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Les résultats remarquables du marché du travail en 2019

27/02/2020
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Emploi et taux de chômage

Les principaux indicateurs du marché du travail français sont disponibles pour 2019. Le bilan est positif sur le front de l’emploi comme sur celui du chômage. La bonne tenue du marché du travail est globalement cohérente avec la croissance, qui a également fait preuve d’une bonne tenue.

Le caractère remarquable de la performance du marché du travail tient aux éléments suivants : entre 2018 et 2019, la croissance a nettement fléchi (de 1,7% à 1,3% en moyenne annuelle) mais l’emploi salarié privé[1] a à peine décéléré (progressant de 1,1% après 1,2%) ; le taux de chômage a plus baissé en 2019 qu’en 2018 (-0,6 point, à 8,4% en moyenne, après -0,4 point) et autant qu’en 2017 alors que la croissance était nettement plus élevée (2,4%). L’emploi n’avait déjà que peu ralenti entre 2017 et 2018 (-0,2 point) comparativement à la croissance (-0,7 point). Enfin, la première estimation de la croissance au T4 2019 a nettement surpris à la baisse (contraction du PIB de 0,1% t/t) tandis que les créations d’emplois salariés privés (+0,2% t/t, estimation préliminaire) et le taux de chômage (8,1%, -0,4 point) ont surpris positivement.

Avant de fournir des éléments d’explications à ces évolutions apparemment peu compatibles, nous commençons par un état des lieux du marché du travail, pour terminer sur les perspectives d’évolution à court et moyen terme.

Les bons chiffres de l’emploi…

En 2019, l’économie française a créé 217 000 emplois après 227 000 en 2018 et 262 000 en 2017. Ces chiffres ne sont pas aussi élevés que lors de la dernière période faste de créations d’emplois qui fait référence, soit la fin des années 1990 (cf. graphique 1). Mais il s’agit d’une belle performance alors que la croissance est moins forte aujourd’hui (1,8% en moyenne par an entre 2017 et 2019[2]) qu’hier (3,7% entre 1998 et 2000). 2019 marque aussi la sixième année d’affilée de hausse de l’emploi : le démarrage a été très lent en 2014 et 2015 avant de gagner de l’ampleur à partir de 2016, mais une telle séquence n’avait pas été observée depuis l’avant-dernier cycle des années 1990. Les créations d’emploi en 2019 portent à près d’1 million le total créé depuis le creux du T3 2014 et à près de 500 000 depuis le T3 2017 et le début du quinquennat d’Emmanuel Macron.

Emploi salarié privé par secteur d’activité

Par secteur d’activité, les créations sont très largement le fait des services marchands hors intérim (cf. graphique 2). S’y ajoutent des créations d’emplois dans la construction et l’industrie, pour la troisième et deuxième année consécutive respectivement. Ce retour dans le vert, s’il reste timide, est remarquable car il intervient après 8 années dans le rouge pour la construction et 16 pour l’industrie. En revanche, 2019 se démarque négativement des quatre années précédentes par la (légère) baisse de l’emploi dans l’intérim, le reflet de la conjoncture moins porteuse.

Evolution de la structure de l’emploi

Depuis 2017, la qualité des emplois créés est allée en s’améliorant à en juger la remontée du taux d’emploi en CDI (après 6 années de stabilité) et le reflux du taux d’emploi en CDD ou intérim (après une hausse quasi ininterrompue depuis 2003)[3]. Autres statistiques, même constat : la part dans l’emploi des CDD et contrats saisonniers et celle de l’intérim ont toutes deux reculé. La hausse de la part de l’apprentissage est une autre bonne nouvelle, celle des indépendants revêt des aspects positifs et négatifs, tandis que la part des CDI a peu bougé. La nette décélération des déclarations d’embauche en CDD de moins d’1 mois et en CDD de plus d’1 mois, parallèlement à l’accélération nette des déclarations en CDI, signale aussi une amélioration de la qualité des emplois, qui reste de nature conjoncturelle au regard des données pour 2019 qui portent la marque du ralentissement (perte franche de dynamisme des déclarations d’embauche en CDI et, léger, regain de vigueur des contrats courts).

