L’économie marocaine devait retrouver du dynamisme après une année 2019 en demi-teinte. Attendue initialement à 3,5%, la croissance vient d’être ramenée à 2,3% par la banque centrale. Face à l’ampleur du choc qui s’annonce, cette prévision risque de s’avérer optimiste même si l’on pense que l’économie devrait pouvoir échapper de peu à la récession cette année. Les autorités ont réagi rapidement et le pays n’est que faiblement exposé à la volatilité des marchés financiers et des matières premières. Sous réserve d’une reprise dès le second semestre, la croissance pourrait ainsi s’établir à 0,5%, soit son plus bas niveau depuis 20 ans. Les incertitudes qui entourent cette projection sont très élevées.
Économie sous pression : les autorités réagissent
En plus d’une nouvelle chute d’environ 3% de la valeur ajoutée agricole (12-13% du PIB, un tiers des emplois) en raison de conditions climatiques défavorables, l’économie va aussi subir les effets de la pandémie. L’activité touristique est à l’arrêt depuis le début du mois de mars. Point positif, les deux tiers de la saison touristique s’effectuent à partir de juin. Mais avec 80% des touristes hors diaspora marocaine provenant d’Europe, les pertes s’annoncent significatives pour un secteur dont la contribution au PIB est supérieure à 8%, soit le niveau le plus élevé dans la région (voir graphique 2). Les canaux de transmission ne s’arrêteront d’ailleurs pas au seul secteur du tourisme. L’Europe représente 60% des exportations du royaume, 68% des transferts financiers de la diaspora et plus de 70% des investissements étrangers. La filière automobile, désormais principale source d’exportation du Maroc, est particulièrement vulnérable même si son développement n’est pas compromis.
Un net fléchissement de la croissance hors agriculture est donc attendu cette année. Pour autant, elle ne devrait pas s’écrouler. Un comité de veille a été mis en place pour réagir aux effets de la pandémie. Des reports de charges jusqu’à fin juin ont déjà été annoncés ainsi que des indemnités forfaitaires mensuelles pour les salariés des entreprises en difficulté. Des réflexions sont également en cours pour venir en aide aux travailleurs du secteur informel. Le financement sera assuré par un fonds de soutien qui a déjà atteint près de 30 milliards de dirhams (MAD), soit 2,5% du PIB, y compris la dotation de l’Etat de MAD 10 mds, le reste provenant de contributions volontaires.
La banque centrale a également procédé à une baisse de son taux directeur de 25 points de base pour le porter à 2%, et a mis en place une série de mesures qui permettront de tripler la capacité de refinancement des banques. Avec une inflation qui oscille autour de 1%, la marge de manœuvre des autorités monétaires pour de nouveaux assouplissements reste confortable.
D’autres facteurs de support sont à prendre en considération, en particulier la solidité d’un système financier dont l’activité s’appuie sur une large base de dépôts domestiques, et qui de surcroît n’est que faiblement exposé au secteur du tourisme (moins de 2% des encours). Les banques apparaissent aussi bien capitalisées pour faire face à une montée du risque de crédit malgré une qualité de portefeuille assez dégradée (le taux de créances non performantes est de 8%). Surtout, les fondamentaux macroéconomiques sont suffisamment robustes pour absorber un choc temporaire.
Comptes extérieurs : un choc gérable
Avec 15% des recettes en devises générées par le secteur du tourisme, des exportations d’automobiles (27% du total des exportations) et les transferts financiers de la diaspora (13% des recettes courantes) menacés, la pression sur les comptes extérieurs sera également forte. Mais en tant qu’importateur de pétrole, le Maroc va aussi bénéficier de la chute des cours du Brent. Même en supposant un baril à près de USD 40 en moyenne sur l’année, et donc une reprise au second semestre, les importations de produits pétroliers chuteraient de plus de 2 points de PIB, ce qui permettrait de limiter la dégradation du déficit courant (5,9% du PIB en 2020 contre 4,6% en 2019). La couverture des besoins de financement pourrait s’avérer difficile compte tenu des pressions baissières sur les investissements directs étrangers, dont les flux nets oscillent autour de 2% du PIB. Une aggravation plus sévère des comptes externes n’est également pas à exclure. Néanmoins, la stabilité extérieure ne nous apparaît pas menacée.
