S’agissant de l’évaluation des perspectives pour 2021, l’une des principales questions qui se posent est celle du comportement d’investissement des entreprises. Compte tenu du rythme, en général, assez régulier de la croissance de la consommation privée en phase de reprise, le dynamisme de la formation brute de capital fixe, ou l’absence d’un tel dynamisme, fera la différence entre une reprise soutenue ou atone.
En attendant l’introduction d’un vaccin, l’incertitude à la fois sanitaire et économique devrait rester élevée et peser sur l’investissement des entreprises[1]. Cependant, la croissance du PIB repart à la hausse et devrait entraîner dans son sillage une augmentation des bénéfices des entreprises. Comme le montre le graphique 1, aux États-Unis, l’indicateur BAIIA, qui mesure la rentabilité des entreprises, reste orienté à la baisse, quoique moins qu’auparavant, et les analystes financiers s’attendent à un rebond dans les douze prochains mois. Compte tenu d’une assez bonne corrélation entre le BAIIA et le flux de trésorerie des entreprises[2], l’on peut s’attendre à un redressement de cet indicateur avec la poursuite de la reprise[3].
D’un point de vue macroéconomique, le cash-flow occupe une place importante dans la mesure où il est l’un des moteurs de la formation brute de capital fixe par les entreprises. Actuellement, les entreprises sont de plus en plus nombreuses à accumuler de la trésorerie tout en étant réticentes à investir en raison de l’incertitude générale. Dès que celle-ci reculera - quand la situation sanitaire s’améliorera - cette trésorerie pourrait être débloquée et permettre une accélération de la croissance économique. Comme le montre le graphique 2, lors des récessions récentes aux États-Unis, l’accroissement des flux de trésorerie a été bien antérieur à la reprise de l’investissement des entreprises. Cela n’a rien d’étonnant : les entreprises peuvent toujours se montrer frileuses dans les premières phases d’une reprise. Selon une étude de la Banque européenne d’investissement (BEI), en termes absolus, une baisse de l’incertitude à un impact moins important sur l’investissement des entreprises qu’une hausse. Les entreprises les plus fragiles réagissent aussi plus fortement à une accentuation de l’incertitude[4]. Bien évidemment, la relation négative entre l’incertitude entourant les flux de trésorerie, d’une part, et l’investissement et l’emploi des entreprises, d’autre part, est aussi plus forte en période de récession[5]. Les entreprises peuvent aussi choisir de rembourser leur dette. La recherche empirique montre que, sur le long terme, les investissements sont sensibles aux cash-flows, mais qu’à court terme, les entreprises aux moyens financiers limités affecteront plutôt leurs flux de trésorerie à la réduction de l’endettement qu’à l’accroissement de l’investissement[6].
Quel éclairage ces résultats nous apportent-ils sur la reprise actuelle ? Premièrement, et c’est là une bonne nouvelle, l’accroissement du cash-flow entraîne in fine une augmentation de l’investissement, mais avec un décalage. Autrement dit, à court terme, les dépenses des ménages et les dépenses publiques seront déterminantes pour le rythme de la croissance du PIB. Deuxièmement, les entreprises aux moyens financiers plus limités investissent moins en termes relatifs. Cette problématique, compte tenu de l’accroissement de la dette des entreprises, consécutif à l’effondrement de l’activité en début d’année, plaide pour la mise en œuvre de politiques pour renforcer leurs fonds propres. Troisièmement, il faut tenir compte de l’incertitude entourant les flux de trésorerie. Là encore, les politiques économiques ont un rôle à jouer en soutenant la reprise – sur les plans monétaire et budgétaire – mais aussi en donnant une perspective sur l’orientation de ces politiques au cours des prochaines années. Les banques centrales recourent pour ce faire à la forward guidance. Les gouvernements pourraient en faire autant en donnant une visibilité sur la fiscalité et les dépenses.