Eco Flash

Un biais désinflationniste à court et moyen terme ?

26/04/2020
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La crise du Covid-19 va entraîner une forte contraction du PIB de la zone euro. Toutefois, son effet sur l’inflation est incertain.

L’impact sur la dynamique des prix pourrait être désinflationniste à court terme, tandis qu’un consensus ne semble pas se dégager à moyen terme.

En mars, l’inflation totale en zone euro a nettement diminué, sous l’effet aussi de la baisse des prix de l’énergie.

La destruction d’une partie du capital productif pourrait contraindre l’offre à moyen terme, tandis que les politiques publiques soutiendraient la demande, favorisant ainsi l’accélération des prix.

Le déficit de demande par rapport à l’offre potentielle pourrait, à l’inverse, maintenir un biais désinflationniste en zone euro.

La pandémie du Covid-19 va entraîner une courte mais profonde récession économique dans les pays développés, et notamment en zone euro. Son impact sur la dynamique des prix demeure néanmoins incertain. À la différence d’une récession « normale », période pendant laquelle l’activité économique souffre d’un déficit de demande, aujourd’hui à la fois la demande et l’offre sont négativement affectées. L’une des questions est de savoir quel choc dominera. La récente publication de données d’inflation pour le mois de mars, sans bien sûr pouvoir renseigner sur la tendance, offre de premières informations.

Ralentissement des prix en mars en lien avec le prix des « transports »

L’inflation totale en zone euro, mesurée par l’indice des prix à la consommation harmonisé (IPCH), a baissé de manière marquée en mars 2020 s’établissant à +0,7%, en glissement annuel (g.a.), contre +1,2% en février (cf. graphique 1).

Cette dynamique s’explique en partie par la baisse sensible des prix de la composante énergétique (-4,5%) en lien avec la chute des prix du pétrole. La composante sous-jacente de l’inflation (i.e. corrigée des composantes les plus volatiles), s’est également inscrite en baisse, quoique moins marquée, passant de +1,2% à +1,0%, soit sa moyenne depuis début 2012.

L’inflation a diminué dans la quasi-totalité des secteurs (cf. graphique 2). La baisse la plus notable a concerné sa composante « transports », et explique quasi-exclusivement le repli général de l’inflation (cf. graphique 3). Après avoir progressé de +1,8% en février 2020, les prix dans les transports ont en effet diminué de -0,6% en mars. Si l’évolution des prix dans ce secteur est sensible à l’évolution du prix du pétrole, il s’agit néanmoins du plus important repli depuis mi-2016. L’inflation des « services de transports » a, en particulier, diminué de +2% en février à +0,2% en mars (cf. graphique 4) tirée notamment à la baisse par le « transport par air » (de +6% à +1%). Cette dynamique indiquerait que la propagation rapide du Covid-19 au sein des pays ou à l’échelle internationale a très nettement renforcé la frilosité des consommateurs à se déplacer.

Contributions à l’inflation en zone euro (en pp)
Inflation totale et sous-jacente en zone euro (g.a., en %)

Inflation par composante de l’IPCH (g.a., en %)

Inflation dans les transports (en g.a., en %)

Les trois composantes pour lesquelles l’inflation a augmenté en mars sont l’alimentation, la santé et le textile.

Dans « l’alimentation », tout d’abord, la hausse de l’inflation est assez remarquable, passant de +1,8% à 2,3%, soit la plus forte progression depuis juin 2018. Nous pouvons observer une dynamique similaire au Japon[1]. Ceci pourrait témoigner de comportements de stockage du côté des consommateurs, qui anticipent alors un choc d’offre négatif. La structure des biens alimentaires a également pu être modifiée en faveur des produits locaux, compte tenu des distorsions importantes sur les chaînes mondiales de production et de livraison, favorisant une accélération des prix.

Par ailleurs, au sujet de la composante « santé », la légère hausse de l’inflation reflèterait le besoin accru de produits médicaux en cette période d’épidémie. Enfin, le secteur du textile pourrait bénéficier d’un effet de report de la demande des consommateurs qui, ne pouvant être satisfaite en raison de la fermeture de magasins, s’oriente vers des achats en ligne.

L’ensemble de ces dynamiques est évidemment à analyser avec précaution en l’absence de davantage de données. Pour l’heure, les premières indications tendent à suggérer un biais désinflationniste à court terme. Sans toutefois faire consensus, cette réflexion est relativement bien partagée par les observateurs. À court terme, la baisse marquée de la demande l’emporterait sur le choc négatif du côté de l’offre. Ce dernier pourrait de surcroît être atténué par la présence de stocks suffisants dans les pays développés.


À moyen terme, un risque de pression forte sur l’inflation ?

Si l’inflation anticipée par les marchés reste orientée à la baisse (cf. graphique 5), certaines analyses font état d’un risque de fortes pressions inflationnistes à moyen terme. D’autres apparaissent nettement plus sceptiques.

Comme lors de périodes de guerre ou de sinistres climatiques, commence à émerger la crainte que le soutien de la demande, via l’actuel stimulus monétaire et budgétaire, se combine à une réduction durable de l’offre, via la destruction des capacités de production (qui se matérialiserait aujourd’hui par des faillites d’entreprises).

Inflation anticipée en zone euro par les marchés

Ainsi, une hausse marquée de l’inflation peut être anticipée une fois l’épidémie passée. Plus le rattrapage du niveau de production d’avant-crise sera rapide, plus les mesures de soutien public seront pro-cycliques et donc inflationnistes. Dans ce contexte, les banques centrales pourraient ne pas être en mesure de lutter contre cette dynamique en augmentant les taux d’intérêt compte tenu du surplus de dette accumulé. Cette inflation plus forte serait alors justifiée par la compensation de plusieurs années d’inflation inférieure à la cible[2].

