Edito

BCE : un discours ferme et des projections qui interpellent

19/12/2022
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Lors de la conférence de presse qui a suivi la dernière réunion du Conseil des gouverneurs, Christine Lagarde a insisté à plusieurs reprises sur le fait que le passage à une hausse des taux de 50 pb contre 75 pb auparavant ne représentait pas un point pivot, ajoutant que les taux doivent encore augmenter de façon significative et à un rythme régulier. Par conséquent, la probabilité d’un taux terminal supérieur à 3,00 % a augmenté, ce qui explique la hausse des taux obligataires. La révision à la hausse des projections d’inflation est probablement un autre facteur à l’origine de la tonalité ferme du message. Prévoir l’inflation sur plusieurs années est une tâche difficile, et le contexte actuel la rend encore plus complexe. Il sera intéressant de voir comment le Conseil des gouverneurs établira un équilibre entre la réaction aux données sur l’inflation, une fois qu’elles auront entamé une baisse, et l’accent mis sur les projections d’inflation à moyen terme de la BCE dans la définition de sa politique.

NUAGE DE MOTS DE LA CONFÉRENCE DE PRESSE DE LA BCE DU 15 DÉCEMBRE

La BCE a durci son langage lors de la dernière conférence de presse, qui s’est tenue après la réunion du Conseil des gouverneurs. Dans le nuage de mots (graphique 1), les « suspects habituels » occupent de nouveau une place centrale - inflation, taux, énergie, etc.- mais d’autres termes sont à relever comme ‘régulier’, ‘rythme’ ou l’usage du futur, qui reflètent la détermination du Conseil à envoyer un message fort. Les mots ‘important’ ou ‘sensiblement’ apparaissent à seize reprises dans les commentaires de Christine Lagarde, qui a également utilisé treize fois l’adjectif ‘régulier’. Les taux directeurs continueront à augmenter car l’orientation de politique monétaire doit devenir suffisamment restrictive pour ramener l’inflation vers l’objectif de 2 % à moyen terme1. L’insistance mise sur l’expression ‘rythme régulier’ de hausse des taux directeurs peut être considérée comme une orientation prospective (forward guidance) à court terme, même s’il a constamment été déclaré que les décisions en la matière resteront dépendantes des données et continueront d’être prises au fil des réunions.

Compte tenu des déclarations faites lors de la conférence de presse de la semaine dernière, il faut s’attendre à de nouveaux relèvements des taux de 50 points de base lors des réunions des 2 février 2023 et 16 mars 2023, sachant que cette dernière sera particulièrement importante puisque de nouvelles projections des services de l’Eurosystème seront publiées à ce moment-là. Comme l’indique la présidente de la BCE : « Concernant les taux d’intérêt, nous tiendrons compte des données. Nous nous reposerons sur les données et les évaluerons, en particulier lors des réunions qui se tiendront au moment de la publication des projections, soit environ tous les trois mois2 » . Dans l’hypothèse où, à la réunion du Conseil des gouverneurs de mars 2023, le taux de rémunération des dépôts serait augmenté à 3,00 %3, on pourrait assister à un changement de ton, qui pourrait devenir moins agressif, à condition que les projections d’inflation aient été révisées à la baisse.

PROJECTION D'INFLATION DE LA BCE

Un tel changement serait considéré par les marchés comme un revirement, une nette inflexion de l’orientation de la politique monétaire, aux termes de laquelle de nouvelles hausses au-delà de 3,00 % se feraient par étapes plus limitées et selon un rythme plus lent. Pour le moment, les conditions d’un tel basculement ne sont pas réunies. D’ailleurs, Christine Lagarde a insisté à quatre reprises, pendant la conférence de presse, sur le fait qu’il ne s’agit pas d’un revirement de la BCE, mais d’un effort délibéré pour éviter que les marchés ne tirent des conclusions erronées de la décision de relever les taux de 50 pb contre 75 pb auparavant. Il ne fait aucun doute que le ton restrictif – mention répétée d’un « rythme soutenu de durcissement » – sert le même objectif.

L’autre facteur qui a joué un rôle important dans l’élaboration du message de la BCE est l’importante révision à la hausse des projections d’inflation, de 0,3 point de pourcentage (pp) en 2022, 0,8 pp en 2023 et 1,1 pp en 2024. De prime abord, l’ampleur de la révision à la hausse interpelle. Par rapport aux projections de septembre, des améliorations ont, en effet, été enregistrées dans plusieurs domaines : baisse des prix du pétrole, du gaz et de l’électricité, allégement plus rapide des goulets d’étranglement, appréciation récente de l’euro et dégradation des perspectives de la croissance. L’impact de ces facteurs ne fait néanmoins pas le poids face aux « surprises récentes relatives aux données, à une réévaluation de la vigueur et de la persistance des pressions latentes sur les prix et leur répercussion, à une plus forte croissance des salaires et à la hausse des prix des produits de base alimentaires4 » . L’inflation globale, après un repli en 2023, devrait se stabiliser en 2024, tout en restant supérieure à l’objectif de la BCE, avant de reculer de nouveau en 2025 et d’atteindre l’objectif de 2 % de la BCE au second semestre de cette même année (graphique 2). L’inflation sous-jacente devrait rester supérieure à cet objectif sur l’ensemble de l’horizon de prévision, qui s’étend jusqu’à la fin de 2025.

Les projections d’inflation sur plusieurs années ne sont pas une tâche facile. Une étude de la Bundesbank, effectuée en 20185 , a montré que pour la zone euro, les prévisions d’inflation par le consensus sont pertinentes jusqu’à un horizon de trois à cinq trimestres. Les auteurs font néanmoins valoir que « malgré ce qu’indiquent nos résultats, il peut être judicieux de produire des projections macroéconomiques pour les trois années à venir, comme le fait l’Eurosystème ». Cependant, sur des horizons plus éloignés « il convient de considérer que les projections sont moins des prévisions que des analyses de scénario qui éclairent sur les interrelations ayant une influence sur les évolutions économiques ». Cette remarque est très importante dans l’environnement actuel, où l’inflation est le résultat de chocs d’offre et de demande multiples rendant d’autant plus difficile l’évaluation des répercussions de ces chocs mais aussi la vitesse avec laquelle l’inflation réagira au resserrement de la politique monétaire et à la détérioration de la conjoncture. Il sera intéressant de voir comment le Conseil des gouverneurs parviendra à trouver un équilibre entre la réaction aux données sur l’inflation, quand celle-ci aura commencé à baisser, et la prise en compte des projections de la BCE sur l’inflation à moyen terme dans la fixation de sa politique monétaire. A un moment où les projections d’inflation sont particulièrement difficiles à établir, disposer de bonnes prévisions n’a jamais eu autant d’importance dès lors qu’elles sont clé dans la détermination du niveau approprié de restriction monétaire.

William De Vijlder

A un moment où les projections d’inflation sont particulièrement difficiles à établir, disposer de bonnes prévisions n’a jamais eu autant d’importance dès lors qu’elles sont clé dans la détermination du niveau approprié de restriction monétaire.

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