Les Philippines ont bénéficié au cours des dernières années d’une croissance économique solide, tirée par une demande intérieure robuste et l’expansion de la base d’exportations de biens et services. La croissance du PIB réel s’est établie à 6,5% par an en moyenne entre 2012 et 2019. Elle a ralenti à 5,5% en glissement annuel (g.a.) au S1 2019, principalement à cause du recul de l’investissement, mais elle a ré-accéléré dès le S2 2019 pour atteindre 6,2% en g.a. Cette dynamique devait se poursuivre en 2020, avant d’être brutalement interrompue par le choc lié à l’épidémie du coronavirus.
Le gouvernement a imposé des mesures de confinement très strictes depuis la mi-mars. Toute l’île de Luzon et sa capitale Manille ont été placées en quarantaine pour un mois au moins. L’activité est par conséquent à l’arrêt dans cette région qui concentre 56 millions d’habitants (53% de la population du pays) et 73% du PIB (dont Manille : 36% du PIB). La crise sanitaire va également avoir des répercussions sur les secteurs dépendant de la demande internationale, notamment le tourisme, ainsi que sur les transferts des travailleurs à l’étranger qui sont un soutien important à la consommation des ménages. Tous les moteurs privés de la croissance philippine devraient donc être sévèrement affaiblis à partir du mois de mars. L’économie pourrait être en récession au premier semestre de 2020, avant de se redresser progressivement une fois le pic de l’épidémie passé. Les mesures de relance des autorités seront un facteur déterminant de la rapidité de la reprise. Nous tablons sur une croissance annuelle de 2% en 2020, le taux le plus faible depuis la crise de 2009. La croissance devrait ensuite rebondir à 6% en 2021, soit un taux légèrement en-dessous du potentiel des Philippines (tableau 1).
Les principaux moteurs de croissance grippés
La consommation privée compte pour 68% du PIB et a été le principal moteur de la croissance économique ces dernières années.
En 2019, elle a progressé de 5,8%, soutenue par la baisse de l’inflation (passée de 5,9% en g.a. au T4 2018 à 1,5% au T4 2019), la bonne tenue du marché du travail (le taux de chômage a continué de baisser pour atteindre 5,1%) et la solidité des transferts en provenance de l’étranger (qui ont atteint USD 30 mds, soit 8% du PIB).
Le confinement de la population provoque un double choc sur la consommation : d’une part, les ménages limitent leurs achats aux biens de première nécessité et, d’autre part, ils subissent des baisses de revenus liées à l’interruption de l’activité de production. À la dégradation du marché du travail formel vont s’ajouter les pertes dans le secteur informel et la diminution probable des transferts des travailleurs à l’étranger. Le secteur informel philippin s’est réduit au cours des dernières années, mais reste très important : il représenterait encore environ deux-tiers des emplois et 30% du PIB. Les revenus des ménages devraient donc être durablement affaiblis. Par conséquent, après un recul pendant la période de confinement en mars et au début du T2 2020, la consommation privée ne se redressera que très progressivement au cours des trimestres suivants.
L’activité dans le secteur du tourisme devrait rester à l’arrêt pendant plusieurs mois. Or, son poids dans l’économie est important, estimé à 12% du PIB, soit la contribution la plus large au sein des principaux pays asiatiques (graphique 2). Les recettes du tourisme dans la balance courante représentent, quant à elles, 7% du total des rentrées en devises (ou près de 3% du PIB).
La croissance de l’investissement a nettement fléchi en 2019 (+1,5% contre +12,9% en 2018), à cause de délais dans l’exécution du budget et d’interruptions dans plusieurs projets d’infrastructure publics, du resserrement des conditions de crédit du début d’année et de la détérioration des perspectives de demande mondiale. L’investissement commençait à se redresser au S2 2019, notamment grâce à la reprise de projets de construction, mais cette amélioration s’est interrompue avec l’arrivée de l’épidémie. Malgré les mesures d’assouplissement monétaire, l’investissement privé devrait rester déprimé à court terme en raison des pertes supportées par les entreprises pendant la crise sanitaire et de la dégradation de la confiance. En revanche, l’investissement dans les projets d’infrastructure publics devrait rebondir plus rapidement après la période de confinement, soutenu par le programme « Build build build » du gouvernement (qui prévoit que les dépenses dans le développement d’infrastructures atteignent 7% du PIB en 2022, contre 3% en 2015).
