Eco Conjoncture

Les grandes banques portugaises face aux taux bas

22/12/2019
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Pour la première fois depuis 2010, les cinq plus grandes banques portugaises ont renoué avec les bénéfices en 2018. Une baisse des charges d’intérêts plus rapide que celle des produits d’intérêts, ainsi qu’une stricte maîtrise des frais généraux et du coût du risque sont les principaux facteurs à l’origine de ce retour à la rentabilité. L’élargissement de la marge nette d’intérêt a compensé la baisse de l’encours des prêts bancaires, augmentant les revenus nets d’intérêts. Toutes choses égales par ailleurs, la baisse des taux a aussi contribué à la réduction du coût du risque et à l’assainissement des bilans bancaires. L’encours et le ratio des prêts non performants des grandes banques portugaises ont ainsi été réduits de moitié mais demeurent à des niveaux élevés. L’évolution récente du compte de résultat des plus grandes banques portugaises met en évidence, notamment, certains effets des taux bas sur un système bancaire principalement orienté vers les activités de détail et qui octroie surtout des prêts à taux variable.

Le retour à la rentabilité des cinq plus grands groupes bancaires portugais[1] en 2018 a procédé principalement d’une réduction de leurs charges d’intérêts plus rapide que celle de leurs produits d’intérêts ainsi que d’une baisse de leurs frais généraux et du coût du risque. Cette diminution des coûts est notamment intervenue dans le contexte du programme d’ajustement macroéconomique négocié en avril 2011 entre le Portugal, d’une part, et la Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) ainsi que le Fonds monétaire international, d’autre part[2]. En contrepartie d’une autorisation de crédit de EUR 78 milliards, dont seulement un tiers (EUR 26 milliards) a été décaissé, le Portugal devait mener à bien des réformes ayant principalement pour objet de rétablir une politique budgétaire soutenable, de résorber les déséquilibres internes et externes et de stabiliser le secteur financier. Le Portugal est sorti de ce programme en juin 2014.

La stabilisation du secteur financier a, entre autres mesures, été permise par la recapitalisation de plusieurs établissements dont Millennium BCP (Banco Comercial Português), Banco BPI et la Banco Internacional do Funchal (Banif) pour un montant total de EUR 6 milliards. La Caixa Geral de Depósitos a également été recapitalisée (EUR 1,6 milliard) au cours du programme d’ajustement mais l’opération a été imputée au budget de l’Etat portugais qui en est l’unique actionnaire. La résolution de l’ancienne Banco Espírito Santo, devenue Novo Banco pour sa partie saine, est intervenue après la fin du programme, en août 2014.

La stabilisation du secteur financier portugais ne s’est pas accompagnée d’une forte consolidation de son système bancaire. Selon les chiffres de la BCE, le nombre d’établissements de crédit au Portugal est passé de 162 en septembre 2010 à 149 en novembre 2019. Aucune fusion/acquisition d’envergure n’est intervenue durant cette période. La modeste consolidation du système bancaire portugais au cours de la période la plus récente s’explique, notamment, par un degré de concentration préalablement élevé. En effet, au cours de la dernière décennie, les cinq plus grands groupes bancaires portugais concentraient une part relativement élevée (environ 80%) et stable des actifs totaux consolidés du système bancaire domestique[3]. Ce degré de concentration découle notamment d’une précédente période de consolidation initiée au milieu des années 1980, qui a ensuite été amplifiée par la transposition en droit portugais de la deuxième directive bancaire de la Communauté économique européenne[4]. Actuellement, les trente-deux banques universelles et commerciales dominent le marché en termes d’actifs totaux face aux quatre-vingt-six caisses mutualistes de crédit agricole (caixas de crédito agrícola mútuo). Les banques portugaises sont, dans une large mesure, orientées vers les activités de banque de détail : octroi de prêts, collecte de dépôts et mise à disposition de services de paiement auprès d’une clientèle de particuliers, de professionnels et de petites et moyennes entreprises.

L’étude de l’évolution récente du compte de résultat des plus grandes banques portugaises permet, notamment, de mettre en évidence certains effets des taux bas sur un système bancaire principalement orienté vers les activités de détail et qui octroie surtout des prêts à taux variable. La baisse de l’encours des actifs bancaires a ainsi été compensée par l’élargissement de la marge nette d’intérêt attribuable, à une baisse plus rapide des charges d’intérêts que celle des produits d’intérêts. En outre, la baisse des taux a contribué, toutes choses égales par ailleurs, à la réduction du coût du risque qui a retrouvé, en 2018, son niveau d’avant 2007. Le ratio des prêts non performants a été réduit de moitié depuis son pic au deuxième trimestre 2016, à la faveur d’une baisse de même ampleur de leur encours. En dépit d’une rentabilité toujours faible, les ratios de solvabilité ont poursuivi leur redressement grâce à la réduction des actifs pondérés des risques. La période de baisse des taux d’intérêt a temporairement amélioré la situation globale des grandes banques portugaises. Pourtant, la prolongation des taux bas est de nature à produire à moyen terme des effets moins favorables sur la dynamique des revenus bancaires ainsi que sur celle des risques, surtout dans la perspective d’un tassement de la croissance.

La baisse plus rapide des charges d’intérêts que celle des produits d’intérêts a contribué à stabiliser les PNB

Le produit net bancaire (PNB) des cinq plus grands groupes bancaires portugais affiche une certaine stabilité depuis 2017 (cf. tableau 1). A l’issue de huit années consécutives de baisse, il s’élevait à EUR 6,5[5] milliards en 2018, contre EUR 6,8 milliards en 2017. Ce niveau demeure toutefois relativement faible dans une perspective historique puisqu’il excédait EUR 10 milliards entre 2007 et 2010 après plusieurs années de croissance. Le PNB annualisé est du même ordre pour les trois premiers trimestres 2019[6]. Cette stabilisation du PNB des banques portugaises est essentiellement attribuable à la progression continue depuis 2015 de leurs revenus nets d’intérêts.

Compte de résultat agrégé des cinq plus grands groupes bancaires portugais

La baisse du rendement des actifs et de leur encours ont réduit les produits d’intérêts

La politique monétaire accommodante de la Banque centrale européenne a conduit, depuis 2012, à une diminution régulière des taux d’intérêt appliqués aux prêts au secteur privé non financier au Portugal. Pourtant, cette baisse des taux ne s’est pas accompagnée d’une augmentation de l’encours des prêts bancaires. Ce dernier a reculé de près d’un tiers en dix ans.

