Mesures de soutien économique
Face à l’épidémie de Covid-19, le gouvernement a pour le moment pris des mesures de restriction des déplacements et d’activité, mais pas de confinement. L’ensemble des vols aériens a été suspendu. Les mesures de soutien à l’économie sont d’abord monétaires avec la réduction de 300 points de base des principaux taux de la Banque centrale d’Égypte (BCE). Ainsi, le taux sur les dépôts auprès de la BCE a baissé de 12,25% à 9,25%. La BCE a, par ailleurs, annoncé un certain nombre de mesures à l’intention du secteur bancaire afin de soutenir l’activité économique, telles que le report de six mois du remboursement des crédits pour les entreprises et les individus, des réaménagements de créance pour les personnes en difficulté, la baisse du taux d’intérêt préférentiel destiné à certains emprunteurs et l’établissement d’un fonds de garantie à destination du secteur touristique. De son côté, le gouvernement a mis en place des mesures de soutien au secteur privé (prêts à taux bonifiés pour l’industrie, soutien au secteur hôtelier, aide directe à certains ménages) pour un montant équivalant à environ 2% du PIB.
Fort ralentissement économique attendu
Le ralentissement économique sera important, mais la structure de l’économie égyptienne devrait permettre de limiter le recul de la croissance. Les secteurs les plus vulnérables aux conséquences de l’épidémie, et dont l’impact sur la croissance sera significatif, sont l’industrie manufacturière (16% du PIB), la construction et l’immobilier (16% du PIB) et le tourisme[1]. Ce dernier ne représente qu’une faible part du PIB (environ 3% du total), mais sa contribution à la croissance du PIB a été forte ces derniers trimestres, environ 1% pour une croissance totale du PIB de 5 à 6%. A contrario, les secteurs extractifs, agricole, des communications et de la santé (environ 25% du PIB pour l’ensemble) devraient être relativement moins affectés.
Au cours de l’année fiscale 2018/19, la croissance du PIB avait atteint 5,6% en termes réels. Ce rythme s’est maintenu au S1 2019/20. Au T3 2019/20, on estime que la croissance est restée positive bien qu’en léger repli (nous prévoyons 5,0% en g.a.). Jusqu’à présent, l’activité a été relativement peu affectée par le ralentissement de l’activité au niveau international étant donné sa faible intégration dans les chaînes de valeur internationales. Les restrictions touchant l’activité économique ont été mises en place à partir du mois de mars 2020 et affecteront donc principalement le dernier trimestre de l’année 2019/20 (-4,1% en g.a.). Au total, la croissance devrait se réduire fortement mais rester positive à 2,6% sur l’ensemble de l’année 2019/20. Les conséquences économiques de la crise sanitaire devraient se prolonger au moins durant les premiers mois de l’année 2020/21, et affecter la saison haute de l’activité touristique. Par ailleurs, les capacités budgétaires de soutien et de relance de l’activité sont contraintes, tandis que la baisse du niveau de vie des ménages pourrait limiter la capacité de rebond de l’économie. Le PIB devrait progresser de 3,4% en 2020/21.
Inflation stable
À court terme, l’évolution des prix à la consommation est soumise à deux influences contraires : d’une part, les effets inflationnistes de ruptures dans la chaîne d’approvisionnement des biens alimentaires (40% de la composition de l’indice des prix) et, d’autre part, les conséquences de la baisse des prix du pétrole. Ceux de l’ensemble des produits pétroliers (hors gaz butane) atteignent à leur coût de revient étant donné la fin des subventions. Ils devraient être revus à la baisse à partir du T4 2019/20. Au total, nous ne modifions pas significativement nos prévisions d’inflation, et prévoyons une moyenne annuelle de 5,9% en 2019/20.
Situation budgétaire soutenable
Pour le moment, les mesures budgétaires de soutien direct annoncées restent assez limitées (environ 2% du PIB) et concerneront, pour une large part, l’exercice budgétaire 2020/21. Par ailleurs, la chute des prix du pétrole réduira les subventions sur le gaz butane (les autres subventions à l’énergie ont été éliminées), mais avec un impact très marginal sur les dépenses totales.
