Croissance : la légère reprise interrompue
Jusqu’en février 2020, certains indicateurs d’activité laissaient envisager une reprise d’activité, notamment soutenue par une accélération des commandes à l’exportation. La production industrielle avait rebondi, ainsi que la production d’électricité qui avait renoué avec des rythmes de croissance positifs après cinq mois de contraction. Les exportations s’étaient redressées (+2,9% en g.a. en février après six mois de contraction). Les résultats d’enquête auprès des entreprises confirmaient ce rebond ainsi que la légère reprise du crédit aux entreprises. En revanche, la demande intérieure restait décevante : les ventes automobiles se contractaient pour le 16e mois consécutif et les indicateurs de confiance des ménages s’enfonçaient encore davantage.
Cette légère reprise de l’activité économique ne résistera pas à la crise du coronavirus. L’activité va fortement ralentir entre mars et septembre 2020 et la dynamique de croissance pourrait prendre la forme d’un U. Elle pourrait ralentir de plus de 2 points de pourcentage (pp) sachant que la croissance devrait déjà être en recul pour l’année 2019/20 (attendue à 5% selon les dernières estimations officielles). Un tel ralentissement constitue un risque majeur pour le secteur bancaire, toujours en convalescence, et pourrait générer une détérioration des finances publiques. La croissance économique va être affectée par quatre chocs négatifs (le tourisme, les exportations, les sorties de capitaux, le confinement de la population annoncé le 25 mars) et un choc positif (la baisse des prix du pétrole).
Les recettes touristiques ne s’élèvent qu’à 1% du PIB. Lors de l’épisode du SRAS, l’activité du secteur du tourisme s’était contractée de 20%. Dans le cas présent, on peut envisager une baisse des recettes de 50%.
Les exportations représentent près de 20% du PIB. On s’attend à une contraction des exportations de 11% dans le cas d’un ralentissement mondial de 2 pp. Cette baisse du volume des exportations serait toutefois compensée par l’effet positif induit par la chute des prix du pétrole. La facture pétrolière s’est élevée à 5% du PIB en 2019. Une baisse des prix du pétrole de plus de 38% (USD 61,9 en 2019/20 à USD 38 en 2020/21 si l’on se réfère aux forwards) permettrait de réduire les importations de pétrole de plus de 2 pp, voire bien davantage avec le confinement de la population.
Point positif : une baisse de USD 10 du prix du baril de pétrole aurait, selon la banque centrale, un effet positif sur la croissance de l’ordre de 0,15 pp via la hausse du pouvoir d’achat des ménages (soit 0,35 pp sur la croissance compte tenu de nos hypothèses de pétrole). L’impact serait toutefois légèrement amoindri par la hausse de la taxe sur les produits pétroliers adoptée le 14 mars 2020. Par ailleurs, le confinement de la population pourrait annihiler tous les effets positifs.
Le confinement va provoquer une baisse de la consommation des ménages (59% du PIB) et un report des projets d’investissement (29% du PIB) d’autant plus importants que les sorties de capitaux vont durcir les conditions de financement. En outre, sachant que la part du travail informel reste prédominante (83% selon l’OIT), les travailleurs « non reconnus » pourraient ne bénéficier d’aucune aide pendant la période de confinement.
L’impact final sur la croissance dépendra de la durée et du degré de confinement. Si l’économie est partiellement paralysée pendant un trimestre alors la croissance ralentirait à 2,7% en 2020/21. En revanche, si toute l’économie était paralysée pendant deux trimestres alors l’activité économique pourrait n’atteindre, au mieux, que 1,5%.
Des mesures de soutien sous contraintes
Face aux tensions sur les marchés financiers et aux importantes sorties de capitaux, la banque centrale a déjà adopté depuis le mois de février plusieurs mesures de soutien pour pallier les manques de liquidités en roupies (INR) et en dollars. La banque centrale a injecté INR 1250 mds de liquidité dans le cadre d’opérations de repo à long terme (LTRO) et mis en place des lignes d’échange de dollars contre roupies (swap de change) pour une maturité de six mois et un montant total de USD 6,7 mds. Sur le plan budgétaire, le gouvernement a annoncé le 26 mars dernier un plan de INR 1,7 trn (0,8% du PIB). Mais les marges de manœuvre sont plus limitées que dans d’autres pays d’Asie compte tenu des niveaux élevés de déficit budgétaire, de dette ainsi que des risques de détérioration de la note souveraine par les agences de notation.