L’évolution de la structure de l’emploi selon les catégories socio-professionnelles montre aussi une plus grande qualité des emplois occupés, avec une élévation du niveau de qualification dont atteste la hausse de la part dans l’emploi des cadres et professions intermédiaires (cf. graphique 3). Cette hausse, conjointe à celle de la part des employés non qualifiés et à la baisse de la part des ouvriers qualifiés et non qualifiés et des employés qualifiés, s’inscrit dans une transformation désignée de « polarisation de l’emploi ». En France, elle apparaît moins marquée qu’ailleurs et prend plus la forme d’une courbe en J qu’en U[4].

… et du chômage

Chômeurs et demandeurs d’emploi

En ce qui concerne le taux de chômage, il a retrouvé, à 8,1% au T4 2019, son plus bas niveau depuis fin 2008. Comme il était alors en phase ascendante, nous préférons la comparaison avec la mi-2007, lors de sa dernière phase descendante, qui l’avait mené à 7,2% début 2008, son plus bas niveau depuis 1983. La baisse actuelle a été progressive mais régulière, et s’avère finalement importante puisque le taux de chômage a perdu 2,4 points depuis son point haut de 10,5% au T2 2015. Cette décrue est plus importante que celle observée à la fin du dernier cycle (-1,9 point entre le T1 2006 et le T1 2008) et elle est à 0,6 point du record de l’avant-dernier cycle (-3 points entre le T1 1997 et le T2 2001).

Taux de chômage en France et dans la zone euro

La baisse du taux de chômage est généralisée à toutes les tranches d’âge mais l’ampleur diffère : le taux de chômage des 15-24 ans enregistre le recul le plus marqué (-4,6 points depuis le pic du T2 2015 et s’élève à 20% au T4), celui des plus de 49 ans le moins important (-1,4 point, il atteint 5,7%) et celui des 25-49 ans baisse comme le total (-2,4 points, il atteint 7,4%). Le taux de chômage des femmes et des hommes se situe à un niveau comparable[5] (respectivement 8% et 8,3% au T4 2019) après une baisse un peu plus importante pour les hommes que pour les femmes (respectivement -2,3 et -1,5 points).

La meilleure santé du marché du travail français ne se résume pas aux créations d’emplois et à la baisse du taux de chômage. Les indicateurs suivants en attestent également :

  • la nette hausse du taux d’emploi (+2,2 points depuis le T2 2015, frôlant 66% au T4 2019, son plus haut niveau depuis 1980) ;
  • la baisse, certes modeste, de la part du temps partiel dans l’emploi (près de 1 point, à 18,1% en 2019) ;
  • la nette diminution du sous-emploi[6] (-1,4 point depuis le T2 2015, à 5,3% des personnes en emploi au T4 2019, soit 1,4 million de personnes et un retour au niveau d’avant-crise) ;
  • la stabilisation du halo[7] à 3,8% des inactifs de 15-64 ans en 2019, prolongeant la tendance en place depuis 2016 après une augmentation quasi continue entre 2008 et 2015 ;
  • le net recul du chômage de longue durée (-1,4 point depuis le T2 2015, à 3,2% au T4 2019, soit à peu près son niveau d’avant-crise) ;
  • la baisse du nombre de demandeurs d’emplois, même si elle est moins importante que celle du nombre de chômeurs tel que défini par le BIT (cf. graphique 4)[8] ;
  • l’accélération des salaires, même si elle reste d’une ampleur encore contenue : la croissance en glissement annuel du salaire mensuel de base est passée d’un plus bas historique de 1,2% au T3 2016 à 1,8% au T4 2019 (contre une moyenne de 2,5% lors du précédent cycle) ;
  • la nette amélioration du solde d’opinion des ménages eux-mêmes, issu de l’enquête mensuelle de conjoncture de l’INSEE, concernant l’évolution du chômage, dont ils craignent beaucoup moins une hausse.