L’endettement en devise est modéré à 45% du PIB dont les deux tiers contractés par le gouvernement ou des entreprises publiques (avec la garantie de l’Etat) sur des maturités longues. En ce qui concerne la dette extérieure du secteur privé, elle n’est que de 7,5% du PIB, et constituée à 70% par des crédits commerciaux. Contrairement à de nombreux pays émergents, le Maroc devrait être épargné par les fortes turbulences qui agitent les marchés financiers internationaux comme l’atteste le niveau toujours relativement bas de la prime de risque exigée par les investisseurs sur les obligations d’Etat du royaume (voir graphique 3) malgré son envolée depuis fin février. Cependant, une nouvelle émission de dette souveraine, après celle de novembre 2019, reste hypothétique tant l’aversion au risque émergent est forte en ce moment.
Les réserves de change sont confortables. Fin 2019, elles atteignaient USD 25,3 mds, soit l’équivalent de 5,4 mois d’importations de biens et services. C’est aussi trois fois supérieur au stock de dette de court terme. De plus, les autorités viennent d’annoncer qu’elles vont tirer sur la ligne de précaution et de liquidité (LPL) du FMI. Renouvelée en décembre 2018 pour deux ans, la LPL est dotée d’un montant de USD 3 mds. Il ne s’agit pas d’un prêt mais d’une assurance pour protéger la position extérieure du Maroc face à un choc, ce qui veut dire la dette publique extérieure ne sera pas impacté.
La flexibilisation en cours du régime de change permettra également d’amortir une partie du choc. La bande de fluctuation du dirham a été élargie début mars de +/- 2,5% à +/-5%. Depuis le lancement de la réforme en janvier 2018, le dirham est resté remarquablement stable et la banque centrale n’intervient quasiment plus sur le marché interbancaire. Les premières informations semblent indiquer que c’est toujours le cas actuellement même si l’émergence de pressions fortes sur le MAD marocain laisse penser que les autorités monétaires pourraient reprendre leur opérations de soutien à la devise. Cependant, la dépréciation du dirham sera contenue. De plus, l’économie marocaine est peu sensible aux variations du taux de change compte tenu du faible niveau de l’inflation et de l’endettement extérieur modéré du gouvernement et des entreprises.
Des coupes probables pour soulager le budget
La situation des finances publiques ne soulève pas d’inquiétudes majeures même si des réallocations de dépenses, voire des coupes, semblent inévitables. Les dernières estimations de la banque centrale tablent sur un déficit budgétaire de 4% du PIB en 2020 contre 3,8% attendu initialement. Cette légère hausse de 0,2 point de PIB ne tient cependant pas compte des mesures que le gouvernement sera amené à prendre pour soutenir l’économie, à commencer par la dotation de MAD 10 mds (0,8% du PIB).
D’ores et déjà, le recrutement des fonctionnaires a été gelé, à l’exclusion des ministères de l’Intérieur et de la Santé. Les subventions énergétiques vont également baisser en raison de la baisse des cours du gaz. Néanmoins, la caisse de compensation représentant à peine 5% des dépenses globales, les gains potentiels resteront limités. C’est donc le poste des investissements publics qui offre le plus de flexibilité. Doté d’une enveloppe de MAD 70 mds (21% des dépenses totales), une baisse de 10% de cette dernière permettrait par exemple de réduire les dépenses budgétaires de 0,6 point de PIB. Nous n’anticipons donc pas, à ce stade, de forte dégradation du déficit budgétaire (5% du PIB).
Le gouvernement va, de plus, continuer de bénéficier de conditions favorables pour couvrir ses besoins de financement en s’appuyant sur un marché local de la dette, captif et liquide. Malgré une dette de 65% du PIB, les charges d’intérêts restent contenues à 2,4% du PIB et 11% des recettes fiscales. Environ 80% de la dette du gouvernement est libellée en MAD.