Ainsi, une hausse marquée de l’inflation peut être anticipée une fois l’épidémie passée. Plus le rattrapage du niveau de production d’avant-crise sera rapide, plus les mesures de soutien public seront pro-cycliques et donc inflationnistes. Dans ce contexte, les banques centrales pourraient ne pas être en mesure de lutter contre cette dynamique en augmentant les taux d’intérêt compte tenu du surplus de dette accumulé. Cette inflation plus forte serait alors justifiée par la compensation de plusieurs années d’inflation inférieure à la cible[2].
Par ailleurs, l’inquiétude grandissante des consommateurs peut mener à une hausse sensible de la demande relative pour certains biens essentiels. Si les mesures sanitaires de confinement se prolongeaient, la stimulation de la demande par le soutien public entraînerait une hausse des prix relatifs de ces biens essentiels et une raréfaction de l’offre. L’inflation pour ce type de biens serait alors plus forte[3].
Plus structurellement, l’épisode de crise actuel pourrait mener à une accélération du processus de raccourcissement des chaînes mondiales de valeur. La perte d’efficacité économique qui en découlerait ferait pression à la hausse sur les coûts de production et in fine sur les prix à la consommation.
Les arguments en faveur d’une tendance désinflationniste à moyen terme
Pour les tenants de la thèse du biais désinflationniste, le risque de destruction des capacités de production est certes réel mais nettement plus limité que lors d’épisodes de guerre ou de sinistres climatiques. Les mesures de politique économique mises en œuvre, notamment en zone euro, permettraient en effet de limiter les faillites d’entreprises (par le biais de mesures de soutien à leur trésorerie) et la hausse du chômage « traditionnel ». Sur ce point, le recours quasi-généralisé en Europe à des dispositifs de réductions des heures travaillées (chômage partiel) permettrait d’amortir le choc de la crise du Covid-19 sur l’emploi[4]. De plus, pendant les périodes de guerre, l’État joue habituellement le rôle d’employeur en premier ressort et achète une quantité importante de produits, créant ainsi davantage d’inflation. Ce n’est pas le cas aujourd’hui[5].
Il est vrai qu’une fois les mesures sanitaires levées, le rebond de la demande pourrait être marqué. Le pouvoir d’achat des ménages a été soutenu par les mesures budgétaires et la chute des prix des matières premières, les conditions financières restent favorables et l’épargne forcée constituée pendant le confinement peut désormais être pleinement dépensée. Trois facteurs pourraient toutefois atténuer le rebond de la demande et ainsi le risque inflationniste :
Un phénomène de « rush » du côté des consommateurs pourrait être observé immédiatement les mesures sanitaires levées, mais des achats massifs et coordonnés de biens durables (automobile par exemple) sont peu probables ;
Des comportements de précaution pourraient perdurer dans un climat économique encore particulièrement incertain[6] ;
Un choc d’offre important peut mener à des faillites et des licenciements, induisant une insuffisance de la demande agrégée (consommation et investissement). Ce choc de demande peut alors davantage peser sur la production et l’emploi[7] et, in fine, sur la dynamique des prix.
De manière plus conjoncturelle, nous pouvons anticiper que lorsque les mesures de distanciation sociale seront levées, de nombreux secteurs sensiblement affectés par la crise du Covid-19 mettront en place des réductions de prix pour attirer la demande. Dans les « transports » et « l’hôtellerie et restauration », par exemple, compte tenu de leur poids dans l’IPCH en zone euro (de l’ordre de 25%), une réduction de prix aurait un effet non négligeable sur la dynamique globale de l’inflation.
La dynamique d’inflation dépendra du profil du rebond économique post-crise
Selon des évaluations préliminaires, l’impact de la crise du Covid-19 sur les pays de la zone euro, bien que temporaire, serait d’une ampleur très significative[8]. Le profil du rebond de l’activité économique sera ensuite déterminant pour la dynamique d’inflation. Comme cela a été souvent répété, ce rebond est particulièrement difficile à prévoir et plusieurs facteurs pourront l’influencer : le caractère rattrapable ou non de la consommation, l’épargne de précaution, la consolidation budgétaire potentielle pour faire face au surplus d’endettement, la reprise du commerce mondial, etc.