Si la vision d’un verre à moitié plein l’emporte sans difficulté, il reste toutefois du chemin à parcourir. Le taux de chômage français ne peut notamment toujours pas être qualifié de bas : il reste élevé dans l’absolu et, configuration inhabituelle, plus élevé que la moyenne de la zone euro (cf. graphique 5).

Une croissance plus créatrice d’emplois

Croissance et chômage
Gains de productivité du travail

Les bons chiffres de l’emploi et du chômage sur les années récentes, y compris en 2019, peuvent paraître étonnamment bons mais ils sont globalement cohérents avec la bonne tenue de la croissance (cf. graphique 6). Cette dernière a certes baissé depuis 2017 mais elle est restée sur un rythme suffisant pour créer des emplois. Et il n’y a pas qu’un effet croissance derrière l’amélioration du marché du travail. Celle-ci bénéficie aussi de la progression ralentie de la population active, de l’écrasement tendanciel des gains de productivité du travail et des mesures d’enrichissement du contenu en emploi de la croissance (qui compriment également les gains de productivité, cf. graphique 7). Pour une croissance donnée, même peu élevée comme aujourd’hui, cela signifie plus d’emplois. Or, il n’y a pas besoin de beaucoup plus d’emplois pour faire baisser le taux de chômage, la faible progression de la population active (0,2% en moyenne par an seulement depuis 2014) rendant la barre facile à franchir.

Taux de chômage observé et structurel

Parmi les mesures d’enrichissement du contenu en emploi de la croissance figurent celles visant à abaisser le coût du travail et les réformes du marché du travail. Dans la première catégorie se situe le CICE (crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi) et sa transformation, en janvier 2019, en une baisse de cotisations sociales patronales, accompagnée d’un allégement supplémentaire au niveau du SMIC en octobre 2019. Cette dernière mesure est très récente et n’a donc pas encore produit ses pleins effets mais elle est réputée efficace pour soutenir l’emploi, en particulier peu qualifié. L’effet positif du surcroît temporaire de trésorerie, entraîné par la transformation du CICE, et de la plus grande simplicité de l’instrument (baisse de charges plutôt que crédit d’impôt) est plus hypothétique mais possible.

La catégorie des réformes du marché du travail est composée du triptyque code du travail, formation professionnelle/ apprentissage, et assurance-chômage. Ces réformes forment un tout et se complètent : certaines mesures mettent l'accent sur le volet 'flexibilité / libérer’, d'autres sur le volet 'sécurité / protéger’, l’ensemble visant un marché du travail plus fluide, sécurisant, efficace, dynamique. En un mot, créateur d’emplois. Derrière les bons chiffres récents sur ce front et celui du chômage, on peut voir des premiers effets de ces réformes mais sans certitude dans la mesure où elles sont encore très récentes. Et, pour la même raison, si effets positifs il y a, ils doivent être limités.

L’emploi a aussi bénéficié du soutien à la croissance apporté par la politique budgétaire et, peut-être aussi, des premiers effets de la loi PACTE (plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises), avec la même réserve pour cette loi promulguée très récemment que pour les réformes susmentionnées. Cette réserve ne vaut en revanche pas pour les mesures en faveur de l’entreprenariat, qui portent leurs fruits au regard du dynamisme des créations d’entreprises. Or, qui dit créations d’entreprises dit créations d’emplois.

Quelles sont les perspectives ?

Les perspectives à court et moyen terme étaient, d’après nous, avant que ne survienne l’épidémie de coronavirus, à une poursuite de l’amélioration du marché du travail, quoique sur un rythme plus modéré. Les répercussions économiques de l’épidémie viennent dégrader ces perspectives, dans une ampleur et pour une durée restant difficiles à appréhender.