Sans un soutien massif aux entreprises mais aussi aux ménages, le secteur bancaire pourrait être ébranlé par une très forte hausse des risques de crédit même si les entreprises indiennes sont aujourd’hui dans une meilleure situation financière qu’en 2013-14. Leur dette s’élevait au T3 2019 à 44,2% du PIB (contre 52,9% au T2 2013).
La baisse du pétrole soutiendra la roupie
Deux effets opposés vont affecter les comptes extérieurs : la baisse des prix du pétrole et les importantes sorties de capitaux.
Selon la Banque centrale indienne, toute baisse de USD 10 du prix du baril de pétrole aurait un effet positif sur le solde du compte courant de USD 10 mds. Si le prix du pétrole atteignait en moyenne USD 38 le baril sur l’année 2020/21 (contre 61,9 sur l’exercice 2019/20) alors le solde du compte courant, estimé à moins de USD 30 mds pour l’exercice 2019/20 (0,8% du PIB), pourrait être proche de l’équilibre au cours de l’année 2020/21.
Néanmoins, selon les données de l’IFI, sur les sept dernières semaines les sorties de capitaux induites par les ventes d’actions et d’obligations ont atteint plus de USD 20 mds. À titre de comparaison, entre mai et novembre 2013, les ventes de titres de dette avaient atteint 14 mds sur 28 semaines alors que les ventes d’actions avaient été extrêmement limitées.
Au 31 mars, la dépréciation de la roupie face au dollar est restée contenue à seulement 5,3% en g.a. Les autorités monétaires sont intervenues pour stabiliser leur monnaie, comme l’illustre la légère baisse des réserves de change (USD 12 mds en 4 semaines). On peut néanmoins redouter une baisse beaucoup plus forte dans les semaines à venir compte tenu des risques sur la croissance, quand bien même le différentiel entre les taux d’intérêt domestiques et américains reste élevé.
A priori, les risques de refinancement sont contenus. La dette extérieure reste modeste (20,1% du PIB) et, à l’horizon septembre 2020, les remboursements s’élèvent à USD 239,4 mds (dont USD 93 mds de dépôts des non-résidents) alors que les réserves de change atteignaient encore USD 474 mds le 3 avril.
Dégradation attendue des finances publiques
L’exercice budgétaire 2019/20, qui s’est terminé fin mars 2020, fait apparaître un dérapage des finances publiques, pour la deuxième année consécutive. Le ministère des Finances prévoit une augmentation du déficit du gouvernement de 0,4 pp à 3,8% du PIB (7,3% du PIB pour l’ensemble des administrations publiques). La dette publique devrait excéder 70% du PIB à la fin de l’exercice budgétaire 2019/20.
Pour l’exercice 2020/21, avant l’annonce du plan de soutien, le gouvernement avait pour objectif une réduction de son déficit de 0,3 pp à 3,5% du PIB. Or, dans les conditions actuelles, un tel objectif semble irréalisable. Certes, la baisse des prix du pétrole va permettre une réduction des coûts des subventions énergétiques mais elles ont fortement diminué depuis 2014 (elles s’élèvent à seulement 0,2% du PIB). En revanche, le très net ralentissement de la consommation des ménages et celui des revenus des entreprises pourraient générer une baisse des recettes de 2% du PIB au minimum. Par ailleurs, le gouvernement pourrait retarder les privatisations de certaines entreprises publiques compte tenu de l’effondrement des marchés boursiers (les recettes de privatisation attendues pour l’exercice 2020/21 s’élèvent à 0,9% du PIB). Dans le même temps, en supplément du programme de soutien de 0,8% du PIB, les dépenses de santé du gouvernement et des Etats vont augmenter. Le déficit du gouvernement pourrait s’élever à près de 6% du PIB à moins que le gouvernement ne réduise très fortement ses dépenses « non essentielles ». La dette pourrait excéder 75% du PIB dès l’exercice 2021/22. Il n’y a pas de risque de refinancement immédiat car la maturité de la dette est longue (10 ans en moyenne), détenue par les résidents (à plus de 96%) et libellée en roupies (à 97%). Néanmoins, le coût d’emprunt risque d’augmenter si les agences de notation sanctionnent cette dérive.