Perspectives de croissance : les espoirs déchus
La pandémie du coronavirus va porter un coup d’arrêt à la reprise économique brésilienne. En 2020, le pays va retomber en récession alors que l’économie montrait des signes encourageants depuis quelques trimestres malgré un ralentissement en fin d’année 2019.
Depuis mars, la propagation du virus à l’intérieur des frontières et la mise en place de mesures de confinement[1] devraient conduire à une forte contraction de l’activité au T2 (choc simultané de l’offre et de la demande interne). Déjà, les effets s’en sont fait ressentir à la fin du T1 au vu du PMI manufacturier qui, en mars, a chuté en deçà de 50 pour la première fois en huit mois (48,4 contre 52,3 en février). Les enquêtes indiquent des niveaux plus faibles de production, d’emploi et de nouvelles commandes ainsi qu’une accélération de la chute des ventes à l’étranger. Les perturbations dans les chaînes d’approvisionnement mondiales ont aussi provoqué des allongements dans les délais de livraison parfois comparables à l’épisode de grève des routiers (mai 2018). Les licenciements dans le secteur ont aussi atteint un pic depuis plus de 3 ans. De même, l’activité dans le secteur des services a connu un ralentissement brutal. Le PMI services a chuté de 16 points (34,5 contre 50,4 en février), sa plus forte baisse depuis le début de la série. Dans le même temps, les immatriculations de véhicules ont aussi fortement chuté (-20,5% m/m). La fermeture des frontières et l’effondrement du transport aérien a sans doute également pesé sur les voyages et le tourisme (8,1% de contribution au PIB et 7,5% de l’emploi en 2018 selon WTCC).
Les données d’enquête traduisent aussi un fort pessimisme de la part des agents économiques. Après quatre mois de hausse, l’indice de confiance dans l’industrie (FGV) a chuté de près de 4 points en mars (97,5), tandis que l’indice de confiance dans les services (FGV) s’est effondré d’environ 12 points (82,8). Aussi, selon une enquête de Datafolha publiée le 24 mars, 79% des répondants estime que l’économie brésilienne sera « fortement affectée par la crise », 57% que leur revenu diminuera dans les prochains mois. La moitié estime que la pandémie nuira à l’économie « pendant longtemps ».
Au total, la récession atteindrait -4% en moyenne annuelle. Cette prévision suppose un redémarrage progressif de l’activité au T3 et une forte progression au T4 sans toutefois retrouver le niveau d’avant-crise (scénario en U asymétrique). Ce scénario permettrait à l’économie de bénéficier d’un fort acquis de croissance en 2021. Cette prévision internalise de potentielles difficultés des infrastructures de santé à faire face à l’épidémie, un degré d’efficacité variable des mesures de confinement – encore trop hétérogènes à travers le pays – et les effets délétères de la crise sur l’économie informelle (54 millions de travailleurs, 41% de l’emploi). Une fois la crise écartée, les entreprises fragilisées pourraient fortement revoir à la baisse leurs dépenses d’investissements, ce qui pourrait peser sur la reprise.
Comptes externes : une cascade de chocs
Le choc de demande externe et les excédents d’offre sans précédent sur le marché du pétrole devraient maintenir les indices de matières premières à des niveaux déprimés et ralentir les exportations. Le Brésil – exportateur net de pétrole et dont le commerce de matières premières représentent environ 50% des ventes à l’étranger – devrait subir une dégradation de ses termes de l’échange avec la chute des cours du pétrole (-61%), du prix du sucre (-21%), du maïs (-14%) et du coton (-27%). Par ailleurs, la dépréciation du real – dont le cours est étroitement lié au cycle des matières premières et souffre de l’appréciation du dollar – surenchérit mécaniquement le coût des importations. Toutefois, la baisse de l’excédent commercial sera limitée par la baisse des importations en volume, du fait de la récession et de la dépréciation du change. De plus, les cours de certaines matières premières exportées par le pays (soja, café, viande de bœuf, blé, minerai de fer) résistent. En 2020, le déficit du compte courant devrait se résorber (-2,5% du PIB) avec la baisse du déficit de la balance des services (-1,9% du PIB en 2019) et celui des revenus primaires
(-3,1% du PIB en 2019) qui devrait profiter de la baisse des profits et dividendes transférés.