Les taux des prêts au secteur privé non financier ont atteint un niveau historiquement bas

Toutes choses égales par ailleurs, la faiblesse actuelle des taux a contribué à la réduction des produits d’intérêts des banques portugaises. A l’exception des taux appliqués aux nouveaux découverts des ménages, ceux appliqués à tous les autres nouveaux prêts ont globalement baissé depuis avril 2012. Ils ont ainsi presque tous atteint leur plus bas niveau au cours de la période d’observation en septembre 2019 (cf. graphique 1).

Théoriquement, à mesure que de nouveaux prêts plus faiblement rémunérés que les précédents prennent une part croissante dans le bilan des banques, voire s’y substituent, les produits d’intérêts diminuent, à encours de prêts constant. Dans le cas des banques portugaises, l’effet défavorable sur leurs produits d’intérêts d’une baisse des taux est renforcé par la proportion des prêts à taux variable qu’elles ont accordés.

Les taux d'intérêt des nouveaux prêts bancaires au SPNF diminuent globalement

Ces derniers doivent s’ajuster contractuellement à la baisse, ce qui réduit d’autant les intérêts perçus par les banques sur les encours. En moyenne, entre septembre 2009 et septembre 2019, 85% des nouveaux prêts immobiliers accordés par les banques aux ménages résidents l’étaient à taux variable contre 26% en moyenne dans la zone euro, 14% en Allemagne et 6% en France[7]. Dans les systèmes bancaires caractérisés par un recours plus important au taux fixe, l’effet de la baisse des taux sur les produits d’intérêts dépend plus fortement de la duration du portefeuille ; plus celle-ci est longue, plus l’ajustement des produits d’intérêts des banques aux taux bas s’étale dans le temps.

L’encours des prêts bancaires au secteur privé non financier a diminué de près d’un tiers en dix ans

Après avoir culminé à EUR 264 milliards en juin 2011, l’encours des prêts bancaires au secteur privé non financier, s’est contracté jusqu’en mai 2019 à EUR 188 milliards, soit une baisse de 29%. Il a ainsi retrouvé un niveau comparable à celui d’octobre 2005 (cf. graphique 2). La baisse des taux n’a donc pas entraîné d’effet volume durant cette période. La forte dégradation de la conjoncture ainsi que le niveau d’endettement initialement élevé des ménages (cf. infra) en constituent les deux raisons principales.

L'encours des prêts au secteur privé non financier a été ramené à son niveau de 2005

La baisse de l’encours des prêts bancaires au secteur privé non financier au Portugal procède, dans une large mesure, de celle de l’encours des prêts aux sociétés non financières (SNF). Entre juin 2011 et mai 2019, celui-ci a diminué de 41%, passant de EUR 122 milliards à EUR 71 milliards.

Dans le même temps, l’encours des prêts aux ménages se repliait de 18%, passant de EUR 143 milliards à EUR 116 milliards. Mécaniquement, la part des prêts bancaires aux SNF dans l’encours total de ceux au secteur privé non financier a reculé à 38% en mai 2019 contre 46% en juin 2011.

Depuis juin 2019, les progressions des prêts immobiliers et à la consommation aux ménages ont excédé la poursuite de la baisse de ceux accordés aux SNF. L’encours des prêts au secteur privé non financier enregistre ainsi une progression timide. La hausse de la part relative des prêts accordés aux ménages dans le total de ceux accordés au secteur privé non financier est de nature à réduire la volatilité des produits d’intérêts des banques portugaises. En effet, les prêts aux ménages sont moins sensibles aux aléas conjoncturels que ceux aux SNF.

L’intermédiation bancaire recule dans l’endettement des SNF

Le repli de l’encours des prêts bancaires aux SNF n’a pas été compensé par un recours plus important au marché obligataire. A l’instar de l’encours des prêts bancaires aux SNF, celui des titres de dette émis par ces dernières a diminué entre juin 2011 et mai 2019. Il est ainsi passé de EUR 40 milliards à EUR 29 milliards. Cette baisse de 30% étant inférieure à celle de l’encours des prêts bancaires, la part des titres de dette dans l’endettement au sens étroit des SNF s’est accrue. La part des financements intermédiés dans l’endettement des SNF résidentes est donc passée de 75% au deuxième trimestre 2011 à 71% au deuxième trimestre 2019. Ce niveau d’intermédiation bancaire est inférieur à celui observé en moyenne dans la zone euro qui s’établissait, à ces mêmes dates à, respectivement, 85% et 76%.

Les prêts immobiliers aux ménages sont récemment repartis à la hausse …

Les prêts immobiliers, presque exclusivement des prêts hypothécaires, constituaient 79% de l’encours total des prêts bancaires aux ménages résidents en septembre 2019. Cette proportion est demeurée plutôt stable durant toute la période d’observation (à partir de janvier 2003). Depuis octobre 2018, l’encours des prêts immobiliers progresse modestement, ce qui met un terme à la baisse observée entre novembre 2011 et septembre 2018 (18% au total). Au cours de cette période, l’encours des prêts immobiliers aux ménages résidents a diminué, sans interruption, de EUR 114 milliards à EUR 94 milliards. Cette baisse peut surprendre au regard de celle observée pour les taux des crédits. Elle peut néanmoins s’expliquer, dans une certaine mesure, par la prépondérance des taux variables qui limite pour les ménages l’incitation à emprunter lorsque les taux sont bas (au regard d’un système où le taux fixes dominent).

La nouvelle augmentation de l’encours des prêts immobiliers aux ménages au cours de la période récente s’est accompagnée d’une progression de 379% de la moyenne sur 12 mois glissants de la production nouvelle de prêts immobiliers mensuelle entre septembre 2014 (EUR 184 millions) et septembre 2019 (EUR 880 millions). Après une période de quasi-stagnation à un niveau historiquement bas (cf. graphique 3), la production nouvelle de prêts immobiliers aux ménages a retrouvé son niveau de juin 2008 (EUR 1161 millions). Elle demeure néanmoins amplement inférieure à son pic de juillet 2007 (EUR 1875 millions). Finalement, le taux de croissance annuel moyen de la production nouvelle cumulée sur 12 mois s’établissait à 37% entre septembre 2014 et septembre 2019.

La production nouvelle de prêts immobiliers aux ménages augmente de 379% en 5 ans

Le dynamisme de la production nouvelle de prêts immobiliers ne peut être attribué aux rachats et renégociations qui demeurent faibles au Portugal (en moyenne 9% de la production nouvelle depuis décembre 2014 contre 34% en France). Du fait de la faible proportion des prêts à taux fixe, ces opérations ne concernent potentiellement qu’une faible fraction des prêts.