Les exportations de biens et services ont commencé à ralentir en 2019 (+3,2% en termes réels contre +13,4% en 2018). La croissance des importations a fléchi davantage, et la contribution nette du commerce extérieur à la croissance du PIB est devenue légèrement positive après quatre années en territoire négatif. En 2020, les exportations et les importations de biens et services devraient se contracter, étant donné le ralentissement de la demande intérieure, le recul de la production industrielle mondiale (dont dépendent les ventes de biens électroniques et de services IT des Philippines), des échanges internationaux et du tourisme.
La banque centrale peut agir
La réduction des tensions inflationnistes donne à la banque centrale (Bangko Sentral ng Pilipinas, ou BSP) une marge de manœuvre pour mener une politique de soutien. La politique monétaire repose sur le ciblage de l’inflation, avec un intervalle cible de 2%-4%. Or, l’inflation est restée sous la barre des 3% depuis juin 2019. Après un rebond temporaire en décembre-janvier, elle devrait continuer de fléchir à court terme en raison de la faiblesse des prix du pétrole et du recul de la consommation. La BSP, qui a commencé à assouplir sa politique monétaire au T2 2019 et réduit son taux directeur de 50 points de base (pb) entre mai 2019 et janvier 2020, a accéléré le mouvement de baisse depuis le début de l’épidémie. Le taux directeur a été abaissé de 25 pb le 6 février puis de 50 pb le 19 mars, pour s’établir à 3,25% (graphique 3). Il devrait être encore réduit au T2 2020.
La banque centrale a également introduit des mesures pour soutenir la liquidité du secteur bancaire et encourager le crédit. Les ratios de réserves obligatoires ont été abaissés de 200 pb (à 12% pour les grandes banques) et les règles prudentielles (de reporting et de provisionnement, par exemple) ont été assouplies. Les banques sont incitées à soutenir leurs clients (en réduisant les frais, en allongeant les délais de remboursements, etc.). Sur le front du crédit, les autorités bénéficient aussi d’une certaine marge de manœuvre car les entreprises sont modérément endettées (le crédit au secteur privé représente moins de 50% du PIB) et le secteur bancaire est solide. Les banques affichent en effet des niveaux de liquidité et de fonds propres suffisamment confortables pour absorber une hausse des créances douteuses (estimées à 2% des prêts en 2019). Ceci étant dit, les banques vont faire face à des épisodes de stress et à une détérioration de leurs revenus à court terme. Leurs principales sources de vulnérabilité viennent de la concentration de leur portefeuille sur quelques grands conglomérats locaux et de leur exposition au marché immobilier (qui représente environ 20% des prêts). Leur exposition au risque de change est modérée, puisque les banques dans leur ensemble ne présentent pas de déséquilibre dans leurs bilans et que les prêts en devises ne constituent que 10% environ du total des prêts.
Le risque de change est lui-même modéré, le peso (PHP) restant soutenu par le différentiel entre les taux d’intérêt domestiques et les taux extérieurs, les bons fondamentaux macroéconomiques et la récente amélioration du déficit courant (seulement 0,1% du PIB en 2019). Le peso s’est légèrement apprécié en 2019, puis ne s’est que très légèrement déprécié contre le dollar depuis le début de la crise sanitaire malgré les sorties de capitaux. Au contraire, en ligne avec l’évolution des cours mondiaux, la bourse a subi une très forte correction au mois de mars (-22%).
Dérapage budgétaire sous contrôle
Le gouvernement a d’abord lancé un plan de soutien d’ampleur très modeste (PHP 27 mds, soit 0,15% du PIB), qui s’ajoutait au programme d’expansion de l’investissement public en place depuis 2016. Mais face à l’aggravation de la crise sanitaire et du choc sur l’activité et sur les revenus de la population, le gouvernement a déclaré l’état d’urgence fin mars et multiplié les mesures d’aide au secteur de la santé, aux travailleurs et aux ménages les plus vulnérables, au secteur du tourisme, à l’agriculture et aux petites entreprises. En 2020, le déficit budgétaire devrait dépasser 4% du PIB (contre une cible initiale de 3,2%). Les finances publiques sont assez solides pour absorber le choc : la dette du gouvernement est modérée, s’est réduite de 45% du PIB en 2015 à 42% en 2019, et est constituée aux 2/3 de titres émis sur les marchés locaux. La BSP a déjà annoncé le rachat de bons du Trésor pour PHP 300 mds (1,6% du PIB). Le gouvernement devrait donc être en mesure de financer ses besoins à court terme en dépit de la correction des marchés obligataires internationaux (le spread EMBI sur les titres souverains philippins est passé de 67 à 280 bp au T1 2020).