La récession due au Covid-19 est atypique à bien des égards : sa soudaineté, sa gravité, l’ampleur du rebond, son impact sur la demande comme sur l’offre. Autre différence par rapport aux récessions précédentes : le comportement du marché actions par rapport au niveau d’emploi aux États-Unis. L’importance donnée à ce dernier, plutôt qu’au PIB par exemple, fait sens car le sentiment des ménages à l’égard de l’économie dépend, dans une très grande mesure, du marché du travail. Le premier graphique montre le repli du marché du travail américain, soit la différence, en pourcentage et au cours d’un mois donné, entre le niveau d’emploi – i.e. le nombre d’emplois non agricoles au sein de l’économie - et son tout dernier pic historique. Lorsque la crise économique accélère, le repli se creuse et lorsque l’économie se redresse, il diminue avec les nouvelles créations d’emplois. Le graphique permet d’évaluer l’ampleur de la détérioration sur le marché du travail ainsi que le temps qu’il a fallu pour recréer les emplois perdus au cours des récessions précédentes. Certaines baisses de l’emploi ont été modérées et de courte durée – au début des années 1970 et dans les années 1980 - et d’autres marquées et longues, comme pendant la Grande récession. La crise actuelle se distingue par sa soudaineté et des pertes d’emplois considérables, rapidement suivies d’un rebond significatif, quoiqu’incomplet.
Le graphique montre également le recul de l’indice S&P500. Lors d’une crise, le recul en pourcentage du marché actions a tendance à être un multiple du chiffre correspondant pour le niveau d’emploi. Cela n’a rien d’étonnant. Les actions constituent un mécanisme d’actualisation : leur cours dépend des anticipations de bénéfices à très long terme. De plus, le taux d’actualisation peut connaître des variations significatives. Même si le taux sans risque recule lorsque la croissance ralentit ou est négative, et s’il augmente une fois que l’activité s’est suffisamment redressée, l’autre composante du taux d’actualisation – la prime de risque exigée – croît sensiblement en période de difficultés économiques, et inversement lorsque la situation s’améliore. Il s’ensuit de fortes fluctuations des cours des actions. Marchés actions et niveaux d’emploi sont, à l’évidence, corrélés, grimpant et chutant de concert. L’histoire montre néanmoins qu’à plusieurs reprises, le marché actions a mis plus de temps que le marché de l’emploi pour compenser les pertes et atteindre de nouveaux sommets. Les commentateurs sont souvent obnubilés par le rebond spectaculaire des actions lorsque l’économie commence à se redresser, mais cette performance n’est autre qu’un rattrapage des pertes colossales subies lors d’une récession.
Le cycle actuel est très différent. Même si le repli maximum du marché actions a été, comme d’habitude, plus important que la perte d’emplois en pourcentage (-20 % contre -14,5 % sur la base des données mensuelles), il a aussi été d’une durée extrêmement courte : après avoir atteint un creux le 23 mars, le S&P500 a battu un nouveau record de hausse dès le 18 août. Il en va tout autrement du marché de l’emploi. En novembre, il restait un déficit de dix millions d’emplois et il faudra probablement des années avant de retrouver le niveau d’emploi antérieur à la pandémie. Après la Grande récession, il a fallu environ cinquante mois pour rattraper les huit millions d’emplois perdus précédemment. Actuellement, les créations d’emplois, en particulier dans le secteur des loisirs et de l’hôtellerie, sont freinées par les mesures de distanciation sociale et les fermetures administratives. Elles pourraient s’accélérer fortement une fois que le taux de contamination aura baissé à un niveau permettant la levée de ces restrictions. La vaccination de masse qui s’annonce contre la Covid-19 permet d’espérer que ce sera bientôt le cas. Il reste, cependant, à savoir ce que cela signifie pour l’ensemble de l’économie. Face à cette incertitude et à des pertes d’emplois cumulées toujours massives, la Réserve fédérale n’a d’autre choix que de donner des orientations sur le maintien de sa politique très accommodante pendant une longue période. Paradoxalement, les craintes d’un manque de dynamisme de l’économie réelle favorisent de nouvelles envolées à Wall Street. On peut, dès lors, s’interroger sur le rôle des perspectives de résultats. De deux choses, l’une : soit l’influence de ces derniers est entièrement dominée par la faiblesse des taux d’intérêt, soit les investisseurs en actions sont plus optimistes que la Fed et les investisseurs sur les marchés obligataires. Or, tout le monde ne peut pas avoir raison en même temps ! Comme le montre le graphique 2, lors des deux récessions précédentes, les bénéfices réels et le marché actions ont évolué de manière assez synchronisée, en termes de calendrier et de vitesse du redressement, tandis que cette année le marché a récemment atteint des sommets alors que le rebond des bénéfices – sur la base d’une moyenne mobile de douze mois – se fait toujours attendre. Pour 2021, la croissance des bénéfices importe donc plus que tout.