…mais les recommandations de la Banque du Portugal pourraient la limiter

Depuis le 1er juillet 2018, la Banque du Portugal « recommande »[8] aux entités autorisées à octroyer du crédit dans sa juridiction de fixer plusieurs limites à leur activité[9]. Selon la banque centrale nationale, ces recommandations ont pour objet, d’une part, de réduire l’incitation que pourraient avoir certains prêteurs à assouplir leurs critères d’octroi de crédit afin de compenser par un effet volume la compression de leur marge, qui est notamment due à l’augmentation de la pression concurrentielle et aux taux bas.

D’autre part, elles visent à réduire le taux d’endettement des ménages résidents qui pourraient être attirés par la faiblesse actuelle des taux d’emprunt, ce qui ne transparaît pas actuellement dans les chiffres (cf. supra, encours des prêts aux ménages). A l’inverse, le taux d’endettement[10] des ménages a fortement diminué depuis plusieurs années, ce qui lui a permis de converger vers la moyenne de la zone euro (respectivement 95% contre 94% au deuxième trimestre 2019) tandis qu’il s’en était continûment écarté entre 2000 et 2007 (cf. graphique 4). Les taux d’endettement des ménages au Portugal et en Espagne ont suivi en outre des trajectoires très proches à l’instar de leurs conjonctures respectives.

Taux d'endettement des ménages dans quelques pays de la zone euro

Dans le cadre de sa première recommandation, la Banque du Portugal invite les banques à limiter le montant des nouveaux prêts à 90% de la valeur du bien immobilier acheté ou construit, lorsqu’il s’agit d’une résidence principale (limite au ratio loan-to-value – LTV). Entre juillet 2018 et mars 2019[11], la proportion des nouveaux prêts immobiliers dont le ratio LTV est supérieur à 90% est devenue quasiment nulle alors qu’elle atteignait environ 20% précédemment. Ainsi la part, dans le total des nouveaux prêts immobiliers, de ceux dont le ratio LTV est compris entre 80% et 90% a plus que doublé pour atteindre environ 45%. En revanche, la part des nouveaux prêts dont le ratio est inférieur à 80% s’est réduite de plus de 10 points de pourcentage au cours de la même période. Un processus de convergence vers un ratio LTV moyen compris entre 80 et 90% semble ainsi être à l’œuvre.

La deuxième recommandation de la Banque du Portugal est la limitation du montant des mensualités à 50% du revenu mensuel[12] de l’emprunteur (limite au ratio debt service-to-income – DSTI). Ce ratio doit tenir compte de l’ensemble des prêts déjà contractés par l’emprunteur et d’une potentielle remontée des taux d’intérêt en lien avec la prépondérance des prêts immobiliers à taux variable. La proportion des nouveaux prêts immobiliers dont le ratio DSTI est inférieur à 50% atteignait ainsi 89% en mars 2019 contre 77% en juillet 2018. Le niveau d’agrégation des données ne permet toutefois pas de connaître plus précisément la distribution des nouveaux prêts immobiliers dont le ratio DSTI est inférieur à 50%.

Troisièmement, la Banque du Portugal appelle les banques à limiter la maturité initiale des nouveaux prêts immobiliers à 40 ans. L’objectif des auteurs de ces recommandations est de ramener, fin 2022, la maturité moyenne des nouveaux prêts immobiliers à 30 ans. A titre de comparaison, la maturité initiale médiane des prêts immobiliers en France, en septembre 2019, était de 20,4 années. Au premier trimestre 2019, la maturité initiale s’établissait au Portugal à 32,7 années contre 33,7 années au premier trimestre 2018[13]. Si la recommandation semble porter ses fruits, l’encours des prêts immobiliers dont la maturité initiale est supérieure à 30 années a été le seul à progresser au deuxième trimestre 2019 (+3,5%) tandis que celui des prêts dont la maturité est inférieure à 30 années s’est replié nettement (-10,3%). Ces deux évolutions, apparus en septembre 2017, se sont intensifiées. La maturité initiale des nouveaux prêts immobiliers aux ménages a donc convergé vers 30 années à la fois du fait d’un raccourcissement des maturités supérieures, mais également d’un allongement des maturités inférieures à 30 années.

Quatrièmement, la Banque du Portugal recommande aux banques d’éviter, dans la mesure du possible, d’accorder aux emprunteurs des reports d’échéances sur le principal et les intérêts. Pourtant, le report permet aux banques d’offrir une certaine souplesse aux emprunteurs qui traversent des difficultés passagères et permet d’éviter, dans la mesure du possible, un « évènement de crédit » et une hausse du coût du risque. A notre connaissance, aucune donnée ne permet d’évaluer l’effet de cette recommandation.

Les charges d’intérêts ont diminué à la faveur d’une baisse du coût des ressources et d’une modification de la structure du passif

La baisse des charges d’intérêts des grandes banques portugaises résulte de la diminution du coût de l’ensemble des ressources bancaires et la déformation des passifs bancaires en faveur de ressources moins coûteuses.

Le coût des ressources bancaires a poursuivi son recul

En 2018, les intérêts versés par les banques portugaises au titre de leur refinancement auprès des banques centrales, rapporté à l’encours (le taux d’intérêt implicite), ont atteint un niveau historiquement bas, à
-0,2%. Ce taux est négatif pour la première fois depuis 2014, date de la première observation disponible pour cette série de données. Cette ressource bancaire est principalement constituée de liquidités issues du second programme d’opérations de refinancement à plus long terme ciblées (Targeted longer-term refinancing operations – TLTRO), ce qui explique notamment le caractère négatif du taux moyen de refinancement. Le coût des obligations émises par les banques s’est également réduit de 4,3% en 2014 à 2,4% en 2018.

Enfin, le taux de rémunération des dépôts de la clientèle s’établissait en 2018 à 0,4% contre 1,5% en 2014. Ce taux est rigide à la baisse car les banques sont réticentes à répercuter des taux nuls, voire négatifs, sur leurs clients particuliers[14] pour des raisons commerciales mais aussi parce que cette clientèle peut aisément convertir une partie de ses dépôts en monnaie fiduciaire. En outre, l’application de taux négatifs aux dépôts est réglementairement interdite au Portugal tant pour les ménages que pour les sociétés non financières[15]. La persistance de taux bas limite donc l’efficacité de la politique monétaire.

Par ailleurs, en période de taux négatifs, un ratio de crédits sur dépôts (Loan-to-deposit ratio) élevé tend à devenir pénalisant alors qu’il s’agissait plutôt d’un atout lorsque les taux étaient plus positifs. Les banques portugaises ont ainsi réduit leur ratio de crédits sur dépôts de 42% en 10 ans avec une importante diminution de la dispersion des ratios entre banques, comme le souligne la Banque du Portugal[16].

