La Roumanie n’échappera pas à la récession
En 2019, l’économie roumaine présentait quelques signes d’une surchauffe conjoncturelle, notamment de fortes tensions salariales (+11,6% en g.a. en novembre 2019), une politique budgétaire résolument expansionniste et le creusement d’un déficit courant (de 4,7% du PIB en 2019).
Toutefois, avant le choc lié au Covid-19, la croissance avait commencé à s’essouffler, notamment en raison de l’apathie du secteur automobile européen (23% des exportations de marchandises de la Roumanie), qui a rejailli sur la production industrielle roumaine, avec notamment une baisse de la production automobile (-4,3% en g.a. en moyenne mobile sur les 3 derniers mois à fin janvier).
D’après les enquêtes de conjoncture disponibles jusqu’en mars, la consommation des ménages devait s’affaiblir avec la perception par les ménages de pertes de pouvoir d’achat passées et à venir, les conduisant à revoir à la baisse leurs intentions d’achats de biens durables. En 2019, la consommation des ménages avait contribué à hauteur de 4 points de pourcentage à la croissance de 4,2%.
Le choc lié au Covid-19 devrait d’abord peser sur les exportations, déjà en ralentissement (+1,9% en 2019, après +8,1% en 2018). La moindre demande européenne (77% des exportations de marchandises roumaines) s’accompagne déjà de la fermeture d’usines, en particulier dans le secteur automobile. La baisse attendue des exportations devrait ôter -4 points de pourcentage (pp) à la croissance. Dans ce contexte, l’investissement (qui avait augmenté de 5,6% par an ces deux dernières années) devrait se contracter de près de 10% en 2020 et la progression des salaires devrait s’interrompre brutalement, ce qui pèsera sur la consommation des ménages. Le tourisme devrait être affecté également, mais son poids (3% du PIB) reste limité, malgré une forte croissance ces dernières années.
Au total, la Roumanie devrait enregistrer une croissance négative en 2020 (-4,8%), dans un contexte où le déficit courant a rendu la croissance roumaine dépendante du contexte international, notamment en termes de financement.
La baisse du prix du pétrole sera le principal soutien à la conjoncture, avec un prix attendu à 38 dollars en moyenne (contre 65 dollars en 2019) et qui devrait permettre de contenir l’inflation à 2,8%, libérant ainsi des marges de manœuvre pour la politique monétaire.
Toutefois, l’existence de déficits jumeaux significatifs dans une période où les financements seront plus difficiles à trouver, implique un risque baissier en termes de croissance économique.
Une dérive budgétaire qui se renforcera
Les finances publiques roumaines ont connu en 2019 un déficit budgétaire de 4,2% du PIB, au-delà de la limite des 3% définie par les traités européens. La perspective d’un nouveau dépassement aurait dû déclencher une procédure de déficit excessif. Le contexte du Covid-19 et la réponse de politique budgétaire que les Etats membres de l’Union européenne devront apporter ont conduit cette dernière à relâcher la contrainte des 3%. Il en ressort que le creusement du déficit budgétaire roumain devrait se poursuivre.
La première raison en est le maintien au pouvoir de la coalition menée par le PNL du premier ministre Ludovic Orban, qui a formé un nouveau gouvernement en mars 2020 (élections législatives prévues en décembre 2020). Une hausse des pensions de 40% décidée en 2019 devrait prendre effet à partir de septembre 2020. La deuxième raison tient dans un programme de soutien à l’économie pour faire face aux conséquences du Covid-19, à hauteur de 2% du PIB. Celui-ci prévoit des mesures de chômage partiel (75% du salaire), des crédits garantis aux PME (RON 10 mds initialement, 1% du PIB), et le report des échéances fiscales dues par les entreprises au 2e trimestre.
En parallèle, le gouvernement a repoussé les échéances de remboursement des prêts aux entreprises et aux ménages des 9 prochains mois, tout en indiquant que le coût de la mesure serait supporté par les finances publiques et que les banques n’auraient pas à provisionner. Cette mesure est importante afin de rassurer sur la capacité du secteur bancaire roumain à absorber une montée des créances douteuses. Ces dernières ne sont en effet pas résiduelles (4,6% des prêts au 3e trimestre 2019) même si elles ont nettement diminué depuis le pic de 2013 (22% des prêts). La diminution du poids du crédit dans le PIB est un facteur d’atténuation des risques (40% en 2008, 26% fin 2019), mais la nette hausse du crédit aux ménages (+27% sur les 3 dernières années) est un facteur de risques.
