Eco Conjoncture

Vers des villes plus durables et inclusives

22/12/2019
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Les villes concentrent aujourd’hui plus de la moitié de la population mondiale et plus de 80 % du PIB global. La dynamique sous-jacente qui explique leur expansion continue résulte de diverses externalités positives (densité du marché du travail, partage des connaissances techniques et des intrants…) générant des effets qui se renforcent mutuellement. Ces vagues d’urbanisation rapides ont d’importantes conséquences sur la production de biens et de services, la qualité environnementale et le développement humain. On observe dans le monde entier des pics de densité et des disparités dus à l’essor inexorable des métropoles. Pour rester habitables, les villes devront devenir plus écologiques et plus inclusives. Face à ces enjeux sociétaux, les politiques publiques ont un rôle important à jouer.

En 2050, plus des deux tiers de la population mondiale vivront en ville. Or, dans les pays de l’OCDE, ces aires urbaines ne couvrent que 4 % de la surface du territoire (OCDE, 2015). Cette forte concentration géographique pose la question de la forme que ces nouvelles mégapoles doivent adopter pour rester habitables. La surpopulation, la pollution et des coûts élevés figurent parmi les principaux inconvénients associés à la vie urbaine. En outre, le changement climatique a eu de profondes répercussions sur ces zones notamment une augmentation des risques pour la santé et des températures de plus en plus extrêmes.

De l’abolition de la distance au déclin industriel, les villes ont fait face à de multiples défis et s’est posée la question de savoir si cette forme d’organisation était appelée à subsister. La montée en puissance de la mondialisation et de la « Nouvelle économie » a relancé le potentiel des villes en les propulsant sur le devant de la scène économique internationale. On continue d’observer des vagues d’urbanisation s’autoalimentant qui résultent principalement d’externalités positives propres aux villes.

Dotée d’infrastructures plus efficaces, plus innovantes et moins polluantes, la ville reste un endroit privilégié à tel point que le fossé se creuse entre les espaces urbains et les autres territoires. Les disparités s’accentuent non seulement entre des métropoles prospères et des territoires à la traîne, mais au sein des villes elles-mêmes. Les atouts exceptionnels des grandes zones urbaines sont, certes, impressionnants, mais s’accompagnent aussi d’une forte concentration des bénéfices associés. Leur organisation doit être repensée afin de pallier le risque d’une fracture territoriale. Les politiques publiques ont un double défi à relever : renforcer les atouts des zones urbaines tout en réduisant les déséquilibres qui en découlent.

Il n’existe pas de modèle standard en matière d’urbanisme. L’accent doit être mis sur l’adoption de politiques publiques efficaces. Les villes recèlent de forces incomparables pour permettre un développement plus durable et inclusif. Le moment est venu d’encourager une transition vers des métropoles plus vertes, plus accessibles et plus abordables.

Analyser et comprendre les villes

Les villes se singularisent dans la répartition du territoire entre la population, l’activité économique, l’innovation, les émissions de gaz à effet de serre, et reflètent par définition des inégalités. Or, le processus d’urbanisation ne fait que s’accélérer, exacerbant les disparités régionales. Il est essentiel de bien comprendre les mécanismes sous-jacents de la formation et de l’organisation des villes pour s’attaquer aux défis qui en découlent.

Le résultat d’arbitrages

Les économies et déséconomies d’échelle inhérentes aux villes coexistent et pérennisent leur existence. Dans sa théorie sur la nouvelle économie géographique, Krugman (1991) décrit l’existence de forces d’agglomération et de dispersion concomitantes. Ces forces ont contribué à l’émergence d’un dualisme entre centre et périphérie dans la distribution des activités économiques. Les centres d’activité, sous l’effet de forces d’agglomération, donnent naissance à de grandes villes. Les forces de dispersion limitent, quant à elles, la taille des villes et génèrent des alternatives à ces dernières, les périphéries.

Les forces d’agglomération concernent avant tout les entreprises et sont ainsi analysées à travers le prisme de l’activité économique et de la production. Les avantages qui en découlent se répercutent ensuite sur les travailleurs et les consommateurs qui bénéficient de salaires plus élevés, d’un meilleur accès à l’emploi, ainsi que d’un choix plus étendu, dû à la variété des produits proposés sur le marché. En 1920, Marshall avait décrit les trois déterminants majeurs de la localisation des entreprises, qui restent pertinents un siècle plus tard :

  • La mise en commun du marché du travail : la densité qui en découle permet un meilleur appariement entre l’offre et la demande ;
  • Le partage des connaissances techniques (knowledge spillovers) : les externalités positives inattendues produites par les découvertes scientifiques/techniques stimulent la productivité des entreprises voisines ;
  • Le partage des intrants : la localisation d’entreprises similaires permet de partager les coûts liés aux biens intermédiaires et encourage la localisation d’entreprises spécialisées dans la production de ces intrants.

Pour répondre à ces trois critères, il faut une organisation agglomérée de l’espace, telle que celle offerte par les villes. L’urbanisation permet précisément d’exploiter les externalités positives associées à la proximité géographique.

Ces externalités peuvent être classées en deux catégories et sont à la fois des déterminants et des conséquences de la taille des villes. Les externalités Marshalliennes, également dites « économies de localisation », se caractérisent par un phénomène de spécialisation au sein d’un espace géographique donné. La localisation d’entreprises appartenant à une industrie spécifique favorise le partage de connaissances techniques entre entreprises similaires, entraînant une augmentation globale de la productivité. Les externalités Jacobsiennes, également appelées «économies d’urbanisation », sont le fruit d’un processus de diversification. L’hétérogénéité des industries présentes dans la ville permet aux entreprises, dans les premiers stades de leur développement, de trouver leur modèle optimal de production et de bénéficier d’infrastructures établies et diversifiées. Ces deux types d’externalités impliquent des niveaux d’agglomération différents et ont donc des conséquences variées sur la taille de la ville. Comme le montre le graphique 1, les économies de localisation se caractérisent par des villes de plus petite taille dans la mesure où elles impliquent un degré moindre de concentration des entreprises et de la main-d’œuvre. Les économies d’urbanisation, en raison de la diversité des acteurs locaux engagés dans le processus, correspondent à des villes d’une taille bien plus importante. Comme ces dynamiques se renforcent mutuellement, l’existence de l’un ou l’autre de ces deux types d’externalités détermine la taille de la ville.