Les dépôts des clients constituent plus des deux tiers du passif des banques portugaises

Les dépôts des ménages et des SNF constituent une part croissante du passif total des banques portugaises : 67% en décembre 2018 contre 46% en décembre 2008. La croissance ininterrompue de cette proportion depuis 2009 s’explique par la hausse de l’encours des dépôts clients (+17% entre 2010 et 2018) tandis que les encours des autres ressources bancaires se repliaient. Du fait de la baisse de leur coût d’opportunité, les dépôts à terme ont été largement remplacés par des dépôts à vue, selon les derniers chiffres de la Banque du Portugal[17]. Cet arbitrage des déposants contribue à expliquer la baisse du taux d’intérêt implicite des dépôts clients au-delà de la baisse des taux du marché monétaire.

Après un pic à plus de 11% en 2012, la part du refinancement en provenance des banques centrales a progressivement reflué jusqu’à n’atteindre plus que 5,3% du passif des banques portugaises en 2018. Au total, l’encours des liquidités obtenues par le système bancaire portugais dans le cadre des programmes de LTRO était d’environ EUR 18 milliards en octobre 2019. En conséquence, le recours des banques portugaises au TLTRO III dans le seul but de remplacer les lignes obtenues dans le cadre du TLTRO II (mené entre juin 2016 et mars 2017), qui arrivent à maturité en juin, septembre et décembre 2020, puis mars 2021, devrait rester limité.

Par ailleurs, les programmes de TLTRO ont permis, notamment, aux grandes banques portugaises d’améliorer leur ratio de liquidité à court terme (Liquidity coverage ratio – LCR). Elles ont ainsi pu augmenter leurs réserves auprès de la banque centrale qui sont éligibles au titre d’actifs liquides de haute qualité (High Quality Liquid Assets – HQLA), le numérateur du LCR, avec certains titres de dette souveraine. La modification de la structure des passifs bancaires a ainsi permis de réduire le coût d’opportunité lié à la détention de HQLA. Au sein de l’Union européenne, le système bancaire portugais compte parmi ceux présentant, en moyenne, les ratios réglementaires de liquidité à court terme les plus élevés. Après une croissance de 84 points de base depuis le quatrième trimestre 2016, son LCR moyen culminait à 227% au premier trimestre 2019 contre 153% pour le système bancaire de l’ensemble de l’UE.

La marge nette d’intérêt s’est élargie

L’élargissement de la marge nette d’intérêt des plus grandes banques portugaises procède d’une baisse de leurs charges d’intérêts plus rapide que celle de leurs produits d’intérêts. En outre, la volatilité des revenus tirés des activités de marché et la faiblesse relative des commissions nettes ne permettent pas d’envisager ces dernières comme un relais de croissance aux produits nets d’intérêts, du moins à court terme.

Les charges d’intérêts diminuent plus rapidement que les produits d’intérêts

Entre 2014 et 2018, la marge nette d’intérêt des plus grandes banques portugaises est passée de 1,2% à 1,7%, un niveau supérieur à celui du système bancaire de l’ensemble de l’Union européenne (1,4% en 2018[18]). Son élargissement s’est poursuivi au cours des trois premiers trimestres de 2019, à la faveur de la réduction des charges d’intérêts tandis que les produits d’intérêts montraient des signes de stabilisation (cf. graphique 5).

Les charges d'intérêts reculent plus rapidement que les produits

L’incidence de la variation des taux d’intérêt sur la marge nette d’intérêt dépend des durations respectives de l’actif et du passif bancaires. Théoriquement, la marge nette d’intérêt s’élargit en phase de baisse des taux car le remplacement des ressources bancaires par d’autres moins coûteuses est plus rapide que celui des actifs par de nouveaux moins rémunérés. Ce phénomène est naturellement lié à l’activité traditionnelle de transformation des maturités. Le coût des ressources des grandes banques portugaises s’est ainsi ajusté plus rapidement à la baisse des taux que le rendement des actifs, même si la prépondérance des prêts à taux variable a conduit ce dernier à diminuer plus rapidement que si leur taux avait été fixe.

Finalement l’effet positif, sur les revenus nets d’intérêts, de l’élargissement de la marge nette d’intérêt a neutralisé l’effet négatif découlant de la baisse de l’encours des prêts bancaires. Les revenus nets d’intérêts des grandes banques portugaises ont ainsi enregistré un taux de croissance annuel moyen de 6,5% entre 2014 et 2018. Ils sont ainsi passés, entre ces deux dates, de EUR 3,4 milliards à EUR 4,4 milliards. Au troisième trimestre 2019, le glissement annuel des revenus nets d’intérêts s’établissait à 8,8%. A titre de comparaison, les revenus nets d’intérêts des 183 plus grandes banques de la zone euro enregistraient une progression de 0,4% au cours de la même période.

La dépendance des banques portugaises aux revenus nets d’intérêts se renforce

La part des revenus nets d’intérêts dans le PNB des grandes banques portugaises se renforce progressivement depuis 2005. En 2018, cette proportion a atteint un niveau historiquement élevé à 67% (contre 51% en 2005). Or, la répartition entre les différents types de revenus (intérêts, commissions, gains ou pertes sur instruments financiers, etc.) est généralement plus équilibrée dans les plus grands établissements par rapport à ceux de taille plus modeste. Bien que l’accroissement de la part des revenus nets d’intérêts s’explique, dans une large mesure, par la baisse des autres revenus, la moindre diversité des types de revenus augmente la dépendance des grandes banques portugaises aux produits d’intérêts, or ces derniers diminuent depuis plusieurs années.

Les commissions nettes perçues par les grandes banques portugaises ont toutefois poursuivi leur progression en 2018 (+3,6% en glissement annuel contre +4,4% en 2017). Cette tendance positive n’est cependant pas encore suffisante pour servir de relais de croissance aux revenus nets d’intérêts. Leur niveau en 2019 (EUR 2,1 milliards en annualisé) est, pour l’heure, encore inférieur à celui atteint lors de leur pic à EUR 2,8 milliards en 2010.

Les autres revenus ont connu un accès de faiblesse en 2018 à seulement EUR 63 millions contre EUR 2,6 milliards en 2005. Cette forte baisse a été principalement imputable à celle des revenus liés aux activités de marché. Par exemple, CGD a comptabilisé, entre le 31 décembre 2017 et le 31 décembre 2018, une baisse de 85% des revenus de son portefeuille de négociation (net trading income)[19]. De même, Novo Banco a, en 2018, essuyé des pertes d’un montant de EUR 242 millions au titre de son portefeuille de négociation contre des gains de EUR 179 millions en 2017. Lesdites pertes s’expliquent notamment par la mise en œuvre du projet « Nata » qui a conduit Novo Banco à céder une part de ses actifs à un consortium de fonds géré par l’américain KKR et le luxembourgeois LX Investment Partners[20].

