Impact de la pandémie sur une croissance déjà ralentie
Le Kenya ressent les effets économiques du virus Covid-19. Selon l'enquête d'un groupe du secteur privé[1], plus de 60% des entreprises sont touchées par les mesures prises pour contenir la pandémie, notamment en raison des liens étroits avec la Chine (plus de 20% des importations du Kenya). En effet, avec la réduction des importations, certains intrants industriels doivent être achetés ailleurs ou remplacés par une production locale. Certaines entreprises ont donc été contraintes de réduire leur production.
Ensuite, les exportations vers d'autres marchés tels que le Moyen-Orient et l'Europe ont été affectées. Les exportations les plus touchées sont celles de produits horticoles, en particulier le thé et le café (respectivement 23% et 4% des exportations totales), dont les prix, qui avaient enregistré une légère hausse en 2019 de l’ordre de 4%, subissent des dynamiques divergentes depuis le début d’année (-3% pour le thé et +5% pour le café).
De plus, depuis décembre 2019, une invasion de criquets en Afrique de l'Est a dévasté environ 13% des cultures kenyanes[2]. Ceci pourrait conduire à la montée de l’insécurité alimentaire, également aggravée par l’escalade des conflits dans la région de la vallée du Rift. Le Kenya devrait aussi faire face à une contraction des réserves de change en 2020 (à USD 8,9 milliards, ou 5,3 mois d'importations).
Les déséquilibres extérieurs du pays sont importants et vont le rester même si la baisse des importations de pétrole compense le déclin des exportations. Le marché du change a aussi connu des épisodes de volatilité accrue, et le shilling a perdu plus de 4% contre le dollar depuis le début de l’année.
Les compagnies aériennes[3] et le tourisme seront pénalisés, sachant que le Kenya est la troisième destination touristique en Afrique Sub-Saharienne et que le tourisme contribue à plus de 8% du PIB, environ 15% des exportations et 8% des emplois du pays. La construction et l'immobilier souffrent également, car les projets de développement subissent des retards.
À cause de cette dynamique, la croissance économique devrait se réduire de moitié en 2020, selon les dernières déclarations de la banque centrale. Ceci fait suite à une période de croissance déjà inférieure au potentiel en 2019.
Bien que toujours dans la fourchette cible de 2,5% à 7,5% de la banque centrale, l'inflation IPC augmente progressivement et a atteint 6,37% en février 2020, en raison des effets de l'épidémie. Cette tendance constitue un risque additionnel qui pourrait réduire la marge de manœuvre de la banque centrale pour assouplir la politique monétaire afin de stimuler le crédit bancaire et la demande intérieure.
Mesures de relance monétaires et fiscales
Malgré la réponse rapide du gouvernement avec des mesures strictes sur les déplacements et les rassemblements pour freiner la diffusion du virus[4], les principales inquiétudes restent le système de santé fragile et les pertes d’emplois. La Banque mondiale donnerait USD 60 millions au secteur sanitaire pour faire face à la pandémie. Le pays cherche aussi une aide d’urgence du FMI jusqu’à USD 350 millions. Entre temps, des mesures monétaires et fiscales ont été prises par les autorités locales.
Faisant écho aux décisions d’assouplissement d’autres banques centrales africaines, le dernier Comité de Politique Monétaire du 23 mars a abaissé le taux directeur de 100 points de base pour la troisième fois consécutive, malgré les pressions inflationnistes. Il a réduit le coefficient de réserves obligatoires pour les banques commerciales (de 5,25% à 4,25%), libérant KSH 32.2 mds pour permettre aux banques d’accorder des prêts aux particuliers ou aux petites entreprises qui rencontrent des problèmes de trésorerie.
En outre, le 18 mars, la banque centrale a publié une série de mesures d'urgence applicables au système bancaire. Il s'agit d’allonger les durées de remboursement des prêts personnels jusqu'à 12 mois ainsi que de restructurer les prêts aux entreprises ; de supprimer les frais sur les transactions via téléphone mobile jusqu'à fin juin ; et de tripler la durée des transactions repo avec les banques (de 28 à 90 jours) pour assurer une liquidité suffisante dans le système bancaire.
Le gouvernement a annoncé des mesures fiscales effectives au 1er avril, comportant des allégements fiscaux pour les faibles revenus, des réductions d’impôts pour les personnes et les entreprises[5] et un abaissement du taux de la TVA. Il a aussi été prévu de libérer KSH 49 mds (USD 460 millions) pour couvrir les factures non payées aux fournisseurs ainsi que KSH 10 mds pour des remboursements de TVA aux entreprises. Une dotation d’environ KSH 10 mds est prévue, sous forme d’allocations mensuelles, pour les personnes les plus vulnérables.
Finances publiques sous pression et reprise du système bancaire retardée
Les finances publiques vont se dégrader en raison du ralentissement économique et des mesures de soutien qui viennent d’être introduites par le gouvernement. Elles restent également menacées par plusieurs autres éléments. D’abord, les rivalités persistent au sein du parti au pouvoir ; elles entravent la bonne conduite de la politique budgétaire, et le rythme de la consolidation budgétaire a ralenti depuis la nomination d'Ukur Kanacho au poste de ministre des Finances, en remplacement d'Henry Rotich[6].
De plus, de nombreux projets d'infrastructure sont au point mort ou génèrent des rendements insuffisants pour rembourser la dette empruntée. Le service de la dette pèse de plus en plus lourd : le ratio des intérêts sur les recettes a doublé sur les trois dernières années (31% en 2019 contre 16% en 2016).
Par rapport aux effets du Covid-19, le gouvernement s’attend, d’ici la fin de l’année budgétaire, à une chute additionnelle des recettes fiscales de KSH 70 millions. Le déficit budgétaire devrait atteindre 7,6% du PIB en 2020. Le gouvernement est contraint d'avoir recours aux marchés internationaux[7] et d’obtenir une facilité de crédit de USD 1,5 md sur trois ans du FMI. La première grosse échéance (USD 2 mds) n’est qu’en 2024.
Les mesures d’urgence introduites par la banque centrale pourraient aussi dégrader les perspectives du secteur bancaire, qui s’étaient améliorées après l’abrogation de la loi controversée Banking Amendment[8] en novembre 2019.