La conceptualisation en forme de U inversé de l’utilité des villes (cf. graphique 1) est le résultat de tensions existant entre les externalités positives exposées ci-dessus et les externalités négatives découlant de l’urbanisation. Le regroupement géographique des activités génère de nombreux avantages pour les entreprises comme pour les travailleurs, mais il entraîne aussi des coûts, que Krugman qualifie de « forces de dispersion ». Plus les villes se développent et plus les nuisances augmentent. Pollution, congestion, renforcement de la concurrence, augmentation des déchets et du bruit figurent parmi les principales externalités négatives rencontrées dans les villes. Concernant les inégalités, l’exclusion par le coût du logement, des commodités et des services s’accentue au fur et à mesure du développement des villes et du renforcement de leur dynamisme. Proposée par Alonso (1964), Mills (1967) et Mills (1969), la théorie du gradient de rente foncière modélise les villes sous forme de fonctions de la rente foncière, des coûts de déplacement domicile-travail et du salaire. Cette modélisation s’appuie sur de fortes hypothèses telles que l’utilité et le revenu fixes dans toute la ville, un modèle monocentrique, et la localisation exclusive des emplois dans le quartier d’affaires (CBD). Ce modèle a d’importantes conséquences sur l’organisation des villes dans la mesure où il illustre une diminution du gradient de la rente foncière entre le quartier d’affaires et la périphérie de la ville. Celle-ci est compensée par l’augmentation des coûts de déplacement domicile-travail au fur et à mesure que l’on s’éloigne du centre-ville. L’augmentation de la population urbaine conduit à un accroissement du coût de la vie avec le déplacement du gradient de rente foncière (cf. graphique 2). La croissance urbaine est donc, par nature, un processus d’exclusion.

Externalités Marshalliennes et Jacobsiennes et taille de la ville

Monocentrisme, polycentrisme et étalement urbain

Bien que le modèle d’une ville monocentrique soit très instructif, l’augmentation du polycentrisme semble en limiter les applications pratiques. Dans les villes d’aujourd’hui, il existe souvent de multiples quartiers d’affaires, attirant chacun un bassin d’emploi différent, en fonction de déterminants locaux. Une telle organisation de la ville a été encouragée afin de diversifier les centres de création d’emplois et de valeur.

Le gradient de rente foncière

En France, les politiques publiques, dont le but était de promouvoir une répartition plus polycentrique et décentralisée de l’activité économique, ont parfois eu des effets indésirables en favorisant l’étalement urbain et en renforçant, de fait, le monocentrisme. La région Paris-Ile-de-France en est un bon exemple. La politique des villes nouvelles, lancées dans les années 1960, avait pour principal objectif de limiter la concentration urbaine dans les grandes villes et de freiner l’expansion de ce qui constituait déjà des aires urbaines. Neuf villes nouvelles ont ainsi été créées, dont cinq situées à une distance de 15 à 50 kilomètres de Paris. Alors que la politique visait à donner davantage d’autonomie à ces nouvelles structures, il semble que, dans la pratique, ces villes aient été submergées par l’étalement de l’agglomération parisienne et qu’elles aient absorbé une partie de cette croissance excessive. Pour Halbert (2006), cette politique n’a pas permis de ralentir l’influence croissante de Paris. C’est même l’inverse qui s’est produit : les villes nouvelles ont renforcé le caractère monocentrique de l’agglomération parisienne et abouti à l’apparition d’un phénomène d’étalement urbain à très grande échelle.

L’étalement urbain est un défi majeur pour les villes contemporaines. Les zones-centres étant surpeuplées, l’expansion urbaine se renforce du centre vers les banlieues et les zones à plus faible densité de population. L’insuffisance des infrastructures de transport, ainsi que la distance par rapport aux zones-centres qui concentrent emplois, activité économique et services publics, figurent parmi les principaux sujets de préoccupation associés à l’étalement urbain. Au-delà de la taille optimale de la ville, les avantages urbains ne compensent plus les déséconomies. Ces processus sont hautement dommageables, notamment en matière d’environnement, d’efficience et d’équité.

Îlots de dynamisme innovant

Les économies d’agglomération observées dans les villes impliquent une localisation disproportionnée de l’activité dans les aires urbaines. Les travaux de Perroux (1981) sur les pôles de croissance l’ont conduit à tirer une conclusion importante selon laquelle « la croissance n’apparaît pas partout à la fois ». Une telle répartition disparate du dynamisme économique est exacerbée par l’entrée progressive des sociétés dans l’ère de la Nouvelle économie. L’essor des nouvelles technologies et la hausse de la dépendance à leur égard, ainsi que le passage à une économie de services, ont renouvelé la place des villes. La proximité géographique, qui facilite notamment les contacts directs, offre les bases nécessaires à la production et à l’échange de connaissances très techniques.

