Forte contraction de l’activité attendue au T2 mais premiers signes de rebond en juin
La Russie a été confrontée à un double choc en 2020 : un choc de demande et un choc d’offre provoqués par le confinement de la population (entre le 30 mars et le 11 mai voire jusqu’à mi-juin dans certaines communes), l’effondrement du prix de l’Oural de pétrole (- 40% en g.a. sur les six premiers mois de l’année) et la baisse de la production de pétrole depuis le 1er mai (-20%) dans le cadre des accords signés avec l’OPEP+.
Le PIB réel, qui affichait encore une progression de 1,6% en glissement annuel (g.a.) au premier trimestre 2020, a chuté de 11% en g.a. en moyenne sur avril-mai selon les premières estimations du ministère du Développement économique. La baisse de la production industrielle s’est même accentuée de -6,6% en avril à -9,6% en mai. Toutes les composantes de la demande ont fortement baissé. Les ventes au détail ont reculé de 21% en moyenne sur avril-mai. Le taux de chômage a atteint 6,2% en juin, un record depuis la crise financière de 2009 et les salaires réels fléchissent (-2% en mai). De même, sur les quatre premiers mois de l’année, les profits des entreprises se sont contractés de 54,4% en g.a.
En juin, l’activité devrait légèrement rebondir avec la fin du confinement, comme le laissent à penser les derniers résultats d’enquête. L’indice de confiance des entrepreneurs dans l’industrie a rebondi à 49,4 en juin après avoir atteint un point bas de 31,3 en avril. Même si cet indice composite reste inférieur au seuil de 50 (au-delà duquel l’activité progresse), les industriels anticipent une accélération de l’activité et font état d’une hausse de leurs carnets de commandes. Sur l’ensemble du deuxième trimestre, le ministère du Développement économique prévoit, malgré tout, une contraction de l’activité de l’ordre de 9,7% en g.a.
Au second semestre, l’activité continuerait de se raffermir mais la reprise sera lente et graduelle. Elle sera favorisée par une politique monétaire accommodante (la CBR a abaissé ses taux de 175 points de base depuis janvier), un soutien financier aux ménages les plus pauvres, une légère hausse des dépenses publiques et la modération des pressions inflationnistes.
D’ici la fin de l’année, la hausse des prix à la consommation devrait en effet rester contenue sous le seuil de 4% en g.a. fixé par la banque centrale. En juin, l’inflation s’est établie à 3,2%, alors même que l’essentiel de la dépréciation du rouble enregistrée au printemps a probablement été déjà répercutée. La banque centrale dispose donc d’une marge de manœuvre pour abaisser ses taux directeurs au-delà de 4,5%, même si une nouvelle baisse des taux ne devrait guère excéder 50 points de base. La banque centrale a rappelé lors de son comité de politique monétaire de juin dernier qu’elle ne souhaitait pas voir ses taux réels passer en territoire négatif. Néanmoins, même si la politique monétaire est particulièrement accommodante (les taux directeurs n’ont jamais été aussi bas), un rebond des investissements avant 2021 est difficilement envisageable. Selon la banque centrale, la contraction de l’activité sera comprise entre 4 et 6% en 2020 alors que le FMI prévoit pour sa part une baisse du PIB de 6,6% avant un important rebond en 2021.
Le fonds souverain a permis de compenser la baisse des recettes
Depuis la crise de 2015, le gouvernement et la banque centrale se sont efforcés de réduire la dépendance du pays au pétrole. C’est chose faite. En 2019, le prix d’équilibre du budget était de seulement USD 42 le baril alors qu’il s’établissait à USD 113 il y a cinq ans. Par ailleurs, au premier semestre 2020, en dépit de l’effondrement des recettes issues des activités de pétrole et de gaz (-35,4%), l’ensemble des recettes budgétaires ne s’est contracté que de 4,8%. En effet, conformément à la règle fiscale en vigueur depuis 2017, le gouvernement a utilisé une partie des actifs du fonds de richesse nationale (pour un total de USD 12,5 mds) afin de compenser la perte de recettes pétrolières induites par des prix du pétrole inférieurs à USD 42 le baril entre le 11 mars et le 30 juin 2020. Au 1er juin, son fonds s’élevait à USD 171 mds soit 10,7% du PIB 2019.
Le gouvernement a ainsi pu maintenir ses dépenses engagées au titre du budget 2020 et faire face à la très forte hausse des dépenses de santé engendrée par l’épidémie de coronavirus. Sur les six premiers mois de l’année, l’ensemble de ses dépenses a augmenté de près de 26%, générant un déficit annualisé équivalent à 1,9% du PIB 2019.
Pour faire face à l’épidémie de coronavirus et aux conséquences économiques induites par le confinement (notamment pour les ménages et les PME), le gouvernement a annoncé trois plans de soutien budgétaire dont le coût total est estimé à 2,8% du PIB par la Banque mondiale. De plus, le 2 juin dernier, le ministère des Finances a annoncé un « plan de soutien à la reprise » d’une valeur de RUB 5000 mds (soit 4,1% du PIB) qui sera mis en place entre le T3 2020 et le T4 2021. Néanmoins, ce plan inclut déjà une très grande partie des mesures de soutien annoncées précédemment (notamment des mesures monétaires prises par la banque centrale envers les PME) et les dépenses supplémentaires qui incomberont au budget sont estimées à seulement RUB 430 mds (0,4% du PIB). Environ un tiers sera engagé au cours du second semestre 2020 et les deux-tiers restant feront partie du budget 2021.
Sur l’ensemble de l’année 2020, le déficit budgétaire devrait avoisiner 5% du PIB et la dette excéder légèrement 20% du PIB. Le risque de refinancement de la dette russe est extrêmement contenu, même si des tensions sur le marché obligataire sont apparues depuis fin juin suite à l’annonce, par le ministère des Finances, d’émissions de dette obligataire domestique plus importantes que prévu. La dette est détenue à 67% par les résidents et les remboursements pour 2020 et 2021 sont estimés à USD 17 et 23 mds, dont seulement 4 mds en dollar US.
Les comptes extérieurs restent solides
Au 1er juillet, les réserves de change s’élevaient à USD 438 mds (-5 mds depuis le début de l’année) et le rouble n’avait perdu que 9,1% de sa valeur face au dollar US depuis la fin 2019, alors même que le prix de l’Oural de pétrole a baissé de plus de 38% en moyenne. Cette relativement bonne tenue du rouble s’explique par l’application de la règle fiscale de 2017 : les ventes d’actifs du fonds de richesse nationale (pour compenser les pertes budgétaires) ont permis de soutenir la monnaie russe. Sur les six premiers mois de l’année, l’excédent du compte courant a en effet baissé de 48% par rapport à la même période l’année dernière (à seulement USD 22,3, mds) même si le déficit de la balance des services s’est réduit avec la fermeture des frontières. La balance commerciale reste en surplus mais celui-ci s’est réduit de plus de 46% avec la contraction des exportations de pétrole.
Au second semestre, l’allègement des restrictions sur les voyages internationaux et la reprise attendue des importations de biens, conjointement au rebond de la demande intérieure, vont peser sur le compte courant alors même que les exportations devraient rester faibles. Sur l’ensemble de l’année 2020, le surplus du compte courant devrait être proche de zéro.
Les pressions à la baisse sur le solde du compte courant seront compensées par la hausse des investissements de portefeuille. Depuis le mois de mai, les investisseurs étrangers ont à nouveau manifesté de l’intérêt pour la dette russe dont les émissions devraient atteindre sur l’ensemble de l’année RUB 5 tn (4,5% du PIB). Ainsi, au 1er juin, ils détenaient 31,8% de la dette domestique (contre 32,2% en début d’année).
Le secteur bancaire plus solide qu’en 2014
Le secteur bancaire est moins fragile qu’en 2014 pour affronter la crise qui se profile : la liquidité a augmenté, la dette des banques s’est réduite (notamment la dette libellée en dollars) et la position extérieure du secteur s’est renforcée. Par ailleurs, la qualité des actifs s’est améliorée depuis 2018, même si elle reste fragile et le degré de dollarisation a fortement baissé. En mai 2020, les créances douteuses représentaient encore 10,9% des prêts, sachant que les restructurations provoquées par la crise de la Covid-19 (et les provisions qui seront alors constituées) ne seront pas effectives avant le 30 septembre.
Dans les secteurs du pétrole et des métaux, la situation financière des entreprises semble suffisamment solide pour faire faire face à la baisse des prix et de la demande. En revanche, le confinement aura des répercussions beaucoup plus fortes sur les entreprises des transports, de l’immobilier, de la construction et du tourisme.
La banque centrale anticipe une forte hausse des créances douteuses jusqu’au début 2021. Les taux de défaut devraient être multipliés par 2, voire 3, dans ces secteurs d’activité et atteindre 11 -13% dans l’hôtellerie, 9-10% dans la production de biens dits « non essentiels » et 6-7% dans l’immobilier. Entre le 20 mars et le 6 mai 2020, les banques ont déjà restructuré l’équivalent de 3,7% des prêts des grosses entreprises et 6,9% des prêts des PME. Le secteur bancaire russe devrait néanmoins être en mesure de faire face à la montée du risque de crédit. En avril, son ratio de solvabilité s’élevait à 12,7%. Par ailleurs, il continuera de bénéficier du soutien du gouvernement, même s’il est sélectif.