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La hausse de l’inflation pourrait n’être que temporaire

18/04/2021
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L’inflation en zone euro a nettement augmenté au T1 2021, et apparaît particulièrement volatile. L’inflation sous-jacente, d’habitude stable, évolue par à-coups. Le rebond des prix des biens explique en grande partie la hausse générale de l’inflation. Les prix des services marchands se redressent également, notamment pour ceux très touchés par la pandémie comme le secteur des transports. L’accélération récente des prix est portée par des facteurs temporaires : mouvement de TVA, hausse des cours du brut, modification des pondérations au sein de l’IPCH. L’inflation pourrait encore progresser ces prochains mois. Ces effets temporaires s’estomperaient à partir du début de l’année prochaine. Le risque d’un emballement inflationniste en zone euro apparaît très limité.

INFLATION VOLATILE ET EN HAUSSE DÉBUT 2021

Le caractère de la crise de la Covid-19 et des mesures mises en œuvre pour la contrer sont de nature à faire varier fortement l’inflation. Celle-ci affiche une grande volatilité depuis le début de l’année 2020 en zone euro. L’inflation sous-jacente (c’est-à-dire corrigée des composantes énergétique et alimentaire, de l’alcool et du tabac), en particulier, apparaît très volatile après plusieurs années de relative stabilité.

L'inflation est remontée début 2021

Sur les trois premiers mois de 2021, l’inflation en zone euro a sensiblement progressé, atteignant +1,0% en moyenne (en glissement annuel), après -0,3% en décembre 2020 et +0,3% en moyenne sur l’ensemble de l’année dernière. L’inflation sous-jacente s’est, quant à elle, établie à +1,1% en moyenne au 1er trimestre 2021(+0,2% en décembre 2020 et +0,7% en moyenne l’an dernier) (cf. graphique 1).

Après de fortes baisses, les prix des biens rebondissent

Le rebond de l’inflation en début 2021 dans la zone euro s’explique à la fois par le redressement du prix des biens et, dans une moindre mesure, des services. Le prix des biens a respectivement progressé de +0,3% et +0,4% en janvier et février 2021, après une baisse de 0,2% en moyenne (en glissement annuel) sur l’ensemble de l’année 2020 (cf. graphique 2).

La composante textile explique en grande partie cette dynamique de hausse récente. Du côté des services, qui sont tout particulièrement touchés par les mesures sanitaires mises en place dans l’ensemble des États membres de la zone euro, l’inflation a également augmenté (+0,6% en janvier et février 2021 après +0,4% en 2020 en moyenne).

Les prix des services reprennent des couleurs (inflation par secteur, g.a., en %)

Les prix se redressent dans quasiment l’ensemble des services. En particulier, les prix des « services relatifs aux transports », secteur évidemment très perturbé par la très faible mobilité des populations européennes en 2020, ont bien rebondi en janvier 2021. La dynamique est proche du côté des services de loisirs (qui incluent notamment les forfaits touristiques) (cf. graphique 3).

Une décomposition par pays indique que tous les pays de la zone euro ont vu un redressement de leurs prix début 2021 (cf. graphique 4). L’Allemagne contribue le plus fortement au profil marqué de l’inflation totale de la zone euro. L’économie allemande a mis un terme fin 2020 à sa mesure temporaire de baisse de la TVA, ce qui rend l’inflation particulièrement volatile.

LA VOLATILITÉ ET LA HAUSSE DE L’INFLATION S’EXPLIQUENT PAR DES FACTEURS TEMPORAIRES

Plus de biens et moins de services dans l'IPCH

Des changements de fiscalité indirecte

Les changements de fiscalité indirecte affectent la dynamique des prix. Une hausse de TVA entraîne une hausse de l’inflation, dont l’ampleur dépend du comportement des entreprises. Celles-ci peuvent répercuter pleinement ou seulement partiellement la hausse de TVA sur les prix finaux payés par le consommateur. Comme indiqué précédemment, un mouvement sensible de TVA en Allemagne au 2nd semestre 2020 a affecté l’inflation du pays et celle de la zone euro.

L’économie allemande, pour répondre à la crise de la Covid-19, a baissé temporairement son taux de TVA de 19% à 16%, entre juillet et décembre 2020. Ce mouvement a fait baisser l’inflation en Allemagne, et par ricochet en zone euro, cette dernière aurait été nettement plus élevée si les taxes étaient restées constantes (cf. graphique 5).