Villes « clusters »

Le cluster ou « grappe industrielle » désigne «une concentration d’entreprises liées et situées dans des espaces géographiques de taille relativement réduite » (Beaudry et Breschi, 2000). Il bénéficie d’économies de localisation au sein de secteurs très spécifiques. Les principaux déterminants sous-jacents d’un cluster sont l’échange et la création de connaissances favorisés par la proximité géographique. Il existe deux grandes catégories de connaissances : les connaissances codifiées et les connaissances tacites. Les connaissances codifiées présentent un coût de production élevé, mais un coût de transmission relativement faible. Elles peuvent aisément être partagées, quelle que soit la distance entre les deux entreprises. Quant aux connaissances tacites, elles ont un coût de production élevé et un coût marginal de transmission également important. Le partage de ces connaissances nécessite des échanges « en face à face » (Storper et Venables, 2004). Selon une thèse largement partagée, les technologies de l’information et des communications (TIC) étaient censées permettre « l’abolition de la distance » (Cairncross, 1997). Or, on observe une résilience des villes que cette dichotomie de connaissances permet d’expliquer. La production et l’échange de savoirs tacites, qui impliquent une proximité spatiale, constituent un déterminant clé de l’existence de grappes industrielles et de leur expansion.

Une grappe industrielle doit présenter des caractéristiques spécifiques. Le site dans lequel elle se développe doit être équipé en infrastructures humaines et physiques, nécessaires à la production d’idées, et être doté, notamment, de ressources humaines, de capital et de technologie. Sur ces bases, un réseau peut alors se former, constitué d’entreprises, de fournisseurs d’intrants spécialisés, de laboratoires de recherche et d’universités. L’existence de ce réseau favorise les partenariats public-privé et tout particulièrement les liens université-industrie ; les universités produisent de la recherche fondamentale tandis que les laboratoires et les entreprises en développent les applications commerciales associées. Un cluster performant doit, en dernier lieu, accueillir des entreprises de premier plan, à la fois innovantes et exportatrices.

L’organisation spatiale des villes ainsi que les économies d’agglomération dont elles bénéficient leur permettent d’accueillir ces grappes d’entreprises. Les vastes aires urbaines, bénéficiant d’économies d’urbanisation, jouent le rôle d’incubateurs pour le développement de nouveaux produits (Chinitz, 1961). En conséquence, les zones urbaines ont été les cibles principales, sinon exclusives, des politiques d’innovation en France. Une politique de pôles de compétitivité a été lancée en 2004 pour promouvoir la formation de grappes industrielles par l’implantation de laboratoires de recherche spécialisés à proximité des entreprises et l’octroi de subventions en faveur de la recherche et du développement (R&D). L’objectif de ces politiques était de promouvoir de manière discrétionnaire les caractéristiques naturelles des clusters en encourageant le regroupement géographique de la recherche fondamentale et appliquée. Cette politique a eu des effets positifs en matière de capacité d’innovation dans les zones ciblées, mais elle a aussi prêté le flanc à la critique. Cette initiative, s’inspirant d’une approche descendante (top-down), a encouragé une spécialisation excessive au sein des clusters, avec pour conséquence un manque d’adaptabilité de ces zones aux chocs extérieurs : selon une étude réalisée par le CEPREMAP, un dispositif limitant les obstacles à la formation de clusters aurait été plus efficace qu’une politique visant arbitrairement à en promouvoir le développement (Duranton et al., 2008). Le classement discrétionnaire de l’espace est la conséquence implicite de la théorie des pôles de croissance, selon laquelle le développement finira par s’étendre aux zones voisines. Compte tenu d’une répartition spatiale toujours inégalitaire des activités économiques et innovantes en France, on peut s’interroger sur l’applicabilité réelle de cette théorie. Il semble plutôt que les pôles de compétitivité aient eu pour effet de créer une hiérarchie au sein de l’espace, qualifiée par Garnier (1989) d’opposition entre les villes « superstar » et le reste de la France.

Les déterminants locaux de l’innovation

Selon une étude de l’Insee, les déterminants de l’innovation au niveau régional sont la taille, les partenariats, l’aide financière publique, une main-d’œuvre qualifiée, la proximité géographique et l’étendue du marché (Buisson, 2012). La capacité interne et la connectivité externe déterminent donc le potentiel d’innovation d’un lieu.

Le phénomène des « cathédrales dans le désert », une expression de Lipietz utilisée pour la première fois en 1980 pour désigner des pôles isolés sans liens extérieurs, souligne la nécessité pour ces sites de ne pas se concentrer uniquement sur leurs capacités internes. Cependant, une étude réalisée par Delaplace en 2012 sur les TGV français montre, pour sa part, que la connectivité externe ne peut pas non plus, à elle seule, améliorer l’attractivité d’un lieu. De nouvelles liaisons ferroviaires pour les villes de petite taille et de taille moyenne ont des effets limités par rapport aux villes de plus grande taille. Cela tient au potentiel d’utilisation qui est bien supérieur pour des sites déjà attractifs. Par conséquent, même si la connectivité externe ne doit pas être sous-estimée, il ne faut pas non plus la considérer comme une fin en soi en termes de promotion de l’attractivité.

La réhabilitation de la gare de Saint-Omer (France) montre bien la complémentarité entre les liens externes et la capacité d’innovation interne. La gare désaffectée de Saint-Omer doit être remise en service et devenir ainsi un outil de promotion de l’attractivité du territoire. Cette initiative a également pour but de transformer la gare en un lieu de travail et d’innovation. Pour ce faire, la «Station » abritera, sur une surface totale de 3 000 m², un espace de coworking, un « Fab lab » proposant une formation gratuite aux outils numériques et à la robotique, ainsi qu’un incubateur d’entreprises et un musée sur la digitalisation.

Ce projet témoigne du potentiel qui s’offre aux villes dans le développement de pools d’innovation. Saint-Omer, déjà dotée d’infrastructures, est une petite agglomération, desservie par 56 trains par jour et plus de 800 000 navetteurs annuels (Allix, 2019). Les commodités et services publics locaux ainsi que les acteurs locaux doivent être largement associés au projet de développement pour que de telles initiatives soient réellement adaptées au territoire concerné.