Une stricte maîtrise des coûts

Le produit net bancaire des grandes banques portugaises s’est stabilisé à la faveur de la baisse du coût des ressources. La progression du résultat net a cependant été rendue possible par les baisses des frais généraux et du coût du risque.

Les grandes banques portugaises ont réduit leurs frais généraux de 31% en dix ans

Les perturbations subies par les banques portugaises à l’occasion de la succession des crises de 2007-2008 puis de 2010-2011 les ont contraintes à de profonds ajustements. Leurs frais généraux ont ainsi enregistré une réduction moyenne de 31% entre 2006-2008 et 2016-2018 (cf. graphique 6). La baisse des frais de personnel (-34% en moyenne entre 2006-2008 et 2016-2018) et des autres charges d’exploitation (-27% en moyenne entre 2006-2008 et 2016-2018) ont chacune contribué au repli. Cette maîtrise globale des coûts a permis de compenser la baisse du PNB. Les grandes banques portugaises ont ainsi maintenu leur coefficient d’exploitation autour de 60%, en moyenne depuis 2005, mais une modeste amélioration est observable en 2018 et, jusqu’à présent, en 2019.

Evolutions des frais généraux des grandes banques portugaises depuis 2005

Les frais de personnel ont poursuivi leur réduction en 2018

A l’instar de la plupart de ceux de la zone euro, le système bancaire portugais a réduit ses capacités au cours des dix dernières années. Les effectifs bancaires au Portugal ont ainsi diminué de 19% entre 2008 et 2018, contre 17% pour l’ensemble des banques de la zone euro.

Les frais de personnel des grandes banques portugaises ont ainsi poursuivi leur baisse en 2018 à EUR 2,0 milliards contre un pic en 2009 à EUR 3,2 milliards. Cette réduction est essentiellement intervenue entre 2011 et 2014 et s’est poursuivie entre 2015 et 2018 mais à un rythme moins soutenu.

La baisse des autres charges d’exploitation a contribué à la maîtrise des frais généraux

Les autres charges d’exploitation (notamment les loyers, les frais de publicité ou les coûts liés aux technologies de l’information et de la communication) ont légèrement moins diminué que les frais de personnel. Le nombre d’agences bancaires au Portugal a néanmoins été réduit de 35% entre 2008 et 2018, contre 27% pour l’ensemble de la zone euro, en moyenne, durant la même période. L’intensification des efforts et des investissements réalisés par les banques portugaises dans le cadre de leur processus de digitalisation, que souligne la Banque du Portugal[21], a sans doute contribué à augmenter leurs autres charges d’exploitation. A titre d’exemple, Novo Banco a mis en place un « cercle de digitalisation » afin de transformer le groupe en le recentrant sur ses clients, en simplifiant ses procédures et en réduisant ses risques[22]. Les principales compétences dans le secteur du digital ont ainsi été regroupées au sein d’une structure interne appelée « Novo Banco Digital », en 2018. La directrice de la Caixa Geral de Depósitos, Maria João Carioca, a annoncé le 4 décembre 2019, l’intention du groupe de procéder à un investissement de EUR 200 millions sur cinq ans afin d’accélérer la digitalisation de la banque.

Finalement, le coefficient d’exploitation des banques portugaises s’est modestement amélioré en 2018 et, jusqu'à présent, en 2019 (cf. graphique 7) tandis qu’il évoluait autour de 60% en moyenne depuis 2005. Il est désormais inférieur au coefficient moyen du système bancaire de l’ensemble de l’Union européenne. A cet égard, les grandes banques portugaises se distinguent de la moyenne des grandes banques de l’UE dont le coefficient d’exploitation tend à se détériorer depuis 2017. Ces divergences de trajectoires entre systèmes bancaires sont néanmoins à relativiser : la baisse des revenus liés aux activités de banque de financement et d’investissement a probablement contribué à la détérioration des coefficients d’exploitation des systèmes bancaires dans lesquels ces activités génèrent une part plus importante des revenus bancaires.

Coefficients d'exploitation comparés de quelques systèmes bancaires européens

Les activités à l’étranger des grandes banques portugaises ont contribué dans une large mesure à leur résultat net de 2018

A la faveur de l’allègement du coût de leurs ressources et de leur stricte maîtrise des coûts, les grandes banques portugaises ont, pour la première fois depuis 2010, dégagé un résultat net positif en 2018 (EUR 375 millions). Il est demeuré néanmoins très inférieur à son niveau observé entre 2005 et 2007 (en moyenne, EUR 2,6 milliards). Au cours des trois premiers trimestres de 2019, le résultat net des grandes banques portugaises est demeuré positif à la faveur de la réduction des pertes de Novo Banco.

Les activités à l’étranger des grandes banques portugaises contribuent dans une large mesure à leur résultat net consolidé (cf. graphique 8). L’Espagne et la France constituent leurs principaux marchés à l’étranger, la Caixa Geral de Depósitos et Novo Banco y étant très présentes. Millennium BCP est plus fortement implantée en Pologne et au Mozambique. BPI dispose d’une filiale importante en Angola où sont également implantées la Caixa Geral de Depósitos et Novo Banco. Bien que lusophone, le Brésil n’est pas un marché significatif pour les banques portugaises.

Résultat net des grandes banques portugaises, entre réduction des pertes domestiques et augmentation du résultat des activités à l'étranger

Les résultats dégagés à l’étranger contribuent positivement au résultat net consolidé de ces dernières mais ils pourraient s’amenuiser si les plans de cessions d’actifs non-stratégiques envisagés venaient à se concrétiser. Novo Banco a déjà vendu en 2018 des activités au Venezuela, en Italie, au Cap Vert, la Caixa Geral de Depósitos a entamé la vente de plusieurs filiales (Brésil, Espagne, etc.).

La rentabilité financière des grandes banques portugaises s’améliore en 2019 mais reste faible

La rentabilité financière des grandes banques portugaises a naturellement été positive en 2018 mais elle est demeurée faible. Elle s’est établie, en moyenne pondérée, à 1,5% au cours de cet exercice (cf. graphique 9) tandis qu’elle excédait 15% avant 2008. La rentabilité financière des grandes banques portugaises était également très inférieure à la rentabilité moyenne des autres grandes banques de l’Union européenne en 2018. Elle s’est rapprochée néanmoins du niveau moyen de la zone euro en 2019.