L’Allemagne pousse à la hausse l’inflation totale

Le rebond de janvier 2021 aurait par conséquent été nettement plus limité. A taxes constantes, l’inflation allemande aurait été de +1,4% en g.a. en décembre 2020 (0,3% pour la zone euro) et de +1,8% en janvier 2021 (+1,0%), contre une inflation observée de respectivement -0,7% et +1,6% (-0,3% et +0,9% en zone euro). Les changements de TVA ne sont pas les seules explications à la forte remontée de l’inflation en zone euro, mais peuvent expliquer, toutes choses égales par ailleurs, près de la moitié du rebond de janvier 2021.

Une remontée des prix du pétrole

Les forts mouvements de TVA rendent l’inflation particulièrement volatile

Autre changement important par rapport à l’année 2020 : les prix du pétrole remontent, et ont frôlé à la mi-mars les 70 USD/baril de Brent. Ce niveau est proche de celui de janvier 2020, observé avant la pandémie. La remontée des prix des matières premières génèrera des effets de base importants dans les mois qui viennent et sur l’ensemble de 2021.

La composante « énergie » de l’IPCH a déjà rebondi, en g.a., à 4,3% en mars, après avoir baissé sans interruption depuis février 2020. Les effets de la hausse des prix du pétrole ont toutefois été en partie compensés à la fois par l’appréciation de l’euro vis-à-vis du dollar (cf. graphique 6) ainsi que par la diminution du poids relatif du pétrole dans l’IPCH total suite à l’année 2020 si particulière.

Ré-estimation des poids des composantes de l’IPCH

Les prix du pétrole retrouvent leurs niveaux d’avant la pandémie

Un autre facteur expliquant la remontée de l’inflation en ce début d’année, est la révision des poids des composantes de l’IPC, qui a été particulièrement importante en 2021. Chaque année, Eurostat réestime ces poids en se basant sur le panier de consommation moyen des ménages de la zone euro de l’année précédente. L’année 2020 ayant été marquée par d’importants changements de consommation liés à la crise sanitaire et à la fermeture de nombreux commerces, les révisions ont été significatives. Il y a eu une révision sensible, à la hausse, du poids des biens de consommation –principalement des biens alimentaires – au détriment de celui des services (voir tableau).

À l’échelle de la zone euro, le poids des biens est passé à 58,2% contre 55,1% en 2020. Cette révision représente la plus forte variation annuelle jamais connue.

Elle s’observe dans tous les pays, et a été particulièrement importante en Italie (+4,5 points de pourcentage, pp). Selon la Banque centrale européenne (BCE), la modification des poids dans l’IPCH a contribué pour 0,3 pp à la hausse de l’inflation en janvier 2021 (par rapport à une situation où les poids auraient été inchangés)1.

Par ailleurs, un obstacle, d’ordre méthodologique cette fois, a affecté la collecte des données, du fait de la fermeture de nombreux commerces. Cela s’est produit tout particulièrement lors du premier confinement au printemps 2020 : les informations sur de nombreux produits étaient soit indisponibles, soit obtenues à l’aide de méthodes alternatives (prix sur internet, appels téléphoniques, etc.). Cela a pu conduire à des imprécisions sur l’évolution réelle des prix à la consommation2. En 2022, un nouveau réajustement des poids de l’IPCH est attendu qui introduira une nouvelle source de volatilité.

QUELLES ÉVOLUTIONS PEUT-ON ATTENDRE CES PROCHAINS MOIS ?

L’inflation continuerait d’augmenter ces prochains mois

Le mouvement à la hausse de l’inflation a toutes les chances de se poursuivre à court terme sous l’impact combiné des effets de base liés au prix de l’énergie (voir plus haut), du rebond potentiellement marqué de l’activité économique en Europe (nous prévoyons une croissance du PIB en zone euro de 4,2% cette année, après -6,8% en 2020) et de la poursuite probable des perturbations sur les chaînes mondiales d’approvisionnement.

Les PMI indiquent une hausse des prix ces prochains mois

Sur ce dernier point, des déséquilibres entre l’offre et la demande devraient également maintenir des tensions à la hausse sur les prix à la consommation. Les prix de nombreux biens primaires industriels (semi-conducteurs, aluminium, bois, cuivre) mais aussi alimentaires (maïs, bétail) restent à des niveaux historiquement très élevés.