La polarisation de l’espace

Des processus naturels d’agglomération, conjugués à des politiques publiques visant à promouvoir le regroupement d’activités, ont abouti à une forte polarisation de l’espace. Les processus de désertification des régions, au profit des villes, ont exacerbé les disparités régionales en termes de production, d’innovation et d’emploi.

Les travailleurs qualifiés se sont concentrés dans les villes, attirés par la multiplicité d’opportunités, les infrastructures dédiées et la présence d’autres acteurs de l’innovation. L’économie de l’information a privilégié les lieux offrant une forte concentration de diplômés de l’enseignement supérieur, servant, au final, les intérêts des grandes aires urbaines (Davezies et Pech, 2014). Le progrès technique biaisé envers les emplois les plus qualifiés a ainsi créé un marché du travail polarisé au sein des zones urbaines, avec en fin de compte des répercussions sur les disparités régionales. Alors que les nouvelles technologies peuvent se substituer à la main-d’œuvre semi-qualifiée, les emplois faiblement et hautement qualifiés sont plus difficiles à automatiser. Avec l’augmentation du coût d’opportunité des travailleurs hautement qualifiés en raison de salaires plus élevés, des activités telles que les travaux ménagers sont externalisées au profit de travailleurs faiblement qualifiés. Les salaires se situant en bas de l’échelle de distribution sont donc de plus en plus liés à ceux qui se situent dans la partie supérieure. Cela a pour effet de tirer les différentiels de salaires vers le haut sur l’ensemble de la distribution des revenus dans les villes, exacerbant ainsi les déséquilibres par rapport aux zones non urbaines.

Avec l’opposition classique entre zones rurales et zones urbaines, de nombreuses études ont été consacrées aux disparités régionales, mais la question des inégalités intra-urbaines fait désormais l’objet d’une plus grande attention. Avec deux tiers des ménages vivant en dessous du seuil de pauvreté dans des zones urbanisées (Aerts et al., 2015), les villes françaises sont extrêmement inégales. L’écart manifeste entre travailleurs faiblement et hautement qualifiés a conduit à des « effets de tri », comme le démontrent Berkes et Gaetani (2019). Les personnes occupant un emploi hautement qualifié se regroupent à proximité de leur lieu de travail, ce qui entraîne une hausse des coûts des commodités et services dans ces zones urbaines spécifiques. Conséquence, un processus de ségrégation par le revenu s’est mis en place. Celui-ci renforce la concentration des qualifications élevées en un même lieu et évince les individus à faibles qualifications. Les effets d’amplification liés aux externalités de connaissances viennent renforcer les avantages dont bénéficient les quartiers plus aisés des villes. Berkes et Gaetani (2019) estiment que 20 % environ de la croissance de la ségrégation par le revenu dans les villes américaines peuvent être imputés au développement de l’innovation. La plus grande mobilité offerte dans les villes a également contribué à accentuer la ségrégation sociale entre les quartiers des aires urbaines. Les ménages modestes sont contraints de vivre à la périphérie des villes, où les loyers ont tendance à être plus bas (cf. graphique 2). Face à une organisation aussi disparate de l’espace, il convient de promouvoir une répartition du territoire plus inclusive.

Verdir les villes

La responsabilité des villes

Le changement climatique est imputable en grande partie à l’urbanisation. Alors que cette dernière est extrêmement limitée en termes d’occupation totale des sols (environ 4 %), les villes ne consomment pas moins de 80 % de l’énergie globale et représentent 80 % des émissions de gaz à effet de serre (Banque mondiale, 2010). Le phénomène des îlots de chaleur urbains (ICU) illustre parfaitement la matérialisation du changement climatique dans les villes. La température en zone urbaine a tendance à être plus élevée (de 3,5 à 4,5°C) qu’en zone rurale, l’écart pouvant atteindre 10°C dans les grandes villes (OCDE, 2010). Plusieurs facteurs expliquent ces différences de température entre zones urbaines et zones rurales voisines : les surfaces couvertes par la végétation et par l’eau sont moins importantes en ville et les immeubles et routes asphaltées « piègent » le rayonnement solaire. Les pics de température de l’été 2019 en France, avec un niveau record de 43°C à Paris, sont la concrétisation de cet effet ICU. L’élévation de la température accroît la concentration des polluants atmosphériques et aggrave les dommages environnementaux ainsi que les risques pour la santé. De plus, ces îlots de chaleur urbains nourrissent des cercles vicieux : plus la température grimpe, plus il y a de climatiseurs en circulation et plus la consommation d’énergie augmente dans les villes. L’inefficacité en termes d’énergie, de bâtiments et de transports constitue autant de domaines d’action pour rendre le développement urbain plus durable. Des décisions spécifiques en matière d’aménagement urbain peuvent également être prises pour promouvoir des formes d’urbanisation moins polluantes. Les villes ont les outils et les capacités nécessaires pour devenir le fer de lance de la lutte contre le changement climatique.

Marge de manœuvre

Les villes disposent d’une plus grande marge de manœuvre pour devenir des pôles écologiques et jouer un rôle déterminant dans la transition environnementale. En tant qu’importants pollueurs, une légère diminution de leurs niveaux d’émission aurait des effets importants sur l’équilibre environnemental global d’un pays. Les villes consomment 80 % de la production mondiale d’énergie (Banque mondiale, 2010). Aussi l’adoption de politiques en faveur d’une utilisation plus efficace de l’énergie constitue-t-elle un levier majeur pour rendre les villes plus durables. Les immeubles commerciaux et résidentiels, les réseaux de transport, le traitement des déchets ainsi que l’éclairage public figurent parmi les sources de consommation d’énergie les plus voraces en zone urbaine. Or, pour y remédier, les villes disposent d’économies d’échelle. Le doublement de la population d’une ville lambda implique un accroissement d’environ 85 % des infrastructures physiques (câbles électriques, canalisations, réseau routier…) selon une étude de Bettencourt et al., réalisée en 2007. Pour s’agrandir et se développer, les villes peuvent donc recourir à des stocks d’infrastructures d’une taille proportionnellement plus limitée et à une moindre consommation d’énergie. L’exploitation de ces économies d’échelle passe par des politiques et des efforts spécifiques en matière d’aménagement urbain.