La banque centrale a, en parallèle, réduit son taux directeur de 50 points de base (pb) à 2%. Elle a également restreint le corridor autour de ce taux directeur. Cela signifie une baisse de 100 pb du taux prêteur (Lombard rate) à 2,5%, destinée à jouer à la baisse sur les taux interbancaires. Elle implique également une stabilité du taux sur la facilité de dépôt (à 1,5%), afin de ne pas pénaliser le leu roumain, qui a enregistré quelques soubresauts mais dont la parité face à l’euro a perdu seulement 1% à fin mars 2020 par rapport à la fin 2019. En parallèle, la banque centrale a déclaré fournir autant de liquidités que nécessaire au système bancaire par l’intermédiaire de ses opérations repo, ainsi qu’en se portant acquéreuse de dettes publiques en leu, là encore afin de maintenir une liquidité satisfaisante. En parallèle, la banque centrale indique un biais vers davantage d’assouplissement monétaire, soit par ses taux directeurs, soit par les taux de réserves obligatoires.
Des déficits jumeaux qui contraignent le policy-mix
Le déficit public devrait se creuser nettement en 2020, à -7,5% du PIB avec, en sus des mesures de politique budgétaire, l’impact du creusement probable du chômage (4% de la population active fin 2019). L’existence de déficits jumeaux a accru la vulnérabilité de la Roumanie à un retournement des conditions financières : les taux à 10 ans ont atteint 5,8% le 16 mars ; l’achat de dette publique par la banque centrale a permis de les stabiliser à 4,8% à fin mars, un niveau qui reste toutefois élevé (voisin de celui de mars 2019, alors que l’inflation est désormais plus faible).
Le creusement du déficit budgétaire n’a toutefois pas eu un impact trop conséquent sur le niveau de la dette publique pour le moment (36% du PIB en 2019), principalement en raison d’une croissance nominale suffisante pour stabiliser le ratio. Il en ira différemment en 2020, avec à la fois un creusement du déficit et une baisse de la croissance nominale. La dette publique devrait atteindre 40% du PIB, un niveau qui reste raisonnable.
Toutefois, la forte baisse du prix du pétrole permettra de réduire le déficit courant de façon significative, ajoutant à un effet volume (moins d’importations en raison d’une contraction de la demande domestique plus basse, notamment l’investissement), d’où un déficit courant de 1,9% du PIB en 2020, contre 4,7% en 2019. Ceci limitera le risque de baisse des réserves de change, contrebalançant la contraction possible des flux de capitaux. L’incorporation de la dette souveraine à l’indice Barclays Global Aggregate en septembre 2020 devrait être un facteur de soutien, mais le creusement du déficit budgétaire risque d’entraîner une dégradation du rating souverain par les agences de notation.
Une dépréciation limitée du taux de change vers 5 RON par euro d’ici à la fin 2020 reste le scénario central (4,83 RON par euro à fin mars), même en cas d’assouplissements monétaires supplémentaires. Dans l’hypothèse où le leu devait se déprécier significativement, le risque serait plus modéré pour les ménages dont l’endettement en devises est passé de 60% de leur endettement total fin 2014 à 24% fin 2019. Le crédit domestique aux entreprises non financières reste encore à 42% en devises (essentiellement en euros).
La dette extérieure a nettement diminué suite au désendettement qui a suivi la crise de 2013, pour terminer l’année 2019 à 50% du PIB. Elle a toutefois quelque peu ré-augmenté ces dernières années, pour deux raisons : le gouvernement (EUR 40 mds de dette externe) et les crédits interentreprises (EUR 32,7 mds). En ajoutant la dette à court terme à la dette à long terme arrivant à échéance en 2020, le montant total amortissable est de USD 56 mds, pour majorité constitué de crédits intragroupes. Le rollover de cette dette devrait intervenir dans un scenario central où les conséquences financières du Covid-19 resteraient contenues (dans la mesure où ces prêts accompagnent des relations capitalistiques).