Comparaison internationale de la rentabilité financière des grandes banques de plusieurs pays de l'UE*

Les ajustements rendus nécessaires par les années de crise devraient toutefois continuer de peser, à court terme, sur la rentabilité financière des grandes banques portugaises. A plus long terme, ces ajustements de coût sont de nature à permettre un accroissement de leur rentabilité financière même s’il devrait être retardé par une croissance moindre et la persistance, durant de nombreux trimestres, du caractère accommodant de la politique monétaire.

La baisse des taux a modestement contribué à la réduction des risques

Les taux bas ont permis, toutes choses égales par ailleurs, de réduire le coût du risque des grandes banques portugaises et contribué à l’assainissement de leur bilan. Les fonds propres ont diminué même si la baisse du coût du risque a permis de limiter leur érosion. Dès lors, l’augmentation des ratios de solvabilité réglementaires des grandes banques portugaises a procédé essentiellement d’une baisse plus rapide de leurs actifs pondérés des risques que celle de leurs fonds propres.

Les baisses de l’encours et du ratio des prêts non performants se poursuivent

Le coût du risque[23] des grandes banques portugaises est passé de EUR 5,6 milliards lors de son pic en 2011, à EUR 1,0 milliard en 2018 (cf. graphique 10). Il a ainsi reflué en dessous de son niveau de 2007 (EUR 1,1 milliard). Sa remontée temporaire en 2016 s’explique dans une large mesure par le plan de la Caixa Geral de Depósitos visant à assainir son bilan. Sans ce dernier, la baisse du coût du risque des plus grandes banques portugaises aurait été ininterrompue entre 2012 et 2018. La dynamique du coût du risque de Novo Banco (ex BES) a largement déterminé celle de l’ensemble des grandes banques portugaises. En effet, elle est amplement responsable du mouvement général de baisse de 2016 mais également de celui de hausse des trois premiers trimestres de 2019.

La baisse du coût du risque s’est accompagnée d’une diminution de moitié du ratio des prêts non performants des grandes banques portugaises (8,9% au deuxième trimestre 2019 contre 20,1% lors de son pic au deuxième trimestre 2016). Ce dernier demeure néanmoins près de trois fois supérieur au ratio moyen des principales banques de l’Union européenne (cf. graphique 11).

Evolution du coût du risque des banques portugaises
Comparaison internationale des ratios des prêts non performants

Selon les chiffres de la Banque du Portugal[24], la baisse du ratio des prêts non performants est essentiellement attribuable à une réduction de l’encours des prêts non performants (le numérateur du ratio). Ce dernier a ainsi diminué de moitié entre le deuxième trimestre 2016 et le premier trimestre 2019, de EUR 50 milliards à approximativement EUR 25 milliards. Par ailleurs, l’encours des prêts des banques portugaises (le dénominateur du ratio) s’est replié de 8% durant la même période. La réduction du ratio des prêts non performants n’a donc pas découlé d’un phénomène de dilution mais bien d’un assainissement des bilans bancaires.

Par ailleurs, le durcissement des critères d’octroi de crédits bancaires en 2011/2012[25], puis leur maintien par la suite ont contribué à la réduction du coût du risque des banques portugaises. La baisse des taux d’intérêt a également allégé la contrainte de solvabilité qui pesait sur les emprunteurs en cours de remboursement.

Les cessions et titrisations ont amplement contribué à l’assainissement des bilans bancaires

Les cessions et titrisations de prêts non performants ont constitué le principal canal d’assainissement du bilan des banques portugaises en 2018. Ces opérations furent à l’origine de 1,7 point de pourcentage de baisse du ratio des prêts non performants lors de cet exercice[26]. Leur montant cumulé a permis de réduire le ratio des prêts non performants de 2,9 points de pourcentage depuis son pic du deuxième trimestre 2016. Par exemple, Novo Banco a vendu EUR 488 millions de prêts immobiliers non performants à Cerberus Capital Management (« Projet Sertorius ») pour 33% de leur valeur comptable brute en août 2018. Ce prix est comparable à celui payé dans le cadre d’autres cessions en Espagne ou en Italie même s’il dépend naturellement de la qualité des actifs cédés. Le projet « Nata 2 », toujours mené par Novo Banco, devrait conduire à la vente d’un autre portefeuille de prêts non performants avant la fin de l’année 2019[27]. Au regard du montant prévu de la cession (EUR 3,3 milliards initialement), cette opération devrait avoir un effet sensible sur le ratio des prêts non performants de Novo Banco et, dans une moindre mesure, sur celui de l’ensemble du système bancaire portugais.

Les abandons de créances ont réduit le ratio des prêts non performants des banques portugaises de 3,0 points de pourcentage depuis le sommet de 2016, dont 1,0 point au titre de l’exercice 2018. La baisse totale du ratio s’établit à 8,5 points au 31 décembre 2018, les abandons de créances ont donc été, jusqu’à présent, le principal canal d’assainissement du bilan des banques portugaises devant les cessions et titrisations. Pourtant, la contribution relative des abandons de créances à la baisse du ratio se replie progressivement tandis que celle des cessions et titrisations augmente. Ces éléments suggèrent que les banques portugaises ont assaini leur bilan en cédant dans un premier temps les expositions les plus détériorées, pour lesquelles le taux de provisions était donc le plus élevé et la valeur la plus faible. Dans un deuxième temps, les expositions non performantes moins détériorées dont la valeur était plus importante ont été cédées et/ou titrisées. Le temps nécessaire à la réalisation des opérations de cessions/titrisations a sans doute contribué à cet arbitrage. En outre, les taux bas sont susceptibles d’avoir exercé une influence sur le recours croissant aux cessions et titrisations car, toutes choses égales par ailleurs, une réduction du taux d’actualisation augmente la valeur des actifs.

Les flux nets de prêts non performants, soit la différence entre les prêts nouvellement non performants et les prêts non performants qui sont reclassés en encours sains, augmentés des amortissements et les saisies, ont contribué à hauteur de 1,8 point de pourcentage à la baisse totale du ratio des prêts non performants. Finalement, l’effet dilutif lié aux flux de prêts performants n’a contribué que dans une faible mesure à la réduction du ratio des banques portugaises (-0,8 point de pourcentage au total).

L’assainissement du bilan des banques devrait se poursuivre durant les trimestres à venir, notamment car certaines ont été contraintes de soumettre des plans de réduction de leurs prêts non performants à la Banque du Portugal. Par ailleurs, l’introduction de la norme comptable IFRS 9 le 1er janvier 2018 pourrait conduire à une augmentation du coût du risque dans la perspective d’un ralentissement conjoncturel. En effet, cette norme reconnaît les pertes de crédit attendues (et non plus seulement les pertes de crédit observées comme la précédente norme IAS 39), ainsi que les seuils minimums de couverture des expositions non performantes imposés par la Commission européenne et les « attentes prudentielles » de la BCE[28] en matière de provisionnement. La situation des banques portugaises pourrait ainsi apparaître détériorée sans pour autant que la qualité de leur portefeuille ne se soit intrinsèquement dégradée.

