de 1000 en moyenne mobile sur une semaine), le Brésil devrait très rapidement être propulsé en haut de ce classement.
Au niveau national, l’inversion de la courbe épidémique devrait prendre plusieurs mois du fait de la progression plus tardive du virus dans certaines régions (notamment le centre-ouest et le sud du pays). Toutefois, dans les régions initialement les plus touchées, y compris dans les États de Sao Paulo et Rio de Janeiro — les deux poumons économiques du pays (près de 50% du PIB) — la progression de l’épidémie s’est stabilisée et dans certains cas a ralenti. Les gouverneurs des États ainsi que les maires — à qui il incombe de décider de la reprise de l’activité — ont assoupli les mesures de confinement et procédé à la réouverture progressive des commerces. La levée des restrictions demeure toutefois très hétérogène entre États.
Des pertes d’activité conséquentes
Les résultats du PIB du premier trimestre publié fin mai ont mis en évidence les premiers effets de la pandémie sur l'activité. Le PIB s’est contracté de 6% t/t en rythme annuel (-0,2%, g.a.), marqué par un recul dans l’industrie et les services en baisse de 5% à 6% en rythme annualisé. La correction a été limitée par la bonne tenue du secteur agricole et de l’élevage, moins affectés par la crise.
L’ampleur du choc récessif devrait être conséquente au T2, avoisinant les -35% t/t en rythme annuel mais moins forte que ce que l’on pouvait craindre. Certes, en avril, au cours du premier mois complet des mesures de confinement, l’indicateur avancé du PIB de la Banque Centrale (IBC-R) s’est effondré (-9,7% m/m et -15,1% en g.a.) reflétant la chute de la production industrielle (-18,8% m/m ; -27,2% en g.a) et une baisse record de l’activité dans les services (-11,7% m/m; -17,2% en g.a.). Les données d’enquêtes montrent que les activités de services et l’emploi dans le secteur ont continué de se dégrader au cours du trimestre (PMI services à 35,9 en juin). Depuis mai, le redressement de la confiance des ménages et des entreprises demeure très insuffisant pour compenser la chute historique observée en avril.
Mais l’indicateur de l’investissement de l’IPEA pour le mois de mai montre cependant une reprise plus rapide qu’attendue de l’investissement (+28,2% m/m), tirée notamment par une hausse de dépenses dans le secteur de la construction civile. L’interruption, plus courte que prévue, des activités de production de biens d’équipement, de biens intermédiaires ainsi que des biens de consommation durables et non-durables — ont également permis en mai un rebond de la production industrielle (+7% m/m, -21,9% en g.a.) avec 20 secteurs sur 26 enregistrant une croissance positive. Dans le même temps, le flux des poids lourds sur les routes à péage a progressé de près de 10% sur le mois tandis que les ventes au détail (y compris véhicules et matériaux de construction) se sont aussi raffermies (+19,6% m/m) après deux mois de repli. Grâce aux mesures de soutien à la liquidité, le crédit aux entreprises progresse et passe en termes réels en territoire positif pour la première fois depuis 2014 (+8,5%, en g.a. en mai contre -1,6 % en février).
Après 4 mois de contraction, l’indice PMI dans le secteur manufacturier est aussi repassé en juin en phase d’expansion (51,6), tiré notamment par la remontée de nouvelles commandes. Enfin, la balance commerciale a affiché de bonnes performances au cours des derniers mois du fait de la reprise de la demande chinoise et de la résistance du prix de certaines matières premières agricoles (ex. soja, orange, sucre, bœuf) et du minerai de fer. La bonne tenue des exportations en volume alors même que les importations ralentissent fortement laisse ainsi augurer une contribution positive du commerce extérieur net à la croissance.
Ecartement d’un scénario de reprise en V
La vigueur de la reprise devrait toutefois être contrainte par l’absence de facteurs de soutien durables à la croissance. La relance par l’investissement public devrait être limitée par la fragilité des comptes publics. Dans le même temps, les entreprises devraient reporter leurs décisions d’investissement du fait 1/ de capacités de production fortement excédentaires[2] 2/ de la faiblesse de la demande ainsi que 3/ de la mobilisation de la trésorerie pour honorer les engagements financiers temporairement suspendue pendant la crise.
Pénalisées par la faiblesse de la monnaie et une hausse de l’endettement, certaines entreprises s’attèlent à réduire leurs coûts (baisse des intrants importés et réduction de l’emploi) et leurs investissements. La suspension d’un grand nombre d’enchères associé au programme de concessions et de privatisations (USD 36 mds prévus initialement en 2020) devrait entraîner un fléchissement des investissements directs étrangers (représentant 25,5% de la formation brute de capital fixe d’après la CNUCED).
La hausse de l’épargne de précaution, le prolongement dans le temps des pratiques de distanciation sociale et la dégradation des conditions sur le marché du travail vont également peser sur les perspectives de croissance de la consommation privée. La hausse jusqu’alors limitée du chômage (12,6% fin mai contre 11,9% fin décembre), est en réalité faussée par la baisse de la population active reflétant la forte hausse du nombre de travailleurs “découragés”. En maintenant le taux de participation à la population active à son niveau observé fin 2019, le chômage atteindrait près de 21%, d’après GSP. Au vu de ces considérations, l’activité ne devrait pas retrouver son niveau d’avant crise au minimum avant courant 2022.[3]
Le soutien des politiques économiques se poursuit
En juin, la Banque Centrale (BCB) a dévoilé un nouveau programme de soutien aux micros, petites et moyennes entreprises avec un potentiel de crédit de près de USD 40 mds. Afin d’accroître davantage la liquidité des entreprises, elle devrait aussi procéder à l’achat de titres de dette privés sur le marché secondaire. Par ailleurs, la BCB a été autorisée par le Congrès à intervenir sur le marché primaire de la dette souveraine. Elle ne compterait toutefois pas faire usage de cette prérogative pour « aplatir » la courbe des taux qui s’est fortement redressée depuis quelques mois. Avec une inflation très en dessous de la cible, la BCB a procédé à trois baisses de son taux directeur depuis mars (-200 points de base en cumulé à 2,25%). L’assouplissement monétaire a participé au regain de la bourse brésilienne qui a effacé une partie de ses pertes subies en mars (-45% au plus bas contre -13% début juillet par rapport au début d’année). Toutefois, malgré un rebond en mai, l’USDBRL reste toujours en retrait de 25% sur l’année et demeure la monnaie émergente la plus volatile depuis février. Un retour marqué de la part des investisseurs étrangers se fait toujours attendre suite à d’importants flux nets sortants (USD 32 mds sur la période mars-mai).
Le gouvernement a prolongé de nombreuses mesures de soutien aux populations les plus vulnérables, aux États et municipalités ainsi qu’aux entreprises. L’impact budgétaire total des mesures avoisinerait les 9 points de PIB, le déficit primaire s’établirait au minimum à 11,5% du PIB et le ratio de dette publique devrait être proche de 100% du PIB d’après les dernières estimations du ministère de l’Économie. La dégradation des équilibres budgétaires, ne s’est pour l’instant pas traduit par une remontée durable des primes de risque souverain. Après avoir connu un écartement important en mars, le spread sur la dette à 10 ans entre le Brésil et les États-Unis ainsi que le spread CDS se sont détendus. Mais ils demeurent respectivement à 100 et 150 points de base au-dessus de leur niveau d’avant crise et le risque d’un ré écartement reste élevé.