Par ailleurs, l’inquiétude grandissante des consommateurs peut mener à une hausse sensible de la demande relative pour certains biens essentiels. Si les mesures sanitaires de confinement se prolongeaient, la stimulation de la demande par le soutien public entraînerait une hausse des prix relatifs de ces biens essentiels et une raréfaction de l’offre. L’inflation pour ce type de biens serait alors plus forte[3].

Plus structurellement, l’épisode de crise actuel pourrait mener à une accélération du processus de raccourcissement des chaînes mondiales de valeur. La perte d’efficacité économique qui en découlerait ferait pression à la hausse sur les coûts de production et in fine sur les prix à la consommation.

Les arguments en faveur d’une tendance désinflationniste à moyen terme

Pour les tenants de la thèse du biais désinflationniste, le risque de destruction des capacités de production est certes réel mais nettement plus limité que lors d’épisodes de guerre ou de sinistres climatiques. Les mesures de politique économique mises en œuvre, notamment en zone euro, permettraient en effet de limiter les faillites d’entreprises (par le biais de mesures de soutien à leur trésorerie) et la hausse du chômage « traditionnel ». Sur ce point, le recours quasi-généralisé en Europe à des dispositifs de réductions des heures travaillées (chômage partiel) permettrait d’amortir le choc de la crise du Covid-19 sur l’emploi[4]. De plus, pendant les périodes de guerre, l’État joue habituellement le rôle d’employeur en premier ressort et achète une quantité importante de produits, créant ainsi davantage d’inflation. Ce n’est pas le cas aujourd’hui[5].

Il est vrai qu’une fois les mesures sanitaires levées, le rebond de la demande pourrait être marqué. Le pouvoir d’achat des ménages a été soutenu par les mesures budgétaires et la chute des prix des matières premières, les conditions financières restent favorables et l’épargne forcée constituée pendant le confinement peut désormais être pleinement dépensée. Trois facteurs pourraient toutefois atténuer le rebond de la demande et ainsi le risque inflationniste :

Un phénomène de « rush » du côté des consommateurs pourrait être observé immédiatement les mesures sanitaires levées, mais des achats massifs et coordonnés de biens durables (automobile par exemple) sont peu probables ;

Des comportements de précaution pourraient perdurer dans un climat économique encore particulièrement incertain[6] ;

Un choc d’offre important peut mener à des faillites et des licenciements, induisant une insuffisance de la demande agrégée (consommation et investissement). Ce choc de demande peut alors davantage peser sur la production et l’emploi[7] et, in fine, sur la dynamique des prix.

De manière plus conjoncturelle, nous pouvons anticiper que lorsque les mesures de distanciation sociale seront levées, de nombreux secteurs sensiblement affectés par la crise du Covid-19 mettront en place des réductions de prix pour attirer la demande. Dans les « transports » et « l’hôtellerie et restauration », par exemple, compte tenu de leur poids dans l’IPCH en zone euro (de l’ordre de 25%), une réduction de prix aurait un effet non négligeable sur la dynamique globale de l’inflation.


La dynamique d’inflation dépendra du profil du rebond économique post-crise

Selon des évaluations préliminaires, l’impact de la crise du Covid-19 sur les pays de la zone euro, bien que temporaire, serait d’une ampleur très significative[8]. Le profil du rebond de l’activité économique sera ensuite déterminant pour la dynamique d’inflation. Comme cela a été souvent répété, ce rebond est particulièrement difficile à prévoir et plusieurs facteurs pourront l’influencer : le caractère rattrapable ou non de la consommation, l’épargne de précaution, la consolidation budgétaire potentielle pour faire face au surplus d’endettement, la reprise du commerce mondial, etc.

Selon les dernières prévisions du Fonds monétaire international (FMI)[9], le PIB en zone euro se contracterait de
-7,5% en 2020 avant de se redresser de +4,7% en 2021 (cf. graphique 6). L’écart de production resterait ainsi nettement creusé[10], favorisant un biais désinflationniste en zone euro.

En conclusion, un consensus ne semble pas se dégager concernant la dynamique des prix, en particulier à moyen terme. En tout état de cause, la zone euro fait face depuis plusieurs années à une inflation relativement faible au regard de la cible de 2% à moyen terme et la BCE pourrait accepter des pressions inflationnistes plus intenses au cours des prochains mois. Si une hausse de l’inflation n’est donc pas à exclure, celle-ci pourrait n’être que limitée et concentrée sur certaines catégories de produits.

Croissance effective et écart de production en zone euro

[1] Evaluating the initial impact of Covid containment measures on activity, OCDE, mars 2020

[2] World Economic Outlook, Chapter 1 : The great lockdown, mai 2020, FMI

[3] En tenant compte d’une estimation de croissance potentielle de la zone euro à 1,3% en 2019 et stable en 2020 et 2021.
[1] T. Watanabe, The reponses of consumption and prices in Japan to the Covid-19 crisis and the Tohoku earthquake, VoxEu, avril 2020

[2] C. Goodhart et al., Future imperfect after coronavirus, VoxEu, mars 2020

[3] R. Baldwin, The supply-side matters: Guns vs butter, Covid-style, VoxEu, mars 2020

[4] C. Berson, et al., L’activité partielle, un outil précieux en temps de crise, Banque de France, avril 2020

[5] D. Miles, Will inflation make a comeback after the crisis ends, VoxEu, avril 2020

[6] S.R. Baker, Covid-induced economic uncertainty, NBER, avril 2020

[7] V. Guerrieri et al., Macroeconomic implications of Covid-19: Can negative supply shocks cause demand shortages?, NBER, avril 2020

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE