Eco Emerging

Un choc violent mais une économie solide

13/04/2020
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Croissance

La croissance économique a ralenti à 5% en 2019 alors qu’elle s’établissait à 5,2% en 2018. Ce ralentissement a pour origine une nette décélération des investissements productifs des entreprises dans un contexte de freinage du commerce mondial et de baisse des prix des matières premières (induit par les tensions commerciales entre la Chine et les Etats-Unis). Au T1 2020, les indicateurs d’activité laissent entrevoir une nouvelle décélération de la croissance. En janvier, la production industrielle s’est contractée et la baisse continue des importations de biens en capital (pour le quatorzième mois consécutif) ne laisse pas envisager de reprise des investissements. Par ailleurs, les ventes au détail se sont contractées en février, pour le troisième mois consécutif, conjointement à l’effondrement des ventes d’automobiles et de motocyclettes. Enfin, les commandes dans le secteur manufacturier se sont fortement contractées, d’après les derniers résultats d’enquêtes auprès des directeurs d’achat.

Prévisions

L’Indonésie ne sera pas épargnée par la crise provoquée par le coronavirus. Elle est néanmoins moins exposée au ralentissement du commerce mondial que d’autres pays de l’ASEAN (comme la Malaisie) car elle est peu intégrée dans les chaînes de valeurs mondiales. Néanmoins, la crise va affecter l’économie via plusieurs canaux : i) la contraction du tourisme, ii) l’effondrement du prix des matières premières et iii) la baisse de la demande intérieure (d’autant plus forte que des mesures de confinement seront imposées).

Chute de la confiance des entrepreneurs en mars (PMI)

L’impact de l’épidémie de coronavirus sur les recettes du tourisme sera moins élevé que dans d’autres pays de l’ASEAN, comme la Thaïlande, car elles s’élèvent à seulement 1,4% du PIB. Néanmoins, une baisse de 50% des recettes du tourisme génèrerait une baisse de 0,7 pp de la croissance.

Une baisse des exportations de 11% dans le cas d’un ralentissement mondial de 2 pp grèverait la croissance du pays de 2,3 pp (les exportations s’élèvent à 20,7% du PIB). De plus, la très forte baisse du prix des matières premières enregistrée au T1 (-60% pétrole, -22% huile de palme, -6% caoutchouc, -21% charbon, -22% cuivre), qui devrait se poursuivre au T2, va fortement peser sur les résultats et donc sur les investissements des entreprises.

En cas de propagation du virus, le confinement de la population, non imposé à ce jour, pourrait être indispensable. Les conséquences économiques et sociales seraient fortes et difficiles à pallier compte tenu de l’importance du travail informel dans le pays (55%). En 2019, la consommation des ménages a contribué à plus de 54% à la croissance du PIB. En supposant qu’elle se contracte au T2 pour rebondir ensuite au T3, et que les projets d’investissement (29% du PIB) soient reportés au T4 pour les entreprises et à 2021 pour le gouvernement, alors la croissance pourrait ralentir de 4 pp à 1% avant de rebondir en 2021. Néanmoins, en cas de très forte propagation du virus, la croissance pourrait être bien inférieure (-0,4% selon le ministère des finances).

Mesures de soutien

Depuis le début de la crise, les autorités monétaires ont abaissé leurs taux directeurs de 50 pb à 4,5%. Lors du dernier comité de politique monétaire d’avril, elles ont maintenu leurs taux directeurs inchangés, en soutien à la roupie. Elles ont aussi réduit à plusieurs reprises les ratios de réserves obligatoires des banques commerciales de 8% à 2%. Par ailleurs, des opérations de swaps de change se tiennent tous les jours pour pallier les besoins de liquidités en dollars. D’un point de vue budgétaire, le gouvernement a annoncé trois programmes de soutien à l’économie pour une valeur totale de près de IDR 436 trn (2,7% du PIB). Le plafond du déficit budgétaire fixé légalement à 3% du PIB a été suspendu temporairement. Parmi les mesures phares figurent la suspension des impôts sur les revenus des ménages dans l’industrie manufacturière et un abattement sur les impôts des entreprises de 30%, pour six mois à compter du mois d’avril. Par ailleurs, l’assistance alimentaire aux ménages les plus pauvres a été étendue à 15,2 millions de personnes au 1er avril.

Les finances publiques restent solides

Les finances publiques sont solides. En 2019, le déficit budgétaire et la dette du gouvernement étaient contenus à respectivement 2,2% et 30,1% du PIB. Néanmoins, le ralentissement de l’activité domestique et la contraction des échanges extérieurs vont peser sur les revenus du gouvernement. Sur les deux premiers mois de 2020, le déficit budgétaire s’est déjà creusé de 15% par rapport à l’année dernière. Le gouvernement prévoit aujourd’hui que le déficit budgétaire pourrait atteindre 5,1% du PIB mais il a d’ores et déjà annoncé que ce niveau pourrait être supérieur si la crise excédait 6 mois. Par ailleurs, bien que modérée (30,1% du PIB), la dette publique est détenue à plus de 60% par les investisseurs étrangers et libellée à près de 38% en devises étrangères, très majoritairement en dollars. Néanmoins, le risque de refinancement à horizon 2020 est limité car le remboursement de la dette est de seulement USD 10,2 mds, soit 8,1% des réserves de change.

Des risques de refinancement limités

Importantes sorties de capitaux depuis le 31 janvier

La dette des ménages et celle des entreprises non financières étaient contenues à respectivement 17,8% du PIB et 22,7% du PIB au T3 2019 selon les données de la Banques des règlements internationaux. Par ailleurs, selon la banque centrale, en 2019, la situation des entreprises non financières était satisfaisante, même si elles ont été affaiblies par le ralentissement du commerce mondial et la baisse des prix des matières premières. En juin 2019, le ratio de dette rapportée aux fonds propres restait modéré à 0,58. Les actifs couvraient 1,86 fois les engagements des entreprises et le coefficient de liquidité s’établissait à 1,21. La capacité des entreprises à faire face au service de leur dette était satisfaisante : le taux de couverture de la dette était de 70,5% et les profits couvraient 2,9 fois le seul paiement des intérêts. La situation est néanmoins hétérogène selon les secteurs d’activité. Les entreprises du secteur de l’agriculture, et dans une moindre mesure de l’eau, du gaz et de l’électricité étaient considérées comme les plus fragiles, fin 2019.

La dépréciation de la roupie va entraîner une revalorisation de la dette en devises. Depuis le début de la crise du coronavirus, celle-ci s’est dépréciée de plus de 18% face au dollar. Cependant, seulement 51% de la dette des entreprises est libellée en devises. Selon l’IIF, les tombées de dette obligataires des grandes entreprises internationales ne s’élèvent qu’à USD 5,3 mds et USD 6,4 mds en 2020 et 2021 respectivement. Les remboursements de prêts internationaux sont plus importants (estimés à USD 17 mds en moyenne en 2020 et 2021). Mais globalement, les entreprises indonésiennes peuvent faire face aux tombées de dette internationale libellée en devises.

Par ailleurs, les autorités monétaires ont adopté d’importantes réglementations pour contraindre les entreprises à se couvrir contre le risque de change à partir de 2015 (renforcées en 2016). Au T3 2019, la banque centrale estimait que 88% des entreprises avaient couvert leurs positions à hauteur de 90% ; les entreprises les plus fragiles étant celles du secteur de la construction, de l’immobilier, des médias et du commerce, ne disposant pas de recettes en devises.

Enfin, le secteur bancaire est solide. Il a les capacités de faire face à une hausse du risque de crédit. Les créances douteuses étaient contenues à 2,5% du total des crédits fin 2019 et les ratios de solvabilité étaient très satisfaisants (le CAR était de 23,3%).

Forte pression sur la roupie

L’Indonésie est vulnérable à un choc extérieur car les matières premières (hors produits alimentaires) constituent 51% de ses exportations. Elle dépend, par ailleurs, des investissements de portefeuille des non-résidents pour financer le déficit de son compte courant (2,7% du PIB en 2019) car les IDE sont insuffisants (1,8% du PIB en 2019). Or, depuis le 31 janvier (11 semaines) les sorties d’investissement de portefeuille ont atteint plus de USD 11 mds selon l’IIF contre des entrées nettes de USD 12 mds en 2019. À court terme, les pressions à la baisse sur la roupie devraient rester fortes, en dépit d’une contraction du déficit courant grâce à la baisse des importations de pétrole et au ralentissement de la demande intérieure. Les réserves de change (USD 113 mds fin mars) resteront largement suffisantes pour financer les besoins de financement à court terme du pays.

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