Les dernières évolutions des indices des directeurs d’achat (PMI) – et notamment le sous-indice relatif aux prix des biens sortants – attestent de la hausse des coûts de production des entreprises qui pourrait à terme se répercuter sur les prix à la consommation dans la zone euro (cf. graphique 7).

AU-DELÀ DE LA VOLATILITÉ DE COURT TERME, L’INFLATION BAISSERAIT À NOUVEAU

Les perspectives d’inflation restent timides à moyen terme

Les dernières projections macroéconomiques de la BCE3 soulignent le caractère volatil de l’inflation en zone euro. Selon l’institution de Francfort, l’inflation globale en zone euro continuerait de progresser au cours de cette année – sous l’effet des facteurs temporaires évoqués dans la partie précédente – jusqu’à atteindre 2,0% au T4 2021. Elle s’établirait ainsi à 1,5% en 2021 en moyenne annuelle, après +0,3% en 2020. Cette poussée inflationniste se tasserait par la suite, l’inflation baissant à 1,2% en 2022 et atteignant seulement 1,4% en 2023.

L’inflation sous-jacente, si elle devait progresser, serait seulement de 1,3% en 2023. La BCE indique, qu’en arrière-plan, les coûts unitaires du travail devraient baisser en 2021 puis en 2022 sous l’effet du rebond de la productivité du travail. Ils repartiraient timidement à la hausse en 2023 sans créer de tensions inflationnistes importantes. Nos dernières prévisions macroéconomiques (mars 2021) mettent en avant un profil d’inflation similaire, celle-ci augmentant sensiblement à l’horizon du T4 2021 avant de baisser début 2022. Au total, l’inflation resterait bien en dessous de la cible de la BCE sur notre horizon de prévision (1,4% en 2022 en moyenne annuelle).

L’économie de la zone euro demeure fragilisée

L’évolution de l’inflation en zone euro dépendra de la conjoncture économique (effet Phillips). Or, en retenant l’écart entre le PIB effectif et la PIB potentiel (écart de production ou output gap) comme indicateur de position dans le cycle, l’économie de la zone euro apparaît encore fragile. En outre, des études de la BCE montrent une relation assez faible entre les indicateurs de tensions sur l’appareil productif et l’inflation4.

La lente résorption de l’output gap en zone euro

Même si les estimations de l’output gap (OG) de la Commission européenne et du FMI varient sensiblement, les deux organisations anticipent que celui-ci resterait négatif en zone euro au moins jusqu’à la fin 2022, mettant donc en avant un déficit persistant de demande.

Le FMI table sur un OG de -3 points de PIB potentiel en 2021 et de -1 point en 2022. Selon les projections à plus long-terme du Fonds, l’output gap en zone euro ne se refermerait pas avant 2024-2025 (cf. graphique 8).

Par ailleurs, le taux de chômage de la zone, en hausse relativement modérée depuis le début de la pandémie, continuerait de progresser encore quelques mois.

Enfin, les anticipations d’inflation demeurent nettement inférieures à 2% (le taux swap d’inflation à 5 ans dans 5 ans avoisine 1,4% aujourd’hui). Comme énoncé précédemment, même si l’accélération des prix à la consommation en zone euro devrait se poursuivre au cours du second semestre 2021, un tassement dès 2022 est probable.

La question du retour de l’inflation se pose dans des termes différents aux États-Unis. La dynamique outre-Atlantique est, selon les prévisions du FMI, beaucoup plus encourageante. Avec un plan de relance historique de USD 1900 mds et une campagne de vaccination plus efficace, l’output gap se refermerait dès la fin de l’année 2021. La situation conjoncturelle était également différente, de celle de la zone euro, avant l’arrivée du Coronavirus. Les États-Unis avaient atteint, à la fin de l’année 2019, un taux de chômage historiquement bas – 3,6% de la population active – et proche du plein emploi. De plus, le taux de chômage est déjà retombé à 6% (mars 2021). Les risques d’une poussée inflationniste semblent donc plus élevés outre-Atlantique.

1 BCE, 2021 HICP weights and their implications for the measurement of inflation, Bulletin Economique de la BCE, février 2021.

2 Dans le cas de la France, How to compute a Consumer Price Index in the context of the Covid-19 crisis?, INSEE juillet 2020.

3 ECB Staff Projections for the euro area, mars 2021.

4 Philip Lane, The Phillips curve at the ECB, speech at the 50th anniversary conference of the money, macro & finance research group of the London School of Economics, 4 September 2019.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE