Le débat sur la souveraineté monétaire au sein des pays émergents refait surface, avec d’un côté le projet du président argentin Javier Milei de dollariser son économie, et de l’autre la tentation de plusieurs dirigeants de pays d’Afrique de l’Ouest d’abandonner le franc CFA. L’abandon du franc CFA dans le but de recouvrer la flexibilité d’un régime de taux de change sans ancrage et une plus grande autonomie de la politique monétaire, est un argument soit fragile en théorie, soit peu convaincant en pratique.
Les tensions à la baisse sur les monnaies d’Asie se sont légèrement accentuées la semaine dernière dans un climat géopolitique et monétaire devenu moins favorable. La crainte d’une hausse des prix internationaux du pétrole en raison du conflit au Moyen-Orient d’une part, et le changement de ton de la Réserve fédérale américaine d’autre part, expliquent les récentes tensions. Mais la roupie indienne a, jusqu’à présent, mieux résisté que les autres monnaies d’Asie.
Historiquement, on observe une corrélation très étroite entre les variations des rendements des Treasuries et du Bund allemand. Cela est pertinent dans le contexte actuel dans la mesure où le biais plus restrictif dans les messages récents de la Réserve Fédérale pourrait continuer à exercer une pression haussière sur les taux d’intérêt à long terme aux États-Unis et sur les rendements obligataires en zone euro. Depuis le début de l'année toutefois, l'augmentation des rendements du Bund est moins importante qu’attendu au regard de la relation statistique passée. Cette évolution reflète sans doute la conviction des investisseurs que la BCE commencera à baisser ses taux directeurs avant la Réserve Fédérale
Les informations nouvelles sur la croissance, l'inflation et la politique monétaire influencent les marchés obligataires et boursiers. Si l'incidence sur les obligations est manifeste, celle sur les actions est plus complexe. Par conséquent, la corrélation entre les cours des obligations et les cours des actions fluctue au fil du temps. Depuis 2000, elle est surtout négative, donnant lieu à un effet de diversification qui sous-tend la demande d'obligations, même lorsque les rendements sont très bas. Sans surprise, au cours du récent cycle de resserrement de la Réserve fédérale, la corrélation est redevenue positive
2024 devrait être l'année où la Réserve fédérale, la BCE comme la Banque d’Angleterre commenceront à baisser leurs taux directeurs, principalement pour accompagner la baisse de l’inflation. Le timing de la première baisse de taux reste toutefois incertain, de même que le nombre de baisses attendues. Les conditions d’une première baisse des taux en juin semblent en passe d’être réunies pour la BCE, qui, selon nos prévisions, précèderait ainsi de peu la Fed, dont la première baisse de taux est attendue non plus en juin mais en juillet. En outre, l’éventualité que la Fed ne baisse pas du tout ses taux cette année gagne en probabilité au regard de la résistance de la croissance et de l’inflation. Un tel statu quo monétaire de la Fed pourrait avoir plus de conséquences négatives que positives.
Les chiffres de l’inflation américaine au mois de mars, à nouveau plus élevés qu’attendu, ont eu raison de notre scénario d’une première baisse des taux synchrone, au mois de juin, par la Fed, la BCE et la BoE. Nous tablons désormais sur deux baisses de taux seulement pour la Fed en 2024 : la première en juillet et la seconde en décembre. L’éventualité que la Fed ne baisse pas du tout ses taux cette année gagne en probabilité. Du côté de la BCE, nous maintenons que la première baisse des taux interviendrait en juin mais nous écartons finalement la prévision d’une nouvelle baisse dès juillet pour retenir un scénario d’assouplissement plus progressif d’une baisse par trimestre (en juin, septembre et décembre). La BCE engagerait donc le cycle de baisse de ses taux avant celui de la Fed.
Aux États-Unis, l’incertitude sur la politique économique, basée sur la couverture médiatique, est légèrement repartie à la hausse en mars, après une baisse marquée en février. Ce redressement peut être imputé, en partie, au chiffre de l’inflation du mois de février (3,2% sur un an selon l’indice des prix à la consommation du BLS). En se révélant supérieure aux attentes du consensus (3,1%), cette hausse repousse encore la perspective d’un assouplissement de la politique monétaire de la Fed.
Croissance du PIB, inflation, taux d'intérêt et de change.
Chaque réunion de fin de trimestre de la Réserve fédérale (FOMC) donne lieu à la publication du Summary of Economic Projections (SEP). Ce jeu de prévisions est scruté de près car il comprend notamment les dot plots, à savoir l’anticipation médiane de la trajectoire du taux directeur à moyen terme par les membres du Comité. Les avant-dernières projections du T4 2023 incorporaient trois baisses de taux (de 25 pb chacune) en 2024, pour une cible de taux de +4,6% en fin d’année. En parallèle, Jerome Powell, le président de la Fed, prenait acte des progrès réalisés sur le front de l’inflation (IPC à +3,2% a/a au T4 2023, contre +7,1% un an plus tôt) mais se refusait à déclarer victoire.
La dépendance aux données économiques de la politique monétaire a renforcé l’interdépendance entre indicateurs économiques, marchés financiers et banques centrales. La publication des chiffres de l’inflation joue un rôle prédominant dans la mesure où le mandat des banques centrales est centré sur un objectif d’inflation. Aux États-Unis, lors de la publication de l’IPC, la variation des contrats à terme financiers sur les fed funds affiche la corrélation la plus marquée avec la variation mensuelle de l’inflation sous-jacente
Croissance du PIB, inflation, taux d'intérêt et taux de change
Les récentes déclarations de la Réserve fédérale et de la BCE indiquent clairement que la première baisse des taux d’intérêt approche. Les deux banques centrales tiennent le même discours - cela dépendra des statistiques. Toutefois, si l'on y regarde de plus près, la communication de la BCE est plus opaque que celle de la Réserve Fédérale, qui fournit les projections de taux d’intérêt des membres du comité directeur de la Réserve Fédérale (« dot plot »). Plusieurs approches sont possibles pour tenter de prédire la rapidité et le nombre des baisses de taux directeurs de la BCE dans le présent cycle
Croissance du PIB, inflation, taux d'intérêt et de change
Croissance du PIB, inflation, taux d'intérêt et taux de change.
Un large consensus se dessine parmi les prévisionnistes économiques : celui d’une reprise progressive de la croissance trimestrielle du PIB réel dans la zone euro en 2024, portée par la décrue persistante de l’inflation, les baisses de taux directeurs ainsi que par les investissements dans la transition énergétique et ceux liés au programme NextGeneration EU. Le commerce extérieur pourrait aussi jouer un rôle. Les données d’enquête de la Commission européenne et de S&P Global se sont améliorées depuis l’automne dernier mais leur niveau reste inférieur à la moyenne historique
Croissance du PIB, inflation, taux de change et d'intérêt.
Croissance du PIB, inflation, taux de change et d'intérêt
Pour les pays émergents, les conditions monétaires et de change sont plus favorables en ce début d’année qu’elles ne l’étaient fin 2022-début 2023. L’assouplissement des politiques monétaires permis par la désinflation, et des perspectives de croissance globalement révisées à la hausse, attirent les investissements de portefeuille. Malgré l’augmentation du risque géopolitique, le risque souverain devrait diminuer sauf pour les pays plus fragiles, déjà sur la sellette en 2023. Pour les pays à faible revenu, 2024 sera une année à haut risque car les échéanciers de dette extérieure des États resteront très chargés comme en 2023.
Le Vietnam a connu une série de difficultés en 2022-2023, liées à la dégradation de l’environnement international, à la sévère correction dans le secteur immobilier, à la crise de confiance et aux tensions sur la liquidité dans le secteur bancaire. La croissance économique a marqué le pas début 2023, mais elle a ensuite rapidement réaccéléré. En particulier, l’activité dans le secteur exportateur manufacturier se redresse depuis quelques mois, porté par de solides entrées d’investissements directs étrangers. Ces dynamiques devraient se poursuivre à court terme, le Vietnam étant un des grands bénéficiaires des ajustements en cours dans les chaines de production mondiales.
Pour son retour aux commandes, Lula peut dresser un bilan positif de sa première année, marquée par des indicateurs macro-financiers au vert, la relance des programmes sociaux, des positions ambitieuses sur l’environnement et une capacité à réformer que peu d’observateurs anticipaient. Ce tableau cache toutefois quelques déséquilibres : dans le profil de la croissance, la dynamique du chômage et la diversification de la balance commerciale. Les doutes des marchés sur la capacité du gouvernement à équilibrer ses comptes (malgré le nouveau cadre budgétaire) constitue une autre zone d’ombre. En 2024, la croissance, l’inflation et les taux d’intérêt seront inférieurs à 2023
Dans un contexte de hausse des tensions géopolitiques régionales, la crise économique continue de s’aggraver en Égypte et menace maintenant les finances publiques. En l’absence d’un accord avec le FMI, la crise de balance des paiements persiste et reporte d’autant les ajustements nécessaires. En entraînant la dépréciation du taux de change et une forte hausse des taux d’intérêt, cette crise a fait bondir la charge d’intérêts de la dette du gouvernement à un niveau qui pourrait devenir rapidement insoutenable. En effet elle pourrait atteindre 70% de ses revenus cette année et rester très élevée l’année prochaine
Lourdement affectée par la crise du COVID et les conséquences de la guerre en Ukraine, l’économie tunisienne doit désormais faire face à d’importantes contraintes de financement. Les comptes extérieurs ont plutôt bien résisté en 2023, mais la situation macroéconomique reste très fragile. Les tombées de dette pour cette année sont significatives, et le pays n’est pas à l’abri d’un nouveau choc. Surtout, la perspective d’un rapprochement avec le FMI apparait de moins en moins probable, alimentant des craintes sur la capacité du gouvernement à couvrir l’intégralité de ses besoins de financements. Une crise de la dette n’est pas à écarter.