Du côté des recettes, les taxes directes et indirectes seront en réduction ainsi que les revenus liés au Canal de Suez (6% des revenus du gouvernement en 2018/19). Si la baisse des recettes affectera directement le dernier trimestre de l’exercice budgétaire en cours, les dépenses de soutien seront plus étalées dans le temps. Après avoir enregistré un surplus de 1,35% du PIB en 2018/19, le solde budgétaire primaire devrait devenir négatif cette année à 0,3% du PIB. De même, en 2020/21, le solde primaire devrait afficher un déficit de 1,8% du PIB étant donné la nécessité de soutenir budgétairement l’activité et la baisse des recettes.
La difficile maîtrise des intérêts de la dette (47% des recettes totales en 2018/19) est à l’origine de déficits budgétaires importants. La baisse des taux de la BCE devrait permettre une baisse des intérêts de 0,3% du PIB en année pleine (ils étaient équivalents à 9,5% du PIB en 2018/19). En effet, l’économie potentielle liée à la baisse des taux (une baisse de 100 bps équivaut à environ EGP 8 à 10 mds) devrait être amoindrie par la hausse des taux sur le marché des bons du trésor induite par la hausse de l’aversion au risque, et par une moindre liquidité en raison de la sortie d’une partie des investisseurs étrangers. Par conséquent, le déficit budgétaire devrait repartir à la hausse cette année pour atteindre 9,2% du PIB.
Tant que le déficit budgétaire reste contenu, son financement reste assuré malgré la raréfaction des sources extérieures de financement. La liquidité du système bancaire local nous paraît suffisante pour faire face aux besoins de financement. L’ensemble du passif de la BCE lié aux opérations d’open-market était équivalent à 13% du PIB en février 2020. La baisse de rémunération de ces opérations pourrait inciter les banques à se tourner vers les titres émis par le gouvernement.
Résistance de la liquidité en devises
Les conséquences de la baisse des prix du pétrole sur les comptes externes sont ambivalentes. En volume, le pays est importateur net de produits pétroliers (brut et raffiné) et est redevenu exportateur net de GNL (mais pour des volumes limités). En valeur, le solde total des hydrocarbures a été faiblement déficitaire en 2019, signalant un décalage entre volume et prix lié à la nature de l’accord entre la compagnie pétrolière national égyptienne (EGPC) et les compagnies pétrolières internationales. La chute des prix du pétrole attendue en 2020 devrait avoir un effet légèrement positif sur le solde commercial. Par contre, le secteur touristique devrait être fortement affecté et nous estimons que les recettes touristiques pourraient baisser d’au moins 25% en 2019/20, avant de se rétablir en 2020/21, sans toutefois retrouver le niveau de 2018/19 (USD 12 mds). De même, les transferts privés des expatriés devraient être affectés par le fort ralentissement économique dans le Golfe, tandis que les recettes du Canal de Suez souffriront du ralentissement du commerce mondial et de la baisse des prix du pétrole. Le déficit courant devrait se creuser à 4,1% et 4% du PIB en 2019/20 et 2020/21.
A court terme, la situation de la liquidité en devises reste acceptable, même en cas de fuite des capitaux. En effet, la somme du déficit courant (USD 13 mds en année pleine), de l’amortissement de la dette extérieure (USD 7 mds en 2020) et des bons du Trésor détenus par les investisseurs étrangers (environ USD 20 mds en février 2020) sont largement couverts par les actifs en devises de l’ensemble du système bancaire. La position extérieure nette des banques commerciales était positive de USD 7 mds en février 2020, tandis que les avoirs brut en devises de la BCE s’élèvent actuellement (fin mars 2020) à USD 47 mds en ajoutant les réserves tier 2 (destinées à couvrir une partie des flux de portefeuille) aux réserves officielles.
Néanmoins, si la position extérieure nous paraît solide à court terme, la dégradation des comptes courants et la réduction vraisemblable des flux de capitaux pourraient mettre un terme à l’appréciation de la livre sur les marchés des changes. Un certain nombre d’éléments devraient permettre de limiter cette dépréciation : un marché de la dette locale qui reste attractif pour les investisseurs internationaux, des investissements étrangers dans le secteur énergétique, même si ceux-ci pâtiront de la déprime du marché pétrolier, et le soutien renouvelé des monarchies du Golfe en cas de besoin.