La pandémie a conduit à une forte poussée de l’aversion au risque générant i/des fuites importantes de capitaux (retrait de la bourse d’environ USD 14 mds de la part des non-résidents depuis janvier d’après l’IIF) et ii/des chocs importants sur le prix des actifs. De janvier à fin mars, la dépréciation du real a atteint -23% atteignant un plus bas historique à USDBRL 5,25, la bourse a accusé de lourdes pertes (-45% au plus bas) et les conditions financières se sont fortement tendues sur les marchés secondaires de la dette corporate et souveraine (la vente de titres d’État pour générer de la liquidité a poussé les rendements à 10 ans à se tendre, au plus haut, de +310 bps). Malgré le resserrement des conditions financières les risques de refinancement sur les engagements en devises demeurent faibles : i/les tombées de dette libellées en USD à risque (dette obligataire + crédits bancaires syndiqués) en 2020 sont modérées (env. USD 40 mds), ii/ les positions ouvertes en change des entreprises sont faibles, iii/les entreprises endettées en devises sont pour la plupart exportatrices et détiennent des avoirs liquides off-shore, iv/ les réserves de change sont abondantes (env. USD 345 mds fin mars), v/ la BCB a rétabli en mars une ligne de swap de devises de USD 60 mds avec la Fed.
La réponse des autorités
Des dispositions ont été prises pour freiner la progression du virus. Les frontières ont été fermées et plusieurs États ont décrété l’état d’urgence et mis en place des mesures pour réduire la mobilité des personnes. Toutefois les mesures de confinement ne sont que partielles et sont sources de tensions politiques entre les différents échelons du gouvernement. La plupart des gouverneurs des États militent pour des mesures plus strictes. Ils demandent aussi au Congrès de prendre les devants dans la lutte contre la pandémie compte tenu du refus de la part du Président Bolsonaro de reconnaitre la gravité de la situation sanitaire.
Les autorités monétaires ont pris des dispositions importantes pour endiguer les risques systémiques de crédit lié au choc macroéconomique. Des mesures d’assouplissement monétaire et prudentielles ont été déployées pour faire face aux fortes tensions sur la liquidité en BRL, faciliter le refinancement des banques et les inciter à alléger les termes de paiement des ménages et entreprises sur BRL 3 200 mds d’encours : i/ baisse du taux directeur (la 7e consécutif) de 50 pb, à 3,75% ; ii/ assouplissement du ratio de réserves obligatoires sur les dépôts à terme de 30% à 17% ; iii/ relâchement des exigences de fonds propres et de provisionnement ; iv/ rachat en partenariat avec le Trésor des titres de dette souverains sur le marché secondaire ; v/ prise en pension de titres plus risqués (dette corporate) dans les opérations avec les banques ; vi/ extension de garantie pour certains type de dépôts. L’injection de liquidité est estimée à BRL 1 200 mds (16,7% du PIB) et les allégements d’exigences de fonds propres à BRL 1 150 mds (16,1% du PIB). La BCB va continuer en parallèle d’assurer la liquidité sur le marché des changes via ses programmes de swap cambial, de repo et ses interventions au comptant (USD 9,7 mds en mars).
Sur le plan budgétaire, les annonces du gouvernement se sont multipliées mais ont parfois manqué de clarté. Des soutiens financiers, des reports d’échéances et autres garanties à hauteur de BRL 490 mds (6,8% du PIB) ont été déployés[2] pour : i/ protéger l’emploi et les populations les plus vulnérables (environ BRL 268 mds); ii/ combattre la pandémie (BRL 11,5 mds); iii/ alléger les pressions financières pesant sur les États et municipalités (BRL 85,5 mds) et iv/ renforcer la trésorerie des entreprises (BRL 35 mds de la BNDES + BRL 88 mds).
En décrétant « l’état de calamité publique », le Congrès a autorisé le gouvernement à suspendre ses objectifs de déficit et autres règles budgétaires pour 2020. Le déficit primaire (hors service des intérêts de la dette) devrait ainsi largement dépasser les BRL 124 mds (-1,6 % du PIB) prévus dans le budget 2020 pour s’établir à BRL 515 mds (-7,3% du PIB compte tenu de la contraction du PIB), ce qui porterait le déficit budgétaire global à 12,5% du PIB en fin d’année. Les mesures actuelles ne prennent toutefois pas en compte un éventuel programme de relance post confinement. Les inquiétudes sur la soutenabilité de la dette publique – qui pourrait atteindre les 90% du PIB – ne sont pas près d’être résorbées.