Aussi théorique que soit l’exercice, passons néanmoins en revue ce qui nous amenait à anticiper une poursuite de l’amélioration du marché du travail. S’agissant du court terme, les indicateurs conjoncturels disponibles, comme l’indice du climat de l’emploi de l’INSEE et la composante ‘emploi’ du PMI composite, étaient relativement bien orientés jusqu’en février, l’emploi dans l’intérim faisant toutefois exception. Pour l’année en cours et les suivantes aussi d’ailleurs, nous partions de l’idée que les mêmes causes produisent les mêmes effets. Les trois paramètres « facilitateurs » évoqués plus haut (faible progression de la population active et de la productivité et mesures d’enrichissement) continuaient de jouer favorablement. Quant à la croissance, nous tablions sur un effritement limité en 2020 (1,1%) avant un rebond modeste en 2021 (1,3%). Dans ces conditions, le rythme de hausse de l’emploi (entre 0,9 et 1%) et de baisse du chômage (-0,3 point par année) ne fléchissaient que modérément par rapport à 2019.

À l’horizon 2022, la question est de savoir si l’objectif d’un taux de chômage à 7%, visé par Emmanuel Macron, est atteignable. La réponse est oui s’il continue de baisser au même rythme moyen d’un demi-point par an auquel il baisse depuis 2015. Mais le peut-il alors que les difficultés de recrutement sont importantes et que le taux de chômage est déjà en deçà de son niveau structurel (cf. graphique 8) ? Nous dirions que oui. En effet, au regard de l’ampleur du sous-emploi et du halo autour du chômage, il existe encore un important réservoir de main d’œuvre, que les réformes engagées peuvent aider à mobiliser, en même temps qu’elles contribuent à abaisser le taux de chômage structurel. Si l’objectif est difficile à atteindre, c’est parce qu’il dépend de la croissance qui devra se maintenir assez nettement au-dessus de 1%, plus proche de 1,5% que de 1%. Or, c’est une hypothèse forte. C’est pourquoi l’objectif de « 7% » ne peut encore être tenu pour acquis. Mais au moins paraît-il du domaine du possible, ce qui est nouveau et peut être salué.

[1] Champ considéré dans cet article, pour lequel nous disposons des données pour l’ensemble de l’année 2019.

[2] Moyenne biaisée à la hausse par la croissance forte de 2017.

[3] Ce taux d’emploi est mesuré par l’INSEE comme le rapport entre le nombre d’actifs occupés en CDI ou CDD-intérim et la population totale.

[4] Cf. H. Baudchon, 2019, Polarisation de l’emploi en France : quelle ampleur ?, Conjoncture n°7, septembre

[5] D’environ 3 points en moyenne de 1975 à 2001, l’écart entre les deux taux de chômage s’est nettement résorbé pour quasiment disparaître depuis 2009 et même s’inverser entre 2012 et 2017 et en 2019 aussi.

[6] Le sous-emploi concerne les personnes travaillant à temps partiel souhaitant travailler davantage et disponibles pour le faire ainsi que celles ayant involontairement travaillé moins que d’habitude (pour cause de chômage partiel ou de mauvais temps).

[7] Le halo est composé des personnes proches du chômage mais non comptées comme tel faute de remplir tous les critères du BIT (être à la fois sans emploi, en recherche active et disponible sous 15 jours).

[8] Les concepts de chômeur au sens du BIT (sur lequel se base l’INSEE) et de demandeur d’emploi (comptabilisé par Pôle emploi) ne se recoupent pas complètement, d’où les écarts sensibles de niveau et d’évolution. Cf. Coder et al.,Les chômeurs au sens du BIT et les demandeurs d’emploi inscrits à Pôle emploi : une divergence de mesure du chômage aux causes multiples, collection INSEE Références « Emploi, chômage, revenus du travail », édition 2019.

LES ÉCONOMISTES AYANT PARTICIPÉ À CET ARTICLE