Eco Conjoncture

Les grandes banques portugaises face aux taux bas

22/12/2019

Pour la première fois depuis 2010, les cinq plus grandes banques portugaises ont renoué avec les bénéfices en 2018. Une baisse des charges d’intérêts plus rapide que celle des produits d’intérêts, ainsi qu’une stricte maîtrise des frais généraux et du coût du risque sont les principaux facteurs à l’origine de ce retour à la rentabilité. L’élargissement de la marge nette d’intérêt a compensé la baisse de l’encours des prêts bancaires, augmentant les revenus nets d’intérêts. Toutes choses égales par ailleurs, la baisse des taux a aussi contribué à la réduction du coût du risque et à l’assainissement des bilans bancaires. L’encours et le ratio des prêts non performants des grandes banques portugaises ont ainsi été réduits de moitié mais demeurent à des niveaux élevés. L’évolution récente du compte de résultat des plus grandes banques portugaises met en évidence, notamment, certains effets des taux bas sur un système bancaire principalement orienté vers les activités de détail et qui octroie surtout des prêts à taux variable.

Le retour à la rentabilité des cinq plus grands groupes bancaires portugais[1] en 2018 a procédé principalement d’une réduction de leurs charges d’intérêts plus rapide que celle de leurs produits d’intérêts ainsi que d’une baisse de leurs frais généraux et du coût du risque. Cette diminution des coûts est notamment intervenue dans le contexte du programme d’ajustement macroéconomique négocié en avril 2011 entre le Portugal, d’une part, et la Commission européenne, la Banque centrale européenne (BCE) ainsi que le Fonds monétaire international, d’autre part[2]. En contrepartie d’une autorisation de crédit de EUR 78 milliards, dont seulement un tiers (EUR 26 milliards) a été décaissé, le Portugal devait mener à bien des réformes ayant principalement pour objet de rétablir une politique budgétaire soutenable, de résorber les déséquilibres internes et externes et de stabiliser le secteur financier. Le Portugal est sorti de ce programme en juin 2014.

La stabilisation du secteur financier a, entre autres mesures, été permise par la recapitalisation de plusieurs établissements dont Millennium BCP (Banco Comercial Português), Banco BPI et la Banco Internacional do Funchal (Banif) pour un montant total de EUR 6 milliards. La Caixa Geral de Depósitos a également été recapitalisée (EUR 1,6 milliard) au cours du programme d’ajustement mais l’opération a été imputée au budget de l’Etat portugais qui en est l’unique actionnaire. La résolution de l’ancienne Banco Espírito Santo, devenue Novo Banco pour sa partie saine, est intervenue après la fin du programme, en août 2014.

La stabilisation du secteur financier portugais ne s’est pas accompagnée d’une forte consolidation de son système bancaire. Selon les chiffres de la BCE, le nombre d’établissements de crédit au Portugal est passé de 162 en septembre 2010 à 149 en novembre 2019. Aucune fusion/acquisition d’envergure n’est intervenue durant cette période. La modeste consolidation du système bancaire portugais au cours de la période la plus récente s’explique, notamment, par un degré de concentration préalablement élevé. En effet, au cours de la dernière décennie, les cinq plus grands groupes bancaires portugais concentraient une part relativement élevée (environ 80%) et stable des actifs totaux consolidés du système bancaire domestique[3]. Ce degré de concentration découle notamment d’une précédente période de consolidation initiée au milieu des années 1980, qui a ensuite été amplifiée par la transposition en droit portugais de la deuxième directive bancaire de la Communauté économique européenne[4]. Actuellement, les trente-deux banques universelles et commerciales dominent le marché en termes d’actifs totaux face aux quatre-vingt-six caisses mutualistes de crédit agricole (caixas de crédito agrícola mútuo). Les banques portugaises sont, dans une large mesure, orientées vers les activités de banque de détail : octroi de prêts, collecte de dépôts et mise à disposition de services de paiement auprès d’une clientèle de particuliers, de professionnels et de petites et moyennes entreprises.

L’étude de l’évolution récente du compte de résultat des plus grandes banques portugaises permet, notamment, de mettre en évidence certains effets des taux bas sur un système bancaire principalement orienté vers les activités de détail et qui octroie surtout des prêts à taux variable. La baisse de l’encours des actifs bancaires a ainsi été compensée par l’élargissement de la marge nette d’intérêt attribuable, à une baisse plus rapide des charges d’intérêts que celle des produits d’intérêts. En outre, la baisse des taux a contribué, toutes choses égales par ailleurs, à la réduction du coût du risque qui a retrouvé, en 2018, son niveau d’avant 2007. Le ratio des prêts non performants a été réduit de moitié depuis son pic au deuxième trimestre 2016, à la faveur d’une baisse de même ampleur de leur encours. En dépit d’une rentabilité toujours faible, les ratios de solvabilité ont poursuivi leur redressement grâce à la réduction des actifs pondérés des risques. La période de baisse des taux d’intérêt a temporairement amélioré la situation globale des grandes banques portugaises. Pourtant, la prolongation des taux bas est de nature à produire à moyen terme des effets moins favorables sur la dynamique des revenus bancaires ainsi que sur celle des risques, surtout dans la perspective d’un tassement de la croissance.

La baisse plus rapide des charges d’intérêts que celle des produits d’intérêts a contribué à stabiliser les PNB

Le produit net bancaire (PNB) des cinq plus grands groupes bancaires portugais affiche une certaine stabilité depuis 2017 (cf. tableau 1). A l’issue de huit années consécutives de baisse, il s’élevait à EUR 6,5[5] milliards en 2018, contre EUR 6,8 milliards en 2017. Ce niveau demeure toutefois relativement faible dans une perspective historique puisqu’il excédait EUR 10 milliards entre 2007 et 2010 après plusieurs années de croissance. Le PNB annualisé est du même ordre pour les trois premiers trimestres 2019[6]. Cette stabilisation du PNB des banques portugaises est essentiellement attribuable à la progression continue depuis 2015 de leurs revenus nets d’intérêts.

Compte de résultat agrégé des cinq plus grands groupes bancaires portugais

La baisse du rendement des actifs et de leur encours ont réduit les produits d’intérêts

La politique monétaire accommodante de la Banque centrale européenne a conduit, depuis 2012, à une diminution régulière des taux d’intérêt appliqués aux prêts au secteur privé non financier au Portugal. Pourtant, cette baisse des taux ne s’est pas accompagnée d’une augmentation de l’encours des prêts bancaires. Ce dernier a reculé de près d’un tiers en dix ans.

Les taux des prêts au secteur privé non financier ont atteint un niveau historiquement bas

Toutes choses égales par ailleurs, la faiblesse actuelle des taux a contribué à la réduction des produits d’intérêts des banques portugaises. A l’exception des taux appliqués aux nouveaux découverts des ménages, ceux appliqués à tous les autres nouveaux prêts ont globalement baissé depuis avril 2012. Ils ont ainsi presque tous atteint leur plus bas niveau au cours de la période d’observation en septembre 2019 (cf. graphique 1).

Théoriquement, à mesure que de nouveaux prêts plus faiblement rémunérés que les précédents prennent une part croissante dans le bilan des banques, voire s’y substituent, les produits d’intérêts diminuent, à encours de prêts constant. Dans le cas des banques portugaises, l’effet défavorable sur leurs produits d’intérêts d’une baisse des taux est renforcé par la proportion des prêts à taux variable qu’elles ont accordés.