Concernant les bâtiments, il existe plusieurs façons de les rendre plus respectueux de l’environnement. La promotion de formes moins massives et plus propices à une ventilation naturelle et à la pénétration de la lumière du jour peuvent permettre de réduire sensiblement l’utilisation de la climatisation et de l’éclairage artificiel. L’optimisation des ratios de surfaces vitrées peut aussi avoir des conséquences sur la réduction au minimum de la demande d’énergie. Des études montrent que dans des régions à climat tempéré, la surface vitrée rapportée à celle des murs doit être d’environ 20 %, alors que dans des climats plus chauds, il est recommandé de ramener ce ratio à 10 % (Alwetaishi, 2017). Ces ratios sont assez bas, car de grandes baies vitrées provoquent des gaspillages d’énergie et un surcroît de chaleur dû à l’exposition aux rayons du soleil.

La rénovation des bâtiments est une priorité pour n’importe quelle ville écoresponsable. En France, l’un des objectifs du gouvernement est que ses 35 millions de logements obtiennent le label « Bâtiment Basse Consommation ». Avec 7,5 millions d’habitations aujourd’hui classées F ou G (soit les plus énergivores sur l’échelle de performance énergétique), il reste beaucoup à faire pour que le stock de bâtiments de l’Hexagone soit durable. La Loi du 8 novembre 2019 relative à l’énergie et au climat a introduit l’obligation pour les ménages d’effectuer des travaux d’amélioration pour que tous les logements atteignent au moins la catégorie E sur l’échelle de performance énergétique à l’horizon 2028. Alors que le patrimoine bâti constitue un levier-clé pour la transition écologique, le délai accordé pour entreprendre les travaux ainsi que les sanctions envisagées en cas de non-respect de cette obligation semblent peu contraignants au regard des gains potentiels. Ces ambitions témoignent néanmoins du rôle de plus en plus central que joue la performance énergétique des bâtiments dans la lutte contre le changement climatique. Le patrimoine bâti des zones urbaines est disproportionné par rapport à celui des zones périurbaines et rurales, et les logements individuels ont tendance à être plus polluants que les bâtiments résidentiels. De plus, une étude de Maury et Gilbert (2015) a révélé l’existence de fortes inégalités territoriales en termes de précarité énergétique[1] et de vulnérabilité énergétique[2], qui touchent 22 % de la population française. Plus les territoires sont éloignés des pôles urbains, plus le risque de vulnérabilité énergétique augmente, atteignant un maximum de 9,5 % dans les zones rurales à l’écart de toute influence urbaine, soit 3,5 fois plus que la moyenne nationale (Davezies et Rech, 2014). Pour que les logements soient durables, ils doivent être construits là où le préjudice écologique sera le plus faible. En permettant la construction de logements plus économes, les villes ont le potentiel pour devenir des acteurs-clés d’un mode de vie plus écologique.

Les transports constituent également une infrastructure-clé dans la marche vers la transition écologique des villes. Compte tenu du large éventail d’options dont elles disposent par rapport aux zones périurbaines et rurales, les villes possèdent une marge de manœuvre bien plus grande pour promouvoir une mobilité durable. Les véhicules personnels consomment deux fois plus d’énergie par passager et par kilomètre que le train et près de quatre fois plus que l’autocar (Steemers, 2003). Une politique d’incitations en faveur des transports en commun et aux dépens des véhicules particuliers peut avoir d’importantes conséquences sur la consommation totale d’énergie et sur les émissions. Les villes sont en mesure de rendre les réseaux de transport plus efficaces en termes de connectivité, de vitesse et de coûts, et d’inciter leurs habitants à préférer les déplacements partagés plutôt que privés. À défaut d’un tel système de transports publics performant, l’accroissement de la population et de la taille des villes ne fera qu’aggraver les problèmes de circulation et de pollution. C’est l’un des principaux défis liés à l’étalement urbain. En 2018, les Franciliens étaient 0,4 million à se rendre à leur travail en voiture dans Paris intra-muros, 3,3 millions dans la petite couronne et 8,5 millions dans la grande couronne (OMNIL, 2019). S’agissant de la métropole Aix-Marseille, environ 77 % de la population vivant dans les zones périurbaines de la cité phocéenne n’ont pas accès aux transports en commun, 14 % ont un accès limité au réseau de transport et 2 % seulement ont un accès élevé (Poelman et Dijkstra, 2014). Il y a manifestement urgence à rendre les transports en commun plus inclusifs et plus efficaces face aux réalités des villes tentaculaires. La densification des villes et le renforcement de leur connectivité peuvent faciliter l’utilisation des transports en commun et les déplacements domicile-travail plus courts et plus rapides (OCDE, 2012). Une plus grande accessibilité aux réseaux de transport a des avantages évidents non seulement pour la durabilité écologique, mais aussi pour la promotion des économies d’agglomération et l’atténuation des inégalités. Le rapprochement géographique des personnes renforce le dynamisme positif dont bénéficient les villes tout en réduisant la facture énergétique.

Villes compactes

De nombreuses initiatives existent pour rendre les villes moins énergivores, un objectif majeur. L’aménagement urbain permet d’agir sur ces différents leviers à la fois. Les politiques d’urbanisme traditionnelles ont encouragé l’étalement urbain, qui s’est avéré largement incompatible avec des formes d’urbanisation plus productives, plus innovantes et plus durables. Afin d’inverser ces tendances, il convient de promouvoir une plus grande densification urbaine. Les villes compactes apparaissent depuis peu comme l’archétype de la ville durable. Elles se caractérisent par une plus grande densité résidentielle, un aménagement mixte de l’espace ainsi qu’une meilleure accessibilité aux services urbains. Une ville compacte n’est pas nécessairement synonyme de petite ville : ce type d’approche privilégie une plus forte densité plutôt qu’un développement plus dispersé en réponse à la croissance démographique. Elle n’implique pas non plus un modèle monocentrique : polycentrisme et urbanisation compacte sont largement compatibles, pour autant que les différents centres soient efficacement reliés entre eux par des transports en commun performants.