Une meilleure capacité d’absorption des pertes

Les ratios de solvabilité des grandes banques portugaises se sont renforcés en dépit de leur faible rentabilité et de l’assainissement de leur bilan. La poursuite de ce dernier est néanmoins susceptible de peser encore sur les fonds propres bancaires. Enfin, le traitement fiscal des actifs d’impôt différé permet aux grandes banques portugaises de disposer, sous conditions, d’une capacité d’absorption des pertes supplémentaire équivalente à 15% de leur CET1, sans pour autant qu’il s’agisse de fonds propres.

Les ratios de solvabilité des banques portugaises ont presque doublé en cinq ans malgré une rentabilité faible

Les ratios réglementaires des grandes banques portugaises s’accroissent depuis 2014. Le ratio d’actions ordinaires et assimilées de T1 (Common Equity Tier 1 – CET1) fully loaded des grandes banques portugaises était ainsi de 13,2% au deuxième trimestre 2019 contre 7,9% au troisième trimestre 2014. Ce renforcement sensible de la solvabilité des grandes banques portugaises ne leur permet toutefois pas d’atteindre la moyenne pondérée du ratio de CET1 des grandes banques de l’ensemble de l’Union européenne qui s’établissait à ces mêmes dates à, respectivement, 14,4% et 11,3% (cf. graphique 12).

Comparaison internationale des ratios de CET1 des grandes banques de l'UE

Aucune banque portugaise n’entre dans la liste des entités d’importance systémique mondiale (Global systemically important banks – G-SIBs) établie par le Conseil de stabilité financière (Financial stability board – FSB) et n’est, à ce titre, soumise à des exigences réglementaires supplémentaires.

La baisse des actifs pondérés des risques excède celle des fonds propres

Le processus d’assainissement du bilan des banques portugaises et, dans une moindre mesure, l’introduction d’IFRS 9 à partir du 1er janvier 2018 ont freiné l’accroissement des ratios de solvabilité. Aussi, après une progression de 105% entre 2007 (EUR 13 milliards) et 2012 (EUR 27 milliards) l’encours de CET1 des plus grandes banques portugaises s’est replié de 24% entre 2012 et 2018 (EUR 21 milliards). La poursuite de l’amélioration des ratios de solvabilité au cours de la période récente a donc reposé sur une réduction des actifs pondérés des risques plus rapide que celle des fonds propres. En effet, les actifs pondérés des risques se sont repliés de 31% entre 2012 et 2018, passant de EUR 226 milliards à EUR 157 milliards[29].

Un retour pérenne à la rentabilité des grandes banques portugaises est de nature à soutenir l’amélioration de leurs ratios de solvabilité, cette fois-ci par une augmentation de leurs fonds propres. Par ailleurs, les grandes banques portugaises ont également renforcé leur capacité à absorber des pertes grâce à l’émission de dette subordonnée éligible au titre des fonds propres Tier 2. Par exemple, Novo Banco et la Caixa Geral de Depósitos ont respectivement émis EUR 400 millions et EUR 500 millions de fonds propres Tier 2 en 2018. Les exigences supplémentaires introduites par le Total loss absorbing capacity (TLAC) et le Minimum requirement for own funds and eligible liabilities (MREL) devraient continuer de soutenir les émissions d’instruments éligibles au titre de Tier 2.

Les DTA éligibles au régime spécial représentent une capacité d’absorption des pertes supplémentaire équivalant à 15% de CET1

A l’instar des systèmes bancaires espagnol et italien, les actifs d’impôt différé (deferred tax assets – DTA) constituaient, selon les calculs de la Commission européenne, une part importante des fonds propres réglementaires du système bancaire portugais[30]. Suite à l’introduction en 2013 du règlement européen sur les fonds propres bancaires (Capital requirements regulation – CRR[31]), les banques étaient tenues, au 1er janvier 2018, de déduire de leurs fonds propres réglementaires l’intégralité des actifs d’impôt différé qui dépendent des bénéfices futurs et une partie de ceux qui n’en dépendent pas. Au 31 décembre 2018, les DTA éligibles au titre des fonds propres constituaient approximativement 4% de l’encours des CET1 des grandes banques portugaises après avoir atteint un pic à 9% en 2016, en lien avec les pertes comptabilisées à cette période. En moyenne, les DTA éligibles au titre des fonds propres constituaient moins de 10% de l’ensemble des DTA des grandes banques portugaises entre 2014 et 2018.

Depuis 2014, le code des impôts portugais prévoit, sous certaines conditions, qu’une partie des DTA des banques peut être convertie en crédit d’impôt afin de couvrir des pertes[32]. Ce dernier étant exigible auprès du Trésor, il peut servir à la préservation des ratios de solvabilité. En contrepartie de la conversion des DTA en crédit d’impôt, une réserve spéciale d’un montant équivalant à 110% de celui des DTA convertis a été créée et des titres de dette convertibles en fonds propres ordinaires d’un même montant ont été émis au profit de l’Etat portugais. Sur la base des données communiquées par les cinq plus grandes banques portugaises, approximativement 50% de leurs actifs d’impôt différé étaient éligibles au régime spécial en 2018. Cela leur conférerait une capacité d’absorption des pertes supplémentaires d’environ EUR 3 milliards, soit presque 15% de leurs CET1 en 2018.

Par exemple, Novo Banco a converti en 2016 des actifs d’impôt différé en crédit d’impôt pour un montant définitif de EUR 154 millions, suite aux pertes que la banque a enregistrées en 2015. En contrepartie, une réserve spéciale d’un montant de EUR 169 millions a été créée, soit le montant des DTA convertis en crédit d’impôt plus 10%[33]. Une opération de même nature a de nouveau eu lieu en 2017 pour un crédit d’impôt d’un montant final de EUR 99 millions et en 2018 pour un montant estimé, sous réserve de validation par les autorités fiscales en 2019, à EUR 152 millions. Au total, la conversion des DTA en crédit d’impôt amènerait le gouvernement portugais à détenir un montant de dette convertible représentant 6,5% des fonds propres de Novo Banco au 31 décembre 2018 (le crédit d’impôt étant retardé d’une année par rapport à l’exercice considéré) et de 10,3% selon le rapport financier du premier semestre 2019. Ce régime spécial appliqué aux DTA des banques portugaises permet donc à ces dernières d’immuniser, dans une certaine mesure, leurs ratios de solvabilité contre d’éventuelles pertes comptables.

