La pandémie de Covid-19 aura de profondes conséquences à long terme. Certaines industries en tireront des bénéfices, directement ou indirectement, tandis que d’autres souffriront. L’idée de secteurs florissants, surfant sur de nouvelles opportunités, et d’autres luttant pour leur survie rappelle le concept de destruction créatrice de Schumpeter. Or, un tel processus peut générer à court terme des coûts considérables. La recherche économique montre que les programmes visant à dynamiser le marché du travail jouent un rôle capital. Plus généralement, la politique économique ne doit pas seulement se concentrer sur la demande mais de plus en plus sur l’offre, afin d’éviter que la pandémie n’entrave durablement la croissance.
Jusqu’à présent, et on peut le comprendre, les conséquences économiques de la pandémie de Covid-19 ont été principalement envisagées à court terme. Tout d’abord, il y a eu en mars et avril le déclin considérable de l’activité lié au confinement. Puis, avec la levée progressive des restrictions en mai et juin, l’activité a rebondi. À partir de juillet, la reprise s’est essoufflée, les règles de distanciation étant maintenues, le virus circulant toujours et, plus récemment, en raison du renforcement des restrictions dans de nombreux pays pour stopper la hausse exponentielle des nouvelles infections.
Néanmoins, la pandémie de coronavirus aura aussi des conséquences profondes à long terme, comme l’aggravation de la charge de la dette pour les États et pour de nombreuses entreprises, ainsi que le risque que de nombreux travailleurs ayant perdu leur travail, ou au chômage partiel, restent durablement sans emploi. L’économie va connaître des changements du côté de l’offre, avec la modification des chaînes de valeur pour renforcer la résilience aux chocs. Mais d’autres évolutions sont attendues du côté de la demande. Certaines nouvelles habitudes de consommation apparues pendant le confinement – comme un recours plus large au e-commerce – pourraient devenir permanentes, de même la demande d’espaces de bureau va évoluer avec l’accroissement du télétravail, même après la pandémie, etc. Les perspectives de croissance à long terme de certaines industries pourraient être sensiblement différentes qu’il y a un an. De plus, afin de remplir les objectifs climatiques de l’Accord de Paris, de nombreux pays visent la neutralité carbone d’ici 2050.
De nombreuses entreprises devraient rester soumises à de fortes pressions. « Historiquement, il existe un décalage entre, d’une part, le déclin de la croissance du PIB et, d’autre part, l’augmentation du nombre de faillites et du chômage, qui ont tendance à atteindre un pic un an après le choc initial et à rester élevés pendant encore deux ans »[1]. Selon les calculs de Moody’s, le taux de défaillance (en glissement sur 12 mois) des entreprises classées en catégorie spéculative pourrait s’inscrire dans une fourchette de 9,7 % à 13,3 %, en février 2021, en cas de trajectoire similaire à celle enregistrée au cours des cycles précédents[2]. Pour les gouvernements, la problématique qui se pose est ainsi celle de l’allocation de ressources budgétaires limitées. C’est ce qu’a souligné récemment Rishi Sunak, chancelier de l’Échiquier britannique, lors de la présentation de son Winter Economy Plan au Parlement : « Nous devons créer de nouvelles opportunités et permettre à l’économie d’aller de l’avant ou, en d’autres termes, soutenir les emplois durables offrant une réelle sécurité. Comme je l’ai souvent dit, depuis le début de cette crise, je ne peux pas sauver toutes les entreprises, ni tous les emplois »[3].
Cette idée relative à l’existence, d’une part, d’industries florissantes et riches d’opportunités nouvelles, et de l’autre, de secteurs ayant du mal à survivre, nous rappelle la théorie de la destruction créatrice de J. Schumpeter. « La destruction créatrice fait référence au mécanisme incessant d’innovation de produits et de procédés selon lequel de nouvelles unités de production remplacent les anciennes, qui sont dépassées »[4]. Un tel processus peut avoir un coût considérable à court terme, avec des pertes d’emplois et une destruction de valeur pour les entreprises. Les pouvoirs publics pourraient alors adopter des politiques défensives, par exemple, en matière de protection de l’emploi. En particulier, les gouvernements qui devront affronter des élections pourraient être tentés de prolonger les programmes spéciaux mis en place pendant le confinement afin de préserver les emplois et les entreprises. Dans de nombreux pays, les faillites sont actuellement bien en deçà du niveau enregistré il y a un an.
Cependant, la recherche montre que les mesures prises pour sécuriser l’emploi ont pour effet de ralentir le processus d’ajustement de l’économie, de réduire les gains de productivité et, par conséquent, la croissance du PIB[5]. Il faut donc des politiques qui, et c’est une condition a minima, n’empêchent pas l’ajustement structurel, mais qui trouvent aussi les moyens d’aider les travailleurs ayant perdu leur emploi en raison de la transformation de l’économie. Ayant analysé un panel de travailleurs de treize pays européens sur la période 1986-2008, l’OCDE aboutit à cette conclusion : « la probabilité de réemploi, dans l’année qui suit, des travailleurs ayant perdu leur emploi en raison d’une fermeture d’entreprise est positivement corrélée aux dépenses publiques affectées à des programmes actifs du marché du travail »[6]. De tels programmes comprennent, entre autres, les fonds alloués à l’aide à la recherche d’emploi, à la formation, aux créations d’emplois dans le secteur public et à l’emploi subventionné dans le secteur privé[7]. Ces questions de politiques publiques sont particulièrement pertinentes dans la situation actuelle. À court terme, la pandémie de Covid-19 devrait, selon les prévisions, entraîner une nouvelle hausse du chômage en Europe. À long terme, elle provoquera un changement structurel dans de nombreuses industries avec les pressions qui en résulteront dans certains secteurs du marché du travail. Autrement dit, la politique économique devra non seulement se concentrer sur la demande, mais aussi, et de plus en plus, sur l’offre, de manière à éviter que la pandémie ne freine durablement la croissance.