L’utilisation mixte de l’espace implique la localisation conjuguée d’activités résidentielles et commerciales, d’espaces verts et d’immeubles de bureaux. Une telle combinaison d’activités permet de diversifier la demande énergétique, et tend ainsi à éviter les pics de consommation dans la ville tout en préservant des espaces urbains ouverts. Un meilleur accès aux commodités et aux services favorise les contacts directs entre les personnes et limite la ségrégation résidentielle. Des réseaux de transport plus développés et performants, ainsi que des aménagements limités pour l’usage des véhicules particuliers sont de nature à encourager le recours aux modes de transport partagés. Certaines études empiriques montrent par ailleurs que les villes-centres qui limitent le trafic ont tendance à être dans une meilleure situation économique que celles dont les politiques de stationnement sont plus accommodantes (Kenworthy, 2006), la principale explication étant l’atténuation des problèmes liés à la pollution et à la congestion.

L’aménagement de villes compactes permet de bénéficier d’économies d’échelle en matière de construction et de maintenance des infrastructures. Les réseaux d’approvisionnement et d’assainissement de l’eau, les routes, les immeubles et les transports publics utilisent moins d’énergie dans une ville que dans un schéma plus dispersé. En limitant l’étalement urbain, la ville compacte limite également l’érosion des sols et les pertes de biodiversité. La densification des villes contribue à préserver les espaces verts à l’intérieur comme à l’extérieur des zones urbaines, en limitant la transformation de zones agricoles en nouvelles composantes de la ville. Le Schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF) a précisément adopté une logique de compacité urbaine. Le développement urbain est encouragé au profit de lieux déjà desservis par les transports en commun en vue de renforcer la densité et la connectivité existantes. Le Schéma directeur fait également obligation aux communes de fixer des objectifs de densité. Le but est de limiter la construction d’infrastructures au sein des espaces ouverts préservés de la région.

Séduisantes en théorie, les villes compactes ne se heurtent pas moins à des défis dans la pratique. L’accessibilité et la qualité de vie constituent à cet égard les principaux sujets de préoccupation. Concernant l’accessibilité, la théorie du gradient de rente foncière (cf. graphique 2) montre que l’augmentation de la densité et de la population génère une hausse de la rente dans toute la ville. L’inclusion peine à se concrétiser dans la mesure où moins de personnes peuvent accéder aux zones urbaines et à leurs commodités. S’agissant de la qualité de vie, une forte proximité porte aussi atteinte à la vie privée de même qu’à la disponibilité d’espaces verts. Ces questions font tout le paradoxe du modèle des villes compactes : d’un côté, celles-ci doivent être très denses pour être durables et, de l’autre, plus dispersées pour être habitables. Une fois encore, les villes sont le résultat d’arbitrages dont découlent leur taille et leur densité optimales. Cependant, pour atteindre cet équilibre, il est essentiel de limiter les inefficiences urbaines. Le potentiel d’amélioration des villes réside dans une meilleure connectivité, une utilisation plus efficace des sols et une diminution de la consommation d’énergie. Les villes peuvent être les fers de lance de la transition énergétique et écologique, et c’est à leur échelle que les efforts doivent être optimisés.

Villes intelligentes

Dans la continuité du modèle de ville compacte, les villes intelligentes apparaissent comme une forme d’urbanisation moderne et connectée. Elles se fondent sur l’utilisation des technologies de l’information et des communications (TIC) en vue d’améliorer la qualité et l’efficacité des services urbains à un coût modéré. La collecte centralisée des données permet d’améliorer et d’adapter les services urbains aux besoins locaux en temps réel. De nombreuses initiatives de ce type ont fleuri partout dans le monde. Le cas d’Issy-les-Moulineaux en France est à cet égard très intéressant compte tenu de la digitalisation rapide de la ville. Issy-les-Moulineaux a, au préalable, opté pour une organisation compacte de la ville avec une diversité d’utilisation des sols entre logements, zones commerciales, espaces verts et bureaux. Ensuite, pour réduire la congestion et la pollution, des systèmes souterrains connectés ont été mis en place en vue de remplacer les camions à ordures ménagères. La gestion de l’énergie a été centralisée et l’utilisation des nouvelles technologies a permis une distribution plus judicieuse de l’électricité dans toute la ville. La production d’énergie étant adaptée aux besoins en énergie en temps réel, cela évite les pics de consommation. Des capteurs ont été installés dans toute la ville pour permettre un éclairage modulable des rues en fonction de la présence ou non de piétons ou de véhicules ainsi que pour répertorier et réserver à l’avance les emplacements de parking disponibles, grâce à une application sur téléphone portable[3].

Les villes sont particulièrement bien équipées pour développer de telles solutions grâce à leurs fortes capacités d’innovation et aux économies d’échelle liées à la production d’infrastructures. S’agissant de la région Paris–Île-de-France, Cap Digital et Advancity[4] ont regroupé leurs activités pour devenir le premier pôle européen de la ville du Futur. Avec plus de 800 start-up et petites et moyennes entreprises, 70 laboratoires de recherche, écoles et universités, et la participation de 8 collectivités territoriales, le cluster soutient les projets de R&D pour des villes plus durables, plus inclusives et vivables.

Territoires déshérités : dommage collatéral de l’urbanisation

L’urbanisation a été extrêmement bénéfique dans une multiplicité de secteurs et pour un grand nombre de personnes, mais les problèmes d’inégalités intra-urbaines et de disparités régionales nuancent toutefois ce tableau. Les forces d’attraction des aires urbaines ont engendré une forte concentration en ville de la production, des capacités d’innovation, de l’emploi et des ressources humaines, mais aussi des services publics, des équipements de proximité et des infrastructures numériques. Cette forme d’organisation territoriale a créé un fossé entre les espaces urbains et les autres. Aussi l’OCDE a-t-elle insisté sur la nécessité d’implémenter des politiques publiques efficaces pour
« mettre les villes au service de tous» (OCDE, 2016).

Géographie du mécontentement

Les mouvements de protestation observés dans plusieurs villes du monde entier dessinent une nouvelle ‘géographie du mécontentement’. Introduite par McCann en 2016, cette expression désigne une répartition géographique selon laquelle les populations habitant des lieux dont la croissance est fragilisée, voire déclinante, éprouvent un fort ressentiment à l’égard de territoires plus performants. Ce mécontentement a, certes, de solides racines économiques, mais il s’explique aussi dans une large mesure par des fractures territoriales de plus en plus marquées.

En France, l’Institut des politiques publiques a analysé la configuration des mouvements sociaux au regard de variables territoriales (accessibilité, mobilité, distance entre le lieu de travail et le logement). Les résultats de cette analyse montrent que les questions d’accessibilité sont étroitement corrélées aux mobilisations, à la fois en ligne et en personne (Boyer et al., 2019). Cela illustre à nouveau dans quelle mesure les temps de trajet quotidiens constituent un frein à la mobilité.

Le phénomène de l’inadéquation géographique entre le domicile et le lieu de travail vient aggraver les problèmes d’accessibilité et de ségrégation par le revenu. L’emploi est fortement concentré dans les villes et encore plus dans certains quartiers spécifiques de ces dernières. Alors que Paris compte 1,76 emploi pourvu par travailleur, ce chiffre tombe à 0,97 dans la petite couronne et à 0,75 dans la grande couronne (Gobillon et Selod, 2004). La distance au quartier d’affaires est négativement corrélée à l’information disponible sur les emplois vacants (Rogers, 1997) et positivement corrélée aux coûts liés à la recherche d’emploi (Ortega, 2000), ce qui explique un accès plus difficile au marché du travail au fur et à mesure que l’on s’éloigne. Ce phénomène est amplifié par les connexions insuffisantes des transports publics entre les zones périurbaines et rurales et le centre-ville ainsi que par les difficultés pour les personnes à bas revenus d’acquérir une voiture (Gobillon et Selod, 2004).

Aider les territoires laissés pour compte

Plus l’on s’éloigne des villes, plus les zones riches tendent à se raréfier et les zones pauvres à se multiplier (Maurey et de Nicolay, 2017). On a longtemps considéré que la prospérité et le développement des villes allaient «ruisseler » vers le reste du territoire. Or, le constat largement partagé est que les disparités régionales ont persisté et se sont même renforcées avec la mondialisation et l’essor des TIC. Pour intégrer les territoires oubliés dans le processus général de croissance, il convient d’améliorer l’accessibilité aux zones prospères et d’encourager davantage le développement endogène local.

En dotant ces territoires des liaisons nécessaires pour un accès facilité aux villes, la mobilité physique de leurs habitants s’en verra améliorée, avec des répercussions directes sur la mobilité sociale. Cela a de fortes implications pour l’organisation des réseaux de transport ferroviaire, le lieu de résidence pouvant constituer un lourd handicap en l’absence d’une gestion appropriée. Le déterminisme territorial doit être adressé par les politiques publiques. Au-delà de la mobilité physique, les lieux isolés doivent également être dotés de leurs propres commodités pour être performants, habitables et davantage autosuffisants. Plusieurs initiatives ont été lancées par le gouvernement français, mais nombre d’entre elles n’en sont qu’à leurs débuts.

Le Plan France Très Haut Débit, lancé en 2013, a été jugé crucial pour combler la fracture numérique qui ne cesse de se creuser : il vise à couvrir l’intégralité du territoire français en très haut débit d’ici 2022. L’accès à une connexion internet et aux réseaux mobiles reste très poreux en France, où coexistent des zones blanches et des zones hautement connectées. L’accès au numérique dans les zones à faible densité est, en effet, bien plus faible que dans les grandes villes (Monchatre, 2019). Pour atteindre ses objectifs à horizon 2022, le Plan France Très Haut Débit doit cependant multiplier par deux ses recrutements (Banque des Territoires, 2019). Alors que les démarches administratives sont de plus en plus numérisées dans le cadre du plan Action Publique 2022[5], l’accès à une connexion internet devient de plus en plus un facteur discriminant qui alimente les disparités territoriales.

Dans une plus large mesure, l’accès global aux services publics dépend fortement du lieu de résidence. La densité élevée des villes offre des économies d’échelle pour la mise en œuvre des services publics ; leurs habitants peuvent ainsi bénéficier d’un accès facilité à ces commodités. Dans les villes de petite taille et les villes moyennes comme dans les zones rurales et périurbaines, la situation peut être très différente.

Pour remédier à ces problèmes, les moyens financiers des autorités locales jouent un rôle-clé. Rodriguez-Pose et Ezcurra (2009) soulignent que, dans les pays développés, la décentralisation budgétaire a des implications très prometteuses en termes de convergence économique. L’action publique à l’échelle locale permet aux dépenses publiques de mieux répondre aux besoins disparates des territoires qu’une approche descendante (top-down).

Les politiques françaises plus récentes privilégient de plus en plus les approches ascendantes (bottom-up) et fournissent une aide davantage adaptée aux acteurs locaux. Dans le cadre de la politique intitulée
« Territoires d’Innovation », le projet Biovallée de la région Auvergne-Rhône-Alpes assure la promotion de solutions de transition pour les zones rurales. Le développement de la production énergétique locale, l’agriculture biologique et des programmes de formation qui répondent aux besoins locaux en termes de qualification figurent parmi les principales propositions faites pour innover en dehors des villes-clusters.

Redéfinir le potentiel des villes

Le développement des villes a engendré des disparités importantes entre les zones urbanisées et leurs voisines. Dans la lutte contre ces disparités, en France l’accent a été mis sur les zones prospères dans l’espoir que les populations environnantes bénéficient d’effets d’entraînement. Les politiques descendantes mises en œuvre de manière uniforme ont encouragé une approche centralisée à des problèmes régionaux spécifiques. La promotion des villes doit perdurer, mais leur potentiel doit être redéfini pour en faire des moteurs de durabilité et d’inclusion.

Les villes comme moteurs de durabilité et d’inclusion

L’urbanisation peut devenir un processus bénéfique pour la population dans son ensemble, quel que soit le lieu de résidence. Le problème de l’accessibilité a été largement abordé et il est essentiel de le régler pour que tous les habitants aient un accès égal aux commodités et opportunités offertes par les villes. Par le biais d’un zonage plus inclusif dans les villes, chacun, indépendamment de son revenu, aurait la possibilité de s’installer dans les zones productives et bien connectées des villes. La politique du logement apparaît donc parfaitement complémentaire de la politique des transports.

Les grandes villes souffrent d’un marché du logement déséquilibré avec une raréfaction de l’offre et une demande durablement élevée (APUR, 2007b). La situation est encore plus complexe pour les ménages modestes. Dans les métropoles, la demande de logements sociaux est nettement plus élevée qu’ailleurs avec une seule attribution de logement, en moyenne, pour six demandes (APUR, 2007b). Concernant la région Paris–Île-de-France, 6 % des communes, situées principalement hors de la ville-centre, concentrent la moitié du patrimoine régional de logements sociaux (APUR, 2007a). Les ménages à bas revenus vivant dans ce type d’habitat sont donc regroupés dans des quartiers éloignés de la métropole. Or, la combinaison d’une faible mobilité et d’un éloignement des bassins d’emploi, situés dans la ville-centre (Guilluy, 2014), a des conséquences en termes d’inégalités. La politique du logement social peut alors avoir, de par une concentration spatiale excessive des logements sociaux, des effets indésirables en rendant plus difficile l’accès au marché de travail urbain.

S’attaquer aux problèmes de la pénurie d’emplois et de la répartition spatiale de l’offre permettrait de rendre les villes plus inclusives et plus accessibles aux ménages à bas revenus, et ainsi de promouvoir une plus grande mixité sociale dans les grandes villes et remédier aux problèmes de l’étalement urbain. Selon APUR (2007a), la construction d’un habitat social inclusif et durable nécessite de mobiliser les logements vacants et de mener des campagnes de renouvellement urbain. La densification des villes implique, en outre, un meilleur accès aux bassins d’emploi pour les ménages aux revenus modestes. Le modèle de la ville compacte peut, par conséquent, améliorer l’inclusion des villes au-delà de leur durabilité, dès lors que l’habitat social est pleinement pris en compte dans les efforts d‘utilisation mixte de l’espace.

Permettre à des ménages avec des tranches de revenus différentes d’accéder aux grandes villes par la mise en œuvre de politiques du logement et de transport appropriées devient un vecteur de promotion d’égalité des chances. Les aires urbaines offrent non seulement plus d’emplois et plus de services publics, mais favorisent aussi l’ascension sociale et l’amélioration du niveau de vie. La densité de l’offre sociale et éducative ainsi que des offres d’emplois produit l’effet d’une assurance sociale pour les travailleurs (Guilluy, 2014).

Le futur des politiques de développement

Les politiques publiques doivent conjuguer des approches adaptées au milieu et des approches adaptées aux personnes afin d’exploiter le potentiel des territoires laissés pour compte (Rodríguez-Pose, 2018) et offrir une mobilité suffisante à leurs habitants afin de leur permettre l’accès aux opportunités (Banque mondiale, 2009). Les pays européens présentent une moindre mobilité et ont, par conséquent, vu les inégalités territoriales s’aggraver (Rodríguez-Pose et Lee, 2013). Inverser une telle réalité permettrait d’améliorer considérablement le potentiel des villes comme pôles d’innovation, d’écologie et d’emploi tout en limitant les déséquilibres territoriaux qui en découlent. Ceci contribuerait à une croissance qui serait plus inclusive. Selon Maurey et de Nicolay (2017), pour atteindre cet objectif, la priorité doit être donnée aux gains de bien-être général plutôt qu’à la rentabilité économique générée par les investissements publics dans les infrastructures et les réseaux de transport). Par ailleurs, la durabilité pourrait devenir une caractéristique-clé des villes modernes si on poursuivait les efforts visant à rendre les villes plus écologiques par la rénovation des infrastructures et la planification de villes compactes et intelligentes.


[1] Loi du 12 juillet 2010. Précarité énergétique : « Est en situation de précarité énergétique (…) une personne qui éprouve dans son logement des difficultés particulières à disposer de la fourniture d’énergie nécessaire à la satisfaction de ses besoins élémentaires en raison de l’inadaptation de ses ressources ou de ses conditions d’habitat. »

[2] Ducharne et Van Lu, 2019. Vulnérabilité énergétique : «?Est en situation de vulnérabilité énergétique un ménage qui consacre au moins 8,2 % de son revenu disponible aux dépenses d’énergie pour son logement, ce qui correspond au double du taux d’effort énergétique national médian?»

[3] https://somobility.fr

[4] https://advancity.capdigital.com/

[5] Action publique 2022 : l’objectif est de rendre 100 % des démarches administratives accessibles en ligne à l’horizon 2022, y compris sur smartphones

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE

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