Risques associés à l’éventualité de taux durablement bas

Tandis que la baisse des taux d’intérêt semble avoir produit jusqu’à présent des effets plutôt positifs sur les grandes banques portugaises, la stabilisation de ces mêmes taux à des niveaux durablement bas (low for long) est de nature à leur être moins favorable à l’avenir.

La poursuite de la politique monétaire accommodante associée à l’accroissement de la pression concurrentielle, venue notamment d’acteurs issus d’autres secteurs d’activité soumis à une réglementation prudentielle parfois plus souple, devrait continuer d’exercer une pression à la baisse sur les taux des prêts. Ce repli pourrait néanmoins se faire à un rythme moins soutenu que préalablement, à mesure que les taux convergent vers le plancher égal à zéro (zero lower bound). Alors que jusqu’à présent, la décrue des taux n’a pas soutenu, au Portugal, la croissance de l’encours des prêts, les recommandations de la banque centrale nationale sont susceptibles de limiter la progression de ceux accordés aux ménages. Toutes choses égales par ailleurs, la persistance des taux bas devrait soutenir également l’octroi de prêts aux SNF mais le tassement à venir de la croissance est de nature à freiner la demande. Dans ces conditions, les revenus d’intérêts des grandes banques portugaises pourraient continuer de se replier.

Au regard de la faiblesse des taux déjà atteinte, il est raisonnable de considérer que l’essentiel de la baisse du coût des ressources bancaires s’est déjà produit. L’interdiction faite aux banques portugaises d’appliquer des taux négatifs aux dépôts de la clientèle tend à agir comme un plancher au coût des ressources bancaires. En outre, la structure du passif des plus grandes banques portugaises pourrait demeurer relativement figée tant que le coût d’opportunité lié à la détention de dépôts à vue sera aussi faible pour les ménages. En conséquence, les charges d’intérêts pourraient continuer, très modestement, de diminuer.

La prolongation des taux bas pourrait ainsi conduire à une inversion des effets : dorénavant, les revenus d’intérêts pourraient diminuer plus rapidement que les charges d’intérêts. Ainsi, la marge nette d’intérêt se comprimerait tandis que l’effet volume positif susceptible de compenser son érosion deviendrait hypothétique. Finalement, les perspectives de progression du PNB des plus grandes banques portugaises demeurent contraintes par les projections de croissance (1,9% en 2019 et 1,4% en 2020 selon nos prévisions, contre 3,5% en 2017 et 2,4% en 2018). En l’absence de relais de croissance suffisants, les grandes banques portugaises devront poursuivre leurs stratégies de réduction des coûts.


[1] Par taille d’actif en 2018 : Caixa Geral de Depósitos, Millennium BCP (Banco Comercial Português), Santander Totta, Novo Banco (ex-Banco Espírito Santo) et Banco BPI

[2] Commission européenne, 2011, The economic adjustment programme for Portugal, Directorate-General for economic and financial affairs, Occasional Papers 79, June

[3] La troisième et la cinquième plus grandes banques portugaises par taille d’actif en 2018 sont des filiales de banques espagnoles. Santander Totta est une filiale de Banco Santander SA, tout comme Banco BPI est depuis fin 2018 une filiale à part entière de CaixaBank.

[4] Deuxième directive 89/646/CEE du Conseil, du 15 décembre 1989, visant à la coordination des dispositions législatives, réglementaires et administratives concernant l'accès à l'activité des établissements de crédit et son exercice, et modifiant la directive 77/780/CEE

[5] Aux arrondis près (EUR 6 549 570 000).

[6] La faible saisonnalité de la majorité des éléments du compte de résultat des banques portugaises autorise une comparaison avec les PNB des exercices précédents. Le caractère exceptionnel du quatrième trimestre 2018 explique qu’il n’ait pas été retenu dans notre calcul.

[7] Pour l’essentiel, les prêts accordés aux Sociétés non financières (SNF) sont à taux variables, quel que soit le pays considéré.

[8] Une recommandation n’est pas juridiquement contraignante. Les banques doivent s’y conformer ou, dans le cas contraire, se justifier sous peine de subir des mesures prudentielles de la part de la Banque du Portugal.

[9] Banco de Portugal, Macroprudential measure within the legal framework of credit for consumers, 1 February 2018

[10] Encours des prêts rapporté au revenu disponible brut ajusté des variations de la valeur des parts détenues par les ménages dans des fonds de pension.

[11] Dernière observation disponible. Banco de Portugal, 2019, Macroprudential recommendation on new credit agreements for consumers – Progress report, May 2019

[12] Revenu annuel net divisé par 12.

[13]Banco de Portugal, 2019, Relatório de acompanhamento dos mercados bancários de retalho - 2018

[14] Il n’existe pas au Portugal d’épargne réglementée comparable à celle, par exemple, du Livret A en France.

[15] Banco de Portugal, 2009, Carta-Circular nº 33/2009/DSB, 23/03/2009

[16] Banco de Portugal, 2019, Financial stability report, June 2019

[17] Banco de Portugal, 2019, Financial stability report, June 2019

[18] EBA Risk Dashboard – Data as of Q2 2019

[19] Caixa Geral de Depósitos, Rapport annuel 2018

[20] Novo Banco, Rapport annuel 2018

[21] Banco de Portugal, 2019, Financial stability report, June 2019

[22] Cf. Novo Banco, Rapport annuel 2018

[23] Dotations nettes aux dépréciations, récupérations sur créances amorties et pertes sur créances irrécouvrables.

[24] Banco de Portugal, 2019, Financial Stability Report, June

[25] Banco de Portugal, 2012, Bank Lending Survey, January 2012 et Banco de Portugal, 2011, Bank Lending Survey, October 2011

[26] Le périmètre des banques couvertes par les données de la Banque du Portugal est plus large que celui des données de l’EBA. Cela explique également le léger écart entre les deux ratios des prêts non performants.

[27] Novo Banco, Communiqué du 5 septembre 2019

[28] Humblot, T., 2018, Le chantier de la sortie des prêts non performants du système bancaire européen, Eco Flash, BNP Paribas

[29] L’absence de données plus récentes empêche de procéder à des estimations acceptables pour 2019.

[30] Voir European Commission, Coping with the international financial crisis at the national level in a European context – Impact and financial sector policy response in 2008-2015, Commission staff working document, November 2017

[31] Règlement (UE) n° 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013

[32] Loi no. 61/2014 du 26 août 2014 et loi no. 23/2016 du 19 août 2016

[33] Novo Banco, 2018, Consolidated Financial Statement

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