Chocs multiples pour les pays émergents
La pandémie du Covid-19 frappe durement l’ensemble de la planète. D’après l’OCDE, sur un échantillon de près de 50 pays (développés et émergents), le choc d’offre généré par les confinements devrait se traduire par une perte d’activité de 15% au minimum (la médiane est à -25%) Un tel choc est inédit; même durant la récession mondiale de 2008-2009, entre le pic et le creux, aucun pays n’avait enregistré une baisse de PIB de plus de 5%. Certes, un rebond devrait intervenir après les périodes de confinement comme c’est d’ailleurs le cas en Chine en mars. Mais, contrairement à l’épisode de 2008-2009, les reprises seront moins synchronisées. L’Asie sera la première à se redresser, suivie des pays d’Europe centrale puis de l’Amérique latine. La croissance des principaux pays émergents serait de l’ordre de 1% cette année (0% hors Chine) après 4% en 2019. L’Amérique latine serait la plus touchée avec une récession d’au moins 2.5%.
Pour les pays émergents, au choc d’offre s’ajoute un choc financier ; ainsi, les fonds d’investissement de portefeuille dédiés aux pays émergents ont connu des décollectes massives, également sans commune mesure avec les épisodes de stress financiers précédents. D’après les estimations de l’IIF, la baisse cumulée des investissements de portefeuille a atteint USD 95 milliards depuis le début de la pandémie contre -20 mds durant la crise de 2008-2009 et le Taper Tantrum. Au cours du mois de mars, il n’y a eu aucune émission de dette souveraine en devises.
Les pays producteurs de matières premières devraient être les plus pénalisés car l’appréciation du dollar ne compense pas la baisse des cours mondiaux. L’OPEP et la Russie sont parvenus à un accord de réduction de la production de près de 10% mais la baisse de la demande a déjà atteint 20% et les stocks sont au plus haut. Les prix vont donc durablement rester bas à court terme. A moyen terme, il est probable que la croissance du commerce mondial soit structurellement réduite (raccourcissement des chaînes de valeur, relocalisation), ce qui pèsera sur les cours de l’ensemble des matières premières.
Comme pour les pays développés, la réaction des gouvernements et des autorités monétaires a été rapide et multiforme. Les banques centrales ont tout de suite envoyé des signaux forts de soutien à la liquidité domestique (baisse des taux directeurs, des coefficients de réserve obligatoire, assouplissement des conditions de refinancement des banques). Ce soutien s’impose d’autant plus pour les pays émergents que l’assèchement de la liquidité extérieure peut générer à elle-seule des tensions sur les taux d’intérêt domestiques.
Parallèlement, la plupart des gouvernements ont annoncé des plans de soutien à l’économie. Evidemment, les montants ne sont pas comparables car ils incluent à la fois les mesures fiscales et les dépenses effectives (qui vont donner lieu à une aggravation du déficit budgétaire) et la mise en place de lignes de financement ou de garanties (qui sont des dépenses/dettes potentielles). Il ne s’agit pas de plans de relance mais de mesures destinées à maintenir l’activité et pour une part conditionnelles (comme les prêts et garanties bancaires). Les effets multiplicateurs seront donc a priori faibles.
Vers un moratoire sur les tombées de dette souveraine ?
La fermeture du marché de la dette internationale fait craindre un risque de refinancement en dollar. Nombre de pays doivent faire face en 2020 à des tombées de dette internationale (dues par les Etats ou des entreprises), représentant au moins 20% des réserves de change : Bahreïn (47%), la Turquie (30%), le Ghana (27%), le Nigeria (23%), le Chili (22%), l’Ukraine (20%). Pour ces pays, le risque de défaut est faible a priori. Mais à l’exception du Chili et de la Turquie, ce sont des pays à structure économique fragile et donc susceptibles de connaître une récession prolongée. Ils feront donc l’objet d’une surveillance particulière de la part des investisseurs.
Les filets de sécurité pour le traitement préventif des défauts se mettent en place. Les lignes de swaps annoncées entre la Fed et les autres pays ne couvrent encore que quelques pays émergents, (Brésil, Corée du Sud, Mexique). Mais, le FMI a mis à disposition USD 100 milliards d’aide d’urgence accélérée, dont USD 10 mds sous forme de prêts à taux zéro pour les pays les plus vulnérables.
Autre option plus radicale : l’idée d’un moratoire sur les remboursements ou d’un allègement de dette. Le FMI va accorder, dans le cadre de son fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes, des dons permettant à 25 pays de couvrir leurs remboursements vis-à-vis du FMI. Cette initiative va s’amplifier, le FMI et de la banque mondiale ayant plaidé pour un allègement de la dette des 76 pays les plus pauvres. Le G20 devrait accorder un moratoire sur les prêts bilatéraux probablement jusqu’à la fin 2021. C’est un premier pas. Un moratoire permettrait d’affecter prioritairement les aides aux besoins sanitaires et éviterait que les agences ne mettent de l’huile sur